Chapitre 1.1 – Le bateleur (La prophétie des morts antiques)

6 mins

«Moi, le Bateleur, je prends place dans ce croisement de l’éternité et de l’infini que l’on appelle le présent. Parmi l’infini des possibles, j’en choisi un, mon denier doré», Alexandre Jodorowsky, La voie du Tarot.

Ils étaient trois. Un peu apeurés. Ils se tenaient dans l’encoignure d’une porte et se regardaient. Ils cherchaient dans le regard des deux autres le courage de continuer leur route. Ils ne leur restaient que quelques mètres à parcourir jusqu’à l’entrée du temple, mais c’étaient les derniers pas qui leurs coutaient. C’était la première fois qu’ils devraient participer à la cérémonie. 

Ils inspirèrent profondément et s’avancèrent en se tenant la main. Leurs frêles silhouettes se découpaient dans l’air clair du matin et la prêtresse qui se tenait dans l’ombre de la porte du temple les vit approcher. Elle même avait ressenti de l’appréhension la première fois qu’elle avait été convoquée et elle comprenait leur attitude peu assurée. Elle essaya de les accueillir en conservant les formes mais sans les effrayer davantage.

— Avé, jeunes filles, jeune homme.

— Avé, Donna Major, répondirent-ils, avec respect et en baissant la tête devant elle. 

— Vous pouvez entrer, est-ce que vous avez l’obole?

Ils lui présentèrent tous les trois une pièce en or, leur offrande pour entrer dans le temple. Une fois cette formalité remplie, elle s’effaça pour les laisser passer. Ils pénètrent dans la première pièce, qui n’avaient pour ouvertures que deux portes. Celle qui donnait sur la rue et par laquelle ils venaient d’entrer et une autre au fond, ouverte sur une autre pièce éclairée par un brasero. L’obscurité était presque totale. L’ouverture en face d’eux leur apparut comme une bouche infernale qui s’apprêterait à les dévorer, mais ils avancèrent malgré tout.

La seconde pièce était beaucoup plus vaste et c’est là que se tiendrait la cérémonie. Leurs parents leurs avaient bien expliqué tout cela: la disposition des lieux, les gens qu’ils rencontreraient, ce qu’ils devraient dire, les moments où ils devraient se taire. Ils savaient aussi le grand honneur qui leur était fait par la cité en étant choisis. Ils avaient également entendu les rumeurs qui courraient par les rues après le couvre-feu: des gens commençaient à s’opposer au pouvoir des prêtresses, les élus seraient sournoisement menacés. Cette ombre qui planait sur eux s’ajoutait à la peur de l’inconnu, à la crainte de ne pas faire ce qu’il faudrait.

Car ils ignoraient en quoi consisterait véritablement la cérémonie.

Donna Major ferma la porte derrière eux et le bruit des battants qui retombèrent ajouta à la solennité de l’instant. Ils s’aperçurent qu’ils n’étaient pas seuls dans la pièce. D’autres jeunes gens, bien qu’un peu plus âgés se tenaient autour du brasero; ils avaient peut-être quinze ou seize ans. Ils avaient l’air détendu, plusieurs parlaient entre eux, certains riaient. Cela soulagea un peu le trio des nouveaux venus qui se détendirent. Donna Major les présenta, et tous se turent. Ils s’inclinèrent pour les accueillir. Leurs sourires chaleureux contribua à les mettre encore plus à l’aise. La prêtresse posa son manteau en capuchon sur sa tête et se dirigea vers la dernière pièce. Les jeunes gens savaient tous qu’ils ne pourraient pas pénétrer dans ce dernier espace, réservé aux femmes qui vivaient dans le temple. 

Ils attendirent quelques instants, puis la porte s’ouvrit à nouveau, laissant le passage à Donna Major et à ses suivantes. Elles portaient toutes le manteau écru rabattu sur leur tête, signe de leur sacerdoce et de leur respect pour leur dieu. Les deux dernières femmes laissèrent la porte ouverte. Les jeunes gens purent alors distinguer, éclairé par des flambeaux, le bas relief représentant la divinité. Les initiés s’agenouillèrent, la tête baissée. Les novices restèrent debout, un peu hébétés, contemplant la forme de celui dont ils découvraient l’image pour la première fois. Toute leur enfance, ils avaient entendu son histoire, car ils avaient été désignés au berceau, mais c”était la première fois qu’ils pouvaient enfin observer celui dont tant de mystères entouraient le culte.

— A genoux mes enfants devant votre dieu, tonna Donna Major dont la voix emplit tout le temple. 

Ils obéirent dans l’instant, soudain blêmes. 

— Courbez la tête devant celui qui est à l’origine de tout. Celui qui donna tout et qui peut tout reprendre. Ainsi commence votre initiation; comprenez qu’à travers lui vous pourrez connaître l’éternité comme le néant.

***

Cette fois-ci, le chat était du voyage. Mathilde se refusait maintenant, par une sorte d’attachement totalement démesuré aux yeux de son entourage, à se séparer plus d’un jour ou deux de l’animal. De son côté, ce dernier, bien qu’ayant toujours manifesté un sale caractère, acceptait maintenant à peu près n’importe qu’elle situation du moment que sa maîtresse se trouvait à proximité. Là, il était par exemple enfourné dans une cage rien moins que confortable mais il ne bronchait pas, se contentant de prendre la forme d’une boule et d’attendre que le temps passât, laissant échapper un faible miaulement de loin en loin. Le vétérinaire pensait qu’il avait développé une anxiété généralisée, liée au fait d’avoir été laissé seul trop longtemps et surtout parce qu’il était entré en symbiose avec Mathilde et le choc qu’elle avait vécu. Elle réfutait vigoureusement cette hypothèse à voix haute, mais intérieurement elle se disait bien qu’il devait y avoir du vrai. L’affaire Banville l’avait secouée: aussi bien les risques qu’elle avait dû prendre que la conclusion de l’enquête. Découvrir un véritable Fragonard, en perdre la trace et découvrir la sordide histoire qui avait présidé à son vol n’avait rien arrangé. Perdre en cours de route son ami de toujours, Kaplan, tué par le détraqué qui l’avait engagée, était plus qu’une goutte d’eau: c’était un tsunami qui avait emporté ses faibles barrières contre l’angoisse et la dépression.

Le paysage défilait derrière la vitre. Le départ de Paris s’était fait sous la pluie, le temps estival du mois de juin n’avait pas duré et juillet avait vu s’égrener les journées grises et même froide. De toutes façons, Mathilde n’avait guère eut le coeur de profiter de son temps libre. Après être rentrée d’Aix-en-Provence, au début du mois, elle avait officiellement fermé son agence pendant quelques jours. Ses deux employés, Samia et Fred, en avaient profité pour faire une rapide escapade au bord de la mer, dilapidant ainsi la prime de risque qu’elle leur avait offerte après leur dernière mission. Selon eux, il avait fait un temps pourri, mais elle soupçonnait que cela n’avait pas dû beaucoup les déranger de devoir passer tout leur temps dans une chambre d’hôtel.

De son côté, elle avait dû se plonger dans les affres administratifs de la succession de Gérald Kaplan. Il avait aussi fallu organiser les funérailles de son vieil ami. Outre la tristesse et l’incompréhension qui subsistait après sa mort, les tâches à faire lui avaient parues comme un purgatoire interminable, dans lequel le temps maussade n’était qu’un révélateur de tout ce que la vie ne devrait pas être: sans but défini, sans saveur, sans espoir d’un jour meilleur. Maintenant que tout cela était réglé et pas de la façon dont elle l’aurait cru, elle pouvait s’accorder un vrai temps de repos. Elle avait laissé Sam gérer l’agence, il y aurait peu d’affaires au mois d’août et l’essentiel pourrait se faire en vérifications informatiques. Pour les planques et les filatures, Fred prendrait le relais, il était ravi d’avoir pris du galon et de passer de garçon de courses / secrétaire à enquêteur stagiaire.

Elle roulait maintenant vers sa destination avec une sensation d’anxiété qui ne la quittait plus depuis très longtemps quand son téléphone vibra. Elle se rendit sur la plate-forme entre les voitures pour répondre.

— Salut ma poulette, dit-elle en décrochant après avoir reconnu le numéro de Pauline, sa nièce.

— Coucou Mathilde! Tu es dans le train? tu seras à l’heure?

— Oui je suis dans le train, mais tu sais que j’arriverai après toi à la gare d’Arles. J’ai deux correspondances, une à Lyon et l’autre à Marseille. Je crois qu’on ne se verra que demain.

— Dommage, je voulais te présenter mes nouveaux copains.

— Tu as déjà rencontré des gens sympas?

— Oui Théo et Livia, tu verras, ils vont t’adorer.

— Bon j’ai l’impression que ça s’annonce bien cette colo.

— C’est pas une colo, c’est du sérieux, on sera sur un vrai chantier de fouilles, avec des archéologues.

— Tu crois que je pourrai facilement venir te voir alors?

— Je vais m’arranger avec la directrice, elle m’a à la bonne depuis toujours. C’est Nicole Bouvier, tu dois la connaître aussi.

Ce nom disait vaguement quelque chose à Mathilde. Mais une inquiétude la prit soudain.

— Mais elle ne dira rien à ton père? Tu sais pourtant qu’il pense que j’ai une mauvaise influence sur toi. Il n’a pas voulu que tu viennes à Paris pour cette raison.

— Je sais bien, il m’a tenu son ridicule discours sur le fait que ton métier est trop dangereux. Je m’en fiche complètement. Ce camp c’est pour vivre de vraies vacances et pour pouvoir te voir. Il ne peut pas me priver de toi; j’adore papa tu le sais, mais là il fait vraiment n’importe quoi. Pas question de passer un été sans toi.

— Ok ma poulette, ne t’énerve pas mais je ne suis pas sûre que ce soit une bonne idée de faire les choses dans son dos.

— C’est pas ça, on le mettra devant le fait accompli c’est tout.

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2 Commentaires
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Haldur d'Hystrial
1 année il y a

Donc on retrouve Mathilde, sa petite équipe et son chat. Ca fait plaisir d’avoir de leurs nouvelles. Et toujours ce mystère qui semble antique….

tué pas le détraqué -> par ( il me semble)

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