Conte d’un cerbère – Chapitre 3

9 mins

Il y avait peu de choses en ce monde qui résultaient en moi une réelle exaltation envers l’existence et qui insufflaient dans mon cœur un élan vital. Je continuais d’être grâce à l’écriture et la lecture. Je ne pouvais cesser de me persuader que ces astres divins demeuraient les seuls véritables fruits que l’arbre humain avait engendré à la perfection. Ces fruits éternels, constituées de la graine des plus grands génies, égayaient les profondeurs les plus absolus de mon âme. Ces grandes étoiles : Dostoïevski, Nietzsche, Hermann Hesse, Bukowski, Philip Glass et Gustave Doré. Tout une constellation. Lorsque je m’abandonnais au goût exquis de ces agrumes immortels, j’expérimentais des palpitations aussi douces qu’intenses, aussi passionnées que fugaces, aussi abyssales qu’éphémères. La légèreté du piano, la puissance des mots et la clairvoyance de l’art pictural.
Nous étions mardi, mon jour de repos. Je m’étais réveillé relativement tôt pour pouvoir profiter de la tendresse du soleil qui, en cette fin de semaine, caressait le sol parisien. Flâner dans la capitale était devenu pour moi une agréable habitude. À défaut d’éprouver un étrange décalage entre moi et les autres, j’avais trouvé un réel réconfort dans les paysages, les monuments, à l’intérieur des musées et particulièrement aux heures du crépuscule. Le ciel, peu importe l’arrondissement et peu importe le quartier, demeurait toujours un authentique tableau. Parfois il était grisé et engouffré par de nobles nuages, chagriné par la pluie ou même embrassé par une séduisante lune. Au crépuscule, j’observais ce ciel tiré entre la journée et la nuit. Déchiré entre un teint doré et flamboyant, et une gracieuse et ondoyante noirceur. Je marchais, sautillais, flottais à travers les rues, les grandes places et les quais, à la recherche de nouveaux objets d’admirations et de divagations. J’imprégnais mon esprit vagabond de rêveries volatiles et impalpables. Paris était pour moi socialement un enfer ardent mais plastiquement un délicat éden. J’étais le premier témoin, un spectateur posté au premier rang face à cette scène unique.
C’était une véritable honte que Negory ne puisse se rendre compte de tout ce qu’il y a autour de lui. Me disais-je
Durant ma joyeuse flânerie, une charmante jeune femme m’interpella du côté de la Place de la Concorde en me demandant vivement où elle pouvait trouver le Musée du Louvre. Elle semblait totalement perdue. Elle arborait une éclatante chevelure blonde qui s’arrêtait juste avant ses épaules. J’observai ensuite à quel point sa peau était pâle mais sincèrement éclatante. Ses yeux clairs, jetant un regard hébété, me demandait avec un accent relativement prononcé :
–    Bonjour ! J’espère que je ne vous dérange pas trop ! Je suis de Russe et je ne maîtrise pas bien encore le français. Vous savez comment je peux rejoindre la Place du Musée du Louvres ?
Elle mâchait ses mots et s’exprimait légèrement trop vite, j’ai alors fait semblant de sourire en singeant de vagues codes sociaux. En lui expliquant les différentes rues et tournures de cet arrondissement, les traits de son visage qui formait auparavant une certaine maladresse et une quelconque bienveillance furent pris par un tourbillon de charme pour finalement faire apparaître au beau milieu un sourire qui ferait rougir des troupes entières.
Elle m’a supplié de l’accompagner parce qu’elle se plaignait d’avoir trotté pendant des heures tandis que le musée n’était qu’à une dizaine de minutes à pieds. J’ai accepté timidement tandis qu’elle ne cessait de me remercier en russe.
–    D’ailleurs, comment s’appelle mon sauveur ? m’avait-elle demandé en commençant rapidement à se familiariser.
–    On m’appelle Negory. Et vous ?
–    Moi, on m’appelle Livia !
J’étais surpris de comprendre qu’elle était aussi italienne, je ne l’aurais jamais deviné. Lors de notre route elle ne cessait de me poser des questions à mon propos en usant de son meilleur français. Ces questions pouvaient aller du lieu où je logeais à jusqu’à ce que je fisse à Paris. Comment lui dire que flâner était pour moi une réelle raison de vivre, ou même de survivre ? Je n’ai jamais eu l’habitude de me confier à quelqu’un et particulièrement aux femmes. J’ai toujours été dans l’incompréhension la plus totale lorsque je voyais deux inconnus se lier rapidement d’amitié en usant de la base des codes sociaux. Cette connexion entre les êtres paraissait à mes yeux un mur infranchissable. Ils parvenaient tous à passer à travers ce mur que je tenais vainement de surmonter. Me délaissant à la vacuité et à l’isolement. C’est à peine si je savais maintenir une conversation avec mes plus proches parents alors avec une femme qui plus est étrangère, j’étais éjecté de ma plus douce zone de confort. Il fallait avouer que Livia était une très belle femme qui semblait du même âge que moi, environ la vingtaine. J’apercevais de sa large robe rouge quelques formes voluptueuse. Elle m’avait intimidé comme jamais on ne me l’avait fait.
Les questions ont étrangement commencé à être un peu plus intrusives. Elle me demandait dans quoi et où je travaillais, si je gagnais plutôt bien ma vie. Elle atterrissait dans une zone sensible lorsqu’elle me questionnait sur mon identité. Je ne répondis rien lorsque son pénible interrogatoire touchait mon nom de famille et mes origines. Sûrement une manière conventionnelle de vouloir faire ami-ami avec moi. Après tout, elle était perdue dans ce monstre géant qu’était Paris.
J’étais plutôt étonné de voir que les femmes russes pouvaient être aussi pétillante et chaleureuse. Je les ai toujours imaginés avec une certaine froideur, avec une tempérance envers la rude gente masculine. Peut-être était-ce son autre côté italien qui lui donnait tant de fraîcheur confondue avec touche d’énergie ardente.
Arrivés au musée, elle m’a une nouvelle fois suppliée de l’accompagner afin de faire la visite de la partie des Antiquités du Louvre. Elle voulait que je l’aide à retranscrire les descriptions de certaines œuvres antiques car cela faisait partie de son mémoire universitaire. Je cédai encore une fois. Je n’avais rien à faire concrètement et Livia était un cas des plus intéressants. C’est à ce moment-là que je me suis, comme je déteste à chaque fois, essayé à l’art de la conversation.
Si j’ai cédé, c’était bien parce que le musée avait le don de me secouer un tant soit peu l’esprit. J’avais de toute manière déjà prévu auparavant d’y mener ma propre escapade. Disons que cette fois c’était un ironique et inévitable coup du sort.

J’étais passionnément tombé, dès mon plus jeune âge, amoureux de tout ce qui touchait la Grèce Antique et particulièrement de ses sculptures. Cet amour et cette passion pouvaient peut-être signifier un très cher souhait qui brillait en moi. Je voulais être tout pareil à ces statuts. Un être bravant la mortalité et le temps. Froid, dur et résistant mais surtout beau, fier et habité par une parfaite grandeur. Je voulais être un rêve admirable.
Observer ces divins blocs de pierre, encore empreints de la sueur âcre des dieux, ça valait bien le coup de mimer une conversation. Aussi stérile soit-elle.
A ma très grande surprise, je me retrouvais vite absorbé par Livia, elle, son mauvais français et la courbe de son visage qui ferait envier les plus célèbres modèles de la Renaissance. Ses maladresses prenaient petit à petit le pas sur moi et je me suis même mis à en rire. Une partie de mon esprit se mettait à me crier dans les tympans, m’avertissant de m’arrêter là et de repartir chez moi. Cette voix aux semblants autoritaires voulait que je fasse demi-tour et que je retourne avec lui. Negory ne sait pas s’amuser et jouir des véritables plaisirs comme le plus basiques qui est de séduire une belle femme.
Livia profitait des instants les plus brefs et volatiles pour délicatement m’effleurer, me toucher et m’empoigner. Le pire est alors arrivé. A la toute sortie, elle m’a embrassé et cette voix qui avait abandonné les injonctions pour passer aux supplications n’étaient qu’un reflet profond de mes plus fidèles croyances :
A chaque instant où je pouvais sentir un vague état de plénitude et de bonheur, je ne pouvais également m’empêcher d’éprouver une douce envolée de mélancolie mêlée à une étrange nostalgie. Je comprenais déjà que c’était un instant que je n’oublierais pas, un futur instant perdu à jamais que je regretterai dans mes plus vides sentiments de solitude. Ressentir un moment de flottement avec cette femme jusqu’en oublier ma mortalité, c’était les premières prémisses du malheur et de la souffrance. La peur m’a ainsi ramené au sol et lorsqu’elle me souriait j’ai soudainement commencé à avoir une nausée. Mes doigts tremblaient comme s’ils attendaient un prévisible dénouement, Un prochain coup de bâton. Negory m’avertissait.
Livia et moi -qui arborait un air débile et niais – sortions du musée et la nuit prenait place sans même crier gare. En marchant quelques minutes, loin de la gare et du musée, dans une large ruelle de Paris, j’ai vu deux hommes qui nous avaient suivi la depuis sortie du musée. Je me suis arrêté pour les laisser passer et Livia, accrochée à mon bras, me lâcha brusquement et fis trois pas en arrière. Je la regardais confus mais sans inquiétude jusqu’à ce que l’un des deux hommes me frappe violemment au visage. Je tombai au sol et ils se mirent tous trois a discuté et rire entre eux. Ils parlaient tout trois russes. Ils riaient tellement, ils s’esclaffaient comme des hyènes sur un cadavre tout frais. Ils me regardaient comme on regarde un large plat. On se demande à ce moment-là par où commencer, quelle première bouchée serait la plus satisfaisante, la plus pertinente.  Les deux hommes m’ont alors rué du coup pour mieux me faire les poches. Je sautai sur l’un des deux en lui assénant mon plus grand crochet. Pendant que j’assaillais son partenaire, le premier homme s’était trouvé une longue barre de fer et l’abattit sur mon dos. J’étais tombé au sol et alors s’en était suivi une pluie de frappes venant de chaque côté. Épaules, avant-bras, doigts, jambes, dos et tête. Je sentais des veines monter impétueusement entre mes mains et mon crâne. Livia leur criait de vérifier l’intérieur de mes vestes car elle avait compris que c’était là que j’y rangeais mes effets personnels. Je me réveillais 20 minutes plus tard la tête dégoulinante de sueurs et de sang. Quelques passants traversaient la ruelle en feignant de ne pas avoir assistés à la scène.
J’avais pris le métro pour ensuite péniblement marcher. Je montais les escaliers la tête baissée et j’ouvrais les portes avec effort. Le pire était encore à venir. Je me dirigeais dans ma salle de bain en évitant coûte que coûte mon regard.  Je ne voulais pas me voir, cela aurait été comme agoniser les yeux dans les yeux. Je sortais un léger kit de soin pour mes apaiser mes blessures artificielles et sans utiliser le miroir, je bandais méticuleusement mes blessures encore fraîches et saignantes en me concentrant sur les douleurs ressentis à chacune des pressions de mes doigts. C’était en voulant les éviter, que je comprenais que je possédais bien trop de miroirs chez moi. Le constater était durement supportable.
Assis sur le salon, le regard jeté au dehors la grande fenêtre, il fumait tranquillement. Je l’ai regardé un moment, stoïque. J’attendais qu’il me dise quelque chose. Qu’il me dise ce qu’il en pensait, qu’il me nargue en me criant qu’il avait raison. Mais rien, alors j’ai pris un second siège et je me suis posé à côté de lui. Nous avions tous deux nos regards posés sur le peu de paysages que les bâtiments d’en face nous laissaient apercevoir. Il n’y avait rien à dire. Mes contusions laissaient transparaître les mots les plus clairs et francs, le plus lucide des discours.
Negory m’avait bien prévenu :
–    Je te l’avais dit. me lançait Negory avec la plus vertueuse des patiences sans même quitter des yeux la fenêtre. Il expirait une fumée aussi épaisse que son regard.
Sur ces mots, il m’offrait son cigarillo pour que je puisse en profiter une ou deux fois. Etais-ce un signe de compassion de sa part ? Ou bien un signe de capitulation de ma part ? Cela n’avait plus rien d’important. J’ai simplement accepté ce geste de sa part, j’ai pris ma plus grande inspiration jusqu’à ce que mes poumons ne puissent plus du tout supporter le goût amer du tabac puis j’ai tout recraché par les narines. Je m’étais juste laissé aller. Désamorcé et désabusé par ma crédulité, l’isolement m’était maintenant paru comme le plus assuré des refuges. Nous deux avions sereinement accepté cette vérité.
Il se leva soudainement en se tenant droit devant moi.
–    Il faut que je te donne un nom. C’est bien trop fatiguant de t’appeler l’Autre compte-tenu de ta « nature ». J’ai saisi depuis quelques temps que tu n’es pas le fruit d’une quelconque schizophrénie venant de moi. C’est bien trop simple de s’arrêter à cette explication. Tu es bien plus que cela, ou bien moins peut-être. Tu es l’incarnation de toutes mes contradictions et tous les principes que je me tue à faire taire. J’ai en moi une frustration, une aigreur et un déni pernicieux envers ce que je suis et ce que je veux devenir. Il m’arrive de rêver d’une existence minime, remplis de petites satisfactions et de petits efforts. Une existence qui ne mène pas aux aspirations et à la déception. Une vie simple et tranquille, et cela même si je dois me complaire dans la passivité et la morosité. Cependant, une partie de moi, une inextinguible volonté, ne souhaite qu’une seule chose. C’est l’élévation et le dépassement de ce désaveu face au grand et au sublime. Tu n’es pas qu’une seule entité, tu es un miroir qui reflète en un millier de couleurs une silhouette grisé par son désir du monochrome. Je ne connais pas encore toute la qualité des couleurs que tu as à me proposer. Mais sache qu’il y a un mépris en moi qui ne souhaite que ta disparition. Il y a des facettes en moi que je ne voudrais jamais croiser, des facettes plus bien sombres et bien plus denses que le noir. J’ai sciemment décidé d’imaginer un alter-ego qui pourrait symboliser tout cet amas de pensées, d’idéaux et de comportements qui ne cesse de s’enraciner dans mon esprit. Si je le voulais, je pourrais tout simplement t’effacer de mon esprit mais si je ne manifeste pas la contestation que tu incarnes, j’ai peur de risquer un dénouement pire que la mort. Et je ne sais pas en quoi ce dénouement déboucherait, je ne sais même plus si je te connais vraiment…
–    Ton discours est insensé, j’espère que tu t’en rends compte…Et qu’est-ce qui me dit que ce ne serait pas toi, cette constatation ?
–    Absolument rien, et je n’ai vraiment pas envie de le savoir. Tu représentes l’ordre et la correction dans ce chaos ni coloré ni monochrome. Je vais t’appeler Orthos. Comme le chien bicéphale de la mythologie grecque.
–    Si ça peut te faire plaisir. Malgré tout, je tiens à te dire qu’il est prétentieux de ta part de penser que tu es celui qui « crée ».
–    Je n’ai pas envie qu’on recommence cette discussion qui va mener à une énième et inutile remise en question. N’oublie pas que j’ai juste à m’infliger un violent choc thermique pour que tu te tiennes tranquille. Maintenant, il faut qu’on parle de ce qui s’est passé l’autre jour sur les qu–

Avant qu’il n’ait pu terminer sa phrase, quelqu’un toquait à la porte. Comme Negory n’avait pas de proche à Paris et que le facteur était déjà passé depuis quelques heures déjà, nous étions surpris que quelqu’un puisse toquer ici si tard la nuit. Nous nous regardions, dans l’attente qu’un inconnu insiste en rajoutant plus de vigueur sur ses coups de portes. Ils retentissaient encore une fois comme un divin verdict.
« Est-ce qu’il y a quelqu’un là-dedans ? Nous sommes des inspecteurs de police, veuillez-nous ouvrir. »

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