Chapitre 6 – partie II

9 mins

« Tu n’es qu’une enfant Azilis… Et les enfants n’ont pas à porter le fardeau du monde sur leurs épaules »




    Azilis recula, bouleversée par ce qu’elle venait d’entendre. Sa confiance naissante pour le médecin s’évapora en un rien de temps. Il agissait exactement comme son père. Xene jura et tenta de s’expliquer :

« Azilis écoute moi ! Je t’en prie… Il y a certaines choses que je peux te dire. »

La jeune fille ne bougeait plus, et lui fit signe de poursuivre.

« La magie d’Ethérion se dérègle. Tu as dû le sentir normalement .. Certaines irrégularités refont surface, des tensions oubliées reviennent sur le tapis, .. Ce n’est pas un hasard si au même moment, une enfant est retrouvée avec un pendentif de morganite autour du cou. Le même pendentif qui avait disparu quinze ans auparavant. La Grande Prêtresse a choisi de refaire surface et nous avons été les premières informées.

– Qui ?

– Les précieuses, Azilis. .. Je croyais que Chaya t’avais expliqué ce que l’on était ..

– Elle m’a seulement dit que c’est grâce aux précieuses que l’on m’avait retrouvé. Mais ce concept n’a toujours aucun sens pour moi. »

Le médecin s’arrêta un instant, en pleine réflexion. Après quelques secondes, son visage s’éclaircit et il prit une profonde inspiration avant de se lancer :

« Les vingt-sept précieuses qui coexistent sont toutes liées entre elles. La Prêtresse leur a donné un seul et même objectif. Lui être fidèle. Chacune représente un concept ou un élément mais par-dessus tout, elles sont irrémédiablement attirées par  la morganite. Ce soir, tous les conseillers étaient à cran.

– A cause de l’histoire du camp de nephily ?

– Non Azilis. La tension venait de toi. Ou plutôt de ton collier. .. Il reste tant de choses que tu ne connais pas à notre sujet …

– Tu es une précieuse !?

– Comme toutes les personnes présentes au banquet, oui. »

Azilis secoua la tête incrédule. Pour la convaincre, Xene sortit son pendentif de sa tunique et l’épousseta délicatement, sous les yeux inquisiteurs de la jeune fille.

« Une des précieuses primaires. Je te présente la vitale Emeraude. »

    La gemme s’éclaira faiblement à la mention de son nom et une onde d’énergie grésillante se forma autour d’elle avant de se disperser dans l’air du soir. Azilis ressenti aussitôt un regain de force qui lui arracha un hoquet de surprise.

« Très agréable n’est-ce pas ? demanda le médecin, tout sourire.

– C’est .. étrange. Et tellement pratique !

– Pour sûr. En tant que médecin, elle m’a permis de devenir le meilleur du continent. Quoi de mieux pour soigner que l’énergie vitale ? .. Mais ce n’était pas le sujet, Azilis. Ce qu’il faut que tu comprennes, c’est que les emporions ont tous des précieuses à leur service, et qu’il doivent déjà être au courant de ton existence. Pour eux, tu représente le pouvoir absolu, le pouvoir de la créatrice elle-même. Il vont tous te vouloir à leurs côtés. Mais ils ne sont hélas pas tous aussi bienveillants que sa Majesté Êta…

– Mais qu’est-ce que je peux bien faire !? Je ne sais même pas qui je suis vraiment …

– Je sais, ça fait beaucoup de choses à accepter … Et surtout beaucoup de responsabilité. Azilis, tu dois trouver ce que cherche Morgana. Toi seule peut réellement avoir accès à ses pensées.

– Mais comment ?

– Tu dois apprendre, à la connaître elle, et à te connaître toi. Ensuite il faudra que tu trouves une solution. Je n’aurai pas dû te traiter d’enfant tout à l’heure … Mais tu es encore si innocente et si pure pour ce monde égoïste .. Il te suffit d’un seul faux pas pour qu’il t’entraîne dans ses abysses.

– Ce que tu me demandes est impossible …

– Je veux que l’on passe un marché. Je te jure de retrouver Kélia et Astrée quoi qu’il m’en coûte. Et de ton côté, tu me promets d’agir et de sauver le monde de sa folie meurtrière. Tu es libre Azilis. C’est cela ton pouvoir. »

La jeune fille se détourna pour embrasser le paysage nocturne du regard. Le monde ne lui semblait pas si sombre que cela depuis son balcon. Le médecin fit soudainement volte-face, le visage inquiet.

« Ils nous cherchent. Je te conseille de rejoindre ta chambre au plus vite, je vais leur faire faire un détour pour ne pas qu’ils s’aperçoivent de ton absence. »

Azilis n’eut pas le temps de réagir que Xene l’entraînait déjà vers l’intérieur du palais d’un pas pressé.

« Tu sauras retrouver ton chemin ? »

Elle hocha lentement la tête, perdue dans ses réflexions. Le médecin la relâcha et s’éloigna dans un couloir adjacent, lui adressant ses dernières directives.

« Reste ici cette nuit. Je repasserai te voir demain pour m’assurer de tes soins. D’ici là, tâche de ne pas t’attirer davantage d’ennuis et reprends des forces ! »

    Ses derniers mots résonnèrent dans le corridor alors qu’il avait déjà disparu, laissant la jeune fille seule pour s’orienter dans ce labyrinthe. Malgré la fatigue et les centaines de questions qui lui torturaient l’esprit, Azilis retrouva rapidement ses repères et s’activa pour retourner à sa chambre au plus vite.

                                                                                    *  *  *

    Azilis referma la porte et poussa une longue expiration, soulagé d’avoir atteint son objectif sans encombre. Elle fit rapidement le tour de la pièce pour s’assurer que ses affaires étaient intactes avant de s’effondrer à plat dos sur le lit. Maintenant qu’elle était seule, elle sentit sa fatigue et sa douleur s’emparer de son corps la drainant de toute son énergie restante. Même si elle avait voulu s’enfuir ce soir, elle n’en n’aurait pas été capable.

    La jeune fille ferma les yeux et repassa les paroles du médecin dans sa tête, pour tenter de les comprendre. Seulement, toutes ces informations s’entrechoquaient et elle ne trouva aucun lien évident à sa situation. Comme à chaque fois depuis qu’elle était ici, les évènements lui échappaient. Azilis grogna faiblement devant son impuissance et se redressa pour saisir son sac.

    Elle en sortit son vieux chiffon gris et déballa soigneusement l’objet qu’il contenait. Le tissu laissait place à une magnifique corne de chasse taillée dans de l’ivoire immaculé. La jeune fille ne l’avait jamais vraiment observé en détails vu qu’elle ne s’en servait pas. Elle savait seulement qu’il avait appartenu à sa mère et qu’il se transmettait de génération en génération depuis sa création. De ce fait, elle lui avait toujours donné une importance sentimentale, sans vraiment comprendre pourquoi. Azilis retourna l’objet plusieurs fois dans ses mains, parcourant délicatement de son pouce les gravures qui l’ornait.

    Les dessins semblaient très âgés, si bien qu’ils étaient lissés par endroit. La jeune fille n’arrivait pas à reconnaître les figures présentes, mais elle ne pouvait qu’admirer le travail de sculpture qui avait façonné la corne de chasse. Elle n’était pas très longue, ne pesait pas très lourd, mais elle représentait une tête de chimère, loup par endroit et dragon par d’autres. C’était comme si ces animaux se confrontaient tout en s’associant à travers l’objet, de sorte à ne former qu’une seule créature.

    Dans sa contemplation, un léger détail attira son attention. Azilis retourna l’objet et observa plus attentivement ce qui s’apparentait à la gorge de la créature. Là, confondue au milieu des dessins finement gravés, se trouvait deux initiales : A.C. Le cœur de la jeune fille manqua un battement. Azilis revérifia aussitôt l’écriture pour se persuader qu’elle ne rêvait pas avant de reposer la corne dans son chiffon d’une main tremblotante. Ces deux lettres venaient de réveiller quelque chose dans son esprit, mais elle n’arrivait pas à savoir quoi.

    Azilis se mordit la lèvre, confuse. Pourquoi graver des initiales quand l’objet est voué à être légué ? Serait-ce celles de son premier possesseur ? Celles de sa mère ? Alors que ses pensées commençaient à s’emballer, la jeune fille fut interrompue par le grincement de la porte. Elle dissimula à la hâte sa corne de chasse avant de se retrouver face à face avec un homme d’une trentaine d’années, qui la fixait d’un œil suspicieux. Azilis le reconnut aussitôt. C’était le conseiller du géant, qui se trouvait en face de Chaya lors du banquet. Cet homme étrange se trouvait être le fameux Paradox.

    Le nouvel arrivant s’avança d’un pas assuré sans quitter les yeux de la jeune fille, s’arrêtant à moins d’un mètre d’elle. Azilis ne bougea pas, essayant de réguler son souffle du mieux qu’elle pouvait. Cet individu n’était pas ici pour une visite de courtoisie. De toute évidence il cherchait quelque chose, et il ne partira pas sans l’avoir obtenue. Instinctivement, Azilis passa nerveusement son pouce sur sa bague en argent, prête à réagir au moindre danger.

L’intru la dévisageait avec insistance, se frayant lentement un chemin mental vers l’esprit de la jeune fille. Sa voix envahit subitement l’espace, profonde :

« A quoi joues-tu ? »

Azilis cligna des yeux, totalement désorientée.

« Euh .. Je .. Excusez-moi ?

– Oh non, tu n’as pas le droit de m’ignorer. Pas comme ça. Répond ! »

    La jeune fille recula devant cet ordre sec. Elle ne savait absolument pas comment réagir. Cet homme venait de débarquer et il lui parlait comme s’ il la connaissait. Pire, comme s’ ils se connaissaient, et depuis un long moment. Mais ce qui perturbait le plus la jeune fille, c’était ce regard lointain et dur qu’il lui adressait depuis qu’il était entré. Face à l’absence de réponse, l’intrus commença à perdre patience et une aura bleu saphir se matérialisa aussitôt autour de lui.

« Tu n’es pas ici par hasard ! Alors quoi ! Tu as choisi d’agir seule cette fois-ci !? C’est de cette façon que tu récompense la loyauté !?

– Je ne comprends pas ce ..

– Ne feint pas l’ignorance ! Tu peux duper beaucoup de monde ici, mais pas moi. Alors pour la dernière fois, qu’as-tu derrière la tête !? »

    Azilis se heurta au mur, paniquée. Elle se sentait prise au piège, et chaque mot que prononçait l’inconnu se répercutaient violemment dans sa tête, comme s’ils cherchaient une cible invisible. La jeune fille balbutiait des phrases incompréhensibles, priant pour qu’il cesse, mais cela ne sembla pas inquiéter l’homme qui ne lâchait pas l’affaire.

« Morgana, cesse de te cacher et montre-toi ! »

    Pour toute réponse, Azilis s’effondra à genou et poussa un hurlement étouffé. Son pendentif s’illumina soudainement et une puissante lumière emplit la chambre, avant de s’éteindre aussi rapidement. Pendant quelques secondes, Azilis n’entendit que le sang qui battait à ses tempes. Le décor mit un instant avant de redevenir net et la jeune fille revint à la réalité, complètement à bout de souffle. L’aura de l’homme avait disparu, emporté par le flash, et ce dernier affichait à présent une mine soucieuse. Azilis se redressa avec peine et dévisagea l’inconnu, une lueur de panique dans les yeux.

« Qu’avez-vous fait ? »

L’intéressé releva la tête et sembla remarquer la jeune fille pour la première fois.

« J’ai essayé de comprendre. Mais ça ne lui a pas plu. .. As-tu déjà échangé avec elle ? »

Azilis secoua négativement la tête. L’homme avait totalement changé d’attitude et paraissait presque déçu de la situation.

« Ce n’était pas à moi que vous vous adressiez, constata la jeune fille d’un air déconcerté.

– Non, en quoi aurais- tu pu m’aider ? Elle se cache derrière ton ignorance et t’utilise comme bouclier. Et je ne m’adresse jamais aux boucliers. »

Azilis plissa les yeux devant cette comparaison peu flatteuse.

« Elle ne semble pas bavarde de nature, votre Morgana …

– Oh que si, elle est bavarde. Seulement, tu n’as pas les outils pour l’entendre, ni pour la comprendre.

– Alors pourquoi venir ici, puisque je suis si inutile pour vous ?

– Comme je te l’ai dit, ce n’est pas toi que je suis venu voir. Elle ne veut pas se montrer ? Soit, je me retire. .. Tu n’aurais pas quelque chose à m’apprendre, jeune insouciante, avant que je ne quitte cette pièce ? »

La jeune fille haussa mollement les épaules.

« Vous avez tous l’air de croire que cette .. Morgana me contrôle. Seulement voilà, hier encore je n’avais pas conscience de son existence. Alors n’allez pas croire que je sois à l’origine d’un complot mondial, ou que j’en sois la solution. J’ai déjà assez de problèmes avec moi-même, pas la peine de m’en rajouter … »

Le conseiller esquissa un sourire compatissant avant de faire volte-face.

« Tu n’es pas au bout de tes peines. Si jamais tu as quoi que ce soit à me dire ou à m’apprendre sur elle, viens m’en faire part, je suis le seul ici qui soit capable de te donner des réponses claires. .. Et dors, on dit que la nuit porte conseil.»

    Sur ces paroles, il sortit de la chambre et referma la porte. Azilis secoua la tête, lasse. Elle n’avait plus de forces et l’irruption de cet homme n’avait rien fait pour améliorer son état psychologique. La jeune fille rejoignit avec peine son lit et entreprit de ranger ses affaires qu’elle avait éparpillé sur les draps. Puis, elle contempla encore un instant sa corne de chasse avant de l’envelopper dans son chiffon et la déposer doucement au fond de son sac.

    Azilis passa précautionneusement ses doigts sur sa blessure, qui s’était déjà complètement refermée pour laisser place à une épaisse cicatrice violacée. La douleur lui semblait moindre et elle ne pouvait que s’en réjouir. La jeune fille ne prit même pas la peine de tirer les grands rideaux et s’affala sur le matelas avant de se glisser sous la couverture. La journée avait été trop émotionnelle pour elle, et son cerveau n’était plus apte à réfléchir tellement ses pensées s’emmêlaient.
Alors que la jeune fille se sentait aspirée dans le sommeil, une petite voix la raccrocha à la réalité.

« Azis. »

    L’intéressé se retourna péniblement dans les draps pour voir qui venait d’entrer. Debout dans sa robe blanche, Chaya se tenait dans l’entrée de la chambre, les yeux rivés sur la jeune fille. Elle s’avança sans un bruit jusqu’au chevet d’Azilis avant de s’asseoir sur le bord du lit. Elle prit la parole à voix basse :

« Excuse-moi de te déranger, je venais voir si tu allais bien. .. Tout le monde était très tendu après ton départ, mais Paradox a calmé les tensions et il a convaincu Êta de te laisser du temps. .. Je .. Je vais te laisser tranquille pour que tu te reposes. Azis, il faut que tu reste ici un moment. Il te faut te soigner et t’instruire, et il y a beaucoup trop d’éléments inconnus. .. Laisse-moi du temps, et nous trouverons des solutions ensemble. »

    Chaya se leva en douceur et posa ses deux mains sur le mur le plus proche. Une seconde plus tard, toutes les cloisons se couvrirent d’une poussière verte, formant un filet de particules vibrantes. La petite fille afficha un sourire satisfait, et se dirigea discrètement vers la sortie.

« Qu’est-ce que c’est ? souffla Azilis d’une voix presque éteinte.

– Une protection. Personne ne viendra te déranger cette nuit. Tu peux dormir sans crainte. »

    La jeune fille articula silencieusement un remerciement avant de se laisser emporter par l’obscurité du sommeil. Chaya éteignit d’un souffle les bougies qui éclairaient la pièce avant de s’éclipser, laissant Azilis seule au pays des songes.


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