En blouse blanche

4 mins

  Depuis le début de sa formation en infirmerie, Natacha a souvent entendu cette phrase «  Je n’aime pas les hôpitaux ». Peut-être que les malades guériraient plus vite s’il y avait des couleurs. Mais non, dans les hôpitaux la couleur n’existe pas, la bonne humeur ne tient pas, le silence est roi. Ici le blanc est de mise partout, les blouses, les draps, les murs. Ou le noir invisible et dissimulé dans les esprits obscurs des malades et de leur famille quand l’espoir de guérison n’est plus permis.

Le stage qui a ouvert sa deuxième année s’est déroulé dans le service d’oncologie de l’hôpital.

Les chemins empruntés sont longs, sinueux et semés d’embûches pour les étudiants. Apprendre le fonctionnement de l’hôpital avec sa machine médicale, son jargon obscur, son rythme effréné…

Difficile.

   Dans ce service, elle a vu les visages sans artifices. Durant leur parcours semé d’hospitalisations, de radiothérapies et de chimiothérapies, l’univers des malades s’est restreint et réduit à leur carte vitale attestant de leur affection longue durée.

Des mois entre parenthèses. Rester focalisé sur le présent qui se conjugue à l’extrême.

En traversant les couloirs, par un détail qui entre dans son champ de vision ou frappe son oreille, elle peut deviner ce qui préoccupe l’une ou l’autre : les crânes clairsemés sous les foulards ou les perruques mal ajustées, le vêtement ample et vide qui habille celle en attente de sa reconstruction, les cicatrices…Les douleurs à l’image du corps.

Comme une armée de combattantes, ces malades sont sur le même champ de bataille contre ces petits bataillons de cellules ennemies. Elles souffrent dans leur chair mais trouvent cette force intérieure qui les aide à avancer jusqu’au bout de leur calvaire.

   Après sa mastectomie, elle a approché Juliette, une quinqua pour laquelle elle a dispensé les soins post-opératoires, entendu ses sanglots étouffés et retenus devant le miroir lui renvoyant l’image de sa mutilation, en la rassurant autant que faire se peut en évoquant la reconstruction dans quelques mois. Puis elles bavardent un peu et c’est alors que Juliette lui demande :

 – Natacha, savez-vous pourquoi vos parents vous ont donné ce prénom ?

 – Oui, c’était le choix de ma mère, en souvenir du personnage féminin principal du roman

« Guerre et Paix » de Tolstoï qu’elle avait adoré.

 – Vous la représentez bien ! Voulez-vous savoir pourquoi je me prénomme Juliette ?

 – Laissez-moi deviner ! Peut-être un rapport avec Roméo et Juliette ?

 – Non, mais ma mère avait vu « Et Dieu créa la femme ». Elle trouvait Brigitte Bardot magnifique et sculpturale dans le rôle de Juliette ! C’est une mauvaise farce ne trouvez-vous pas ? Vous imaginez Brigitte Bardot avec un seul sein !

Elle a balbutié quelques mots de pacotille sans oser la regarder. « Je ne suis pas au point » se dit-elle

Ses jambes ne la portent plus…

Elle est sortie de sa chambre en lui promettant de repasser dans la journée.

Elle doute sur sa capacité à endosser ses propres faiblesses. En faisant face quotidiennement à la maladie et à la souffrance pendant des années, arrivera-elle toujours à rester optimiste auprès des malades et dans sa vie privée de tous les jours ?

Elle en a parlé avec sa tutrice et sa formatrice qui l’ont rassurée. Non, elle n’est pas une chochotte !

Avec le temps, elle va se forger une carapace pour affronter les malheurs des autres et grandir humainement sans se laisser détruire de l’intérieur.

Sans devenir une mère courage, elle se battra pour donner aux malades ainsi qu’à leur famille le sourire, la présence, le soutien et tout ce dont ils ont besoin sans faire jouer sa corde sensible.

C’est à elle qu’il appartient de relever ces défis que ce métier magnifique exige.

   A 19h30, elle dépose sa tenue dans son casier pour l’oublier le temps d’un week-end.

Un message de Louise, son amie-sœur, lui met du baume au cœur «  Nat, un pique-nique demain au Jardin des Explo, ça te dit ? Si oui, je passe te prendre vers 18h.

Et sa réponse instantanée : Ouiiiiiiiii.

Malgré la fatigue accumulée, elle ne trouve pas le sommeil. Une question tourne en boucle dans sa tête : Ce métier est-il fait pour elle ? Elle reste bloquée sur cette phrase. L’aiguille douloureuse a creusé son sillon sur ces mots jusqu’à en rayer chaque lettre.

   Dans une multitude d’espèces exotiques rapportées par des explorateurs du dix-huitième siècle, le Jardin des Explorateurs est un joli coin de nature en ville où se mêlent : palmiers, fougères arborescentes, lins de Nouvelle-Zélande, anémones du Japon, variétés plus connues sous d’autres latitudes. Situé en surplomb de la rade, il offre une vue d’exception sur le château et la base navale depuis la passerelle du belvédère.

Alors que quelques rayons de soleil font leur apparition, les deux copines se laissent tomber sur un banc encore tout ruisselant de la récente averse.

Un banc est un lieu privilégié pour les bavardages où l’on refait le monde en toute liberté, caché des autres par le simple fait d’être à la vue de tous. Une boîte à secrets.

Un rendez-vous d’amitié, coloré de tous les bleus de l’âme et du corps où l’on peut alléger le fardeau des maux sans craindre de fracturer une solide amitié.

De son esprit désordonné s’envole une rafales de mots que Louise récupère avec empathie.

Après cette pause ultra vitaminée, Natacha retrouve une énergie nouvelle. Réconfortée grâce à elle.

   Le ciel se charge de lourds nuages. Elles se préparent à quitter leur isoloir avant que la pluie bretonne, familière, amicale et intrusive, s’invitant en toutes occasions sans jamais les surprendre, ne vienne déranger leur repli jusqu’à la voiture.

Natacha n’a rien vu du trajet emprunté et alors que Louise la dépose devant sa porte, ces quelques mots comme une bouffée d’air frais :

 – N’oublie pas que je ne serais jamais bien loin pour booster tes motivations si tu venais à les perdre ! Tu portes la blouse blanche mieux que personne !!

« Merci mon amie-sœur, j’aime tellement cette tenue que la raccrocher est impossible, se dit-elle au fond de son cœur ».

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6 Commentaires
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Marco O' Chapeau
3 mois il y a

Un beau récit, sensible et touchant. Oui, il y a des beaux métiers, l’amitié, les doutes aussi, c’est la vie.

Haldur d'Hystrial
3 mois il y a

Très chouette,

Ce métier est-il fait pour elle ? je me suis amusé à retourner la question dans ma tête : Est-elle faite pour ce métier ?
J’adore l’expression amie-soeur si proche d’âme soeur. Vraiment très beau.
Une dernière remarque, j’ai un peu été gêné du manque de tirets pour les dialogues.

A bientôt

Séverine Thibaut
3 mois il y a

Très joli hommage rendu aux gens qui exercent ce métier si difficile ! A leur dévouement, à leur force aussi (et surtout).
Bravo Cora Line

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