Journal d’un loup, page 30 à 34 ” A l’Est “

7 mins

                                                

 

A L’EST

12/06/87

Je profite d’avoir un peu de viande séchée en réserve pour partir en exploration vers l’est. La viande séchée est vraiment ce qu’il y a de mieux pour voyager. Légère, elle ne prend pas de place. On peut ainsi en mâcher des morceaux en marchant ou bien pulvérisée et mélangée à du gras et des herbes en faire un bon bouillon revigorant quand on se pose.

Je fut vite arrêté par la « grosse rivière » qui se révèle infranchissable. Je l’ai longée jusqu’aux falaises de craie, laissant sur ma droite un petit pont qui permet à une départementale de la traverser.  Je voulais voir ces grands murs de calcaire façonnés par la rivière au fil du temps. Ils sont percés sur leur face exposé au nord de centaines de petits trous occupés une partie de l’année par des hirondelles de rivage et des trous plus gros peuplés eux par une colonie de choucas des tours. Sur leur façade sud de vieilles maisons troglodytes séculaires habitées jusqu’en 1920 puis abandonnées. Ensuite elles ont été squattées par plusieurs générations de gamins qui en ont fait leur terrain de jeu. Quelques marginaux y cohabitent encore. 

Bizarre cette mémoire sélective qui me permet de me souvenir de tous ces petits détails mais pas de choses importantes.

J’ai l’impression de connaître ces lieux, d’en faire partie ? Je suis chez moi au milieu de cette nature et ce que je ne reconnais pas, je vais l’apprendre !

 Réflexion: Est-ce que se sont les hirondelles, en perçant le tendre calcaire pour se protéger des prédateurs, qui ont donné l’idée aux choucas d’agrandir leurs trous pour y habiter ? Puis les choucas qui ont fait penser aux hommes de creuser la falaise pour y faire leurs habitations …?

Enfin j’arrivai au « pont du confin Est »  qui délimite mon territoire à l’est car après c’est la “Grand-Ville”. Inutile de poursuivre plus loin, je traversais donc à cet endroit.

J’ai suivi la “Petite rivière” vers l’amont et gravi la “colline aux silex”. 

Du haut de cette colline, j’ai un large panorama qui s ‘étend jusqu’à la “grosse rivière”. Sur ses pentes, s’étale une forêt d’épineux torturés et d’arbustes malingres qui ont du mal à faire pénétrer leurs racines dans le sol siliceux. Plus haut, une caverne connue pour ses chauves-souris. La voûte s’est effondrée, ne gardant de l’entrée de la grotte à demi éboulée qu’une cavité peu profonde. Le fond qui est fermé par une grille permet de laisser entrer et sortir les petits mammifères volants ainsi protégés, mais l’anfractuosité restante autorise tout de même de pouvoir se mettre à l’abri le temps d’un orage. Ce site est bien connu des archéologues qui l’ont fouillé à maintes reprises, hormis le souterrain à cause des éboulements. C’est une sorte de forge lithique. Une manufacture millénaire d’outils et d’armes de silex. Les ancêtres des hommes ont frappés sur des enclumes de pierre pour leur arracher les nucléus qui leur fourniraient les outils dont ils avaient besoin, Les alentours de la caverne recèlent encore quelques petits trésors parmi les amas de débitage éparpillés où la végétation à bien du mal à s’implanter. Des siècles de déchets de taille, chutes d’objets ratés ou abandonnés d’un coup pour d’obscures raisons. J’imagine ces hommes tapant des heures entières sur ces cailloux.  Et l’état de leurs pieds ! Ils ont dû bien vite inventer la chaussure.( je souri à ma blague) Et leurs mains car manipuler ses lames pendant des jours occasionne certaines blessures. Le choc du percuteur envoie des éclats vers les yeux, fragments tranchants qui coupent les avant bras, se plantent dans les bustes nus et écorchent le bout des doigts si l’on est pas protégé.Je ramasse plusieurs morceaux qui ressemblent vaguement à des pointes de flèches, tranchant comme des rasoirs, et en les triturant l’idée me prend de faire un arc dès que je trouverais le bois adéquat. 

Mais oui, un arc ! Pourquoi n’y ai-je pas pensé plus tôt ?

La journée étant bien avancée, je décide de camper là.  L’accès à ce site est très  limité car le gel affûte les blocs, années après années, rendant l’ascension d’autant plus difficile. Les coussinets des chiens souffrent sur ces pentes acérées et il vaut mieux ne pas glisser. 

Au-delà de la caverne, le sommet est déboisé presque chauve. D’ici la fumée d’un campement se verrait à des lieues à la ronde et il n’y a pas beaucoup de bois sec à brûler. Ce n’est pas encore ici que j’établirai mon camp permanent. Mais c’est un bon observatoire. Au nord je vois parfaitement  la falaise aux hirondelles et celle des troglodytes ainsi que les deux routes qui mènent à St Loup, puis sur la rivière en amont le pont du rond-point, plus bas le pont des falaises et en aval le pont du confin Est. Au sud, l’horizon est bouché par les trois monts couverts de sapin, mais je distingue tout de même une ferme dans son vallon.  

13/06/87

J’ai marché toute la journée. Suis crevé, J’écrirai demain. 

14/06/87

Hier. Je suis revenu vers mon parking en longeant la “petite rivière”, elle même côtoyée par une route départementale. Au sud, le coin est assez boisé et montagneux, tranquille si ce n’est une  grosse ferme d’élevage dont nous nous sommes aprochés. C’est une sorte de louvière entourée de pâturages et gardé par un chien jaune. Aux bords d’une pature peuplée de vaches, alors que nous suivont un chemin, mon regard est attiré par un cube blanc prés d’une mangeoire et d’un abreuvoir. Je passe à l’intérieur en écartant les fils électriques pour en avoir le cœur net. Hourra! c’est bien du sel! J’en éclate un gros morceau. Voilà qui va changer le goût de mes aliments. Au passage, Pax s’est pris une décharge en voulant me suivre et le voilà qui s’enfuit sur le chemin malgré mes rappels. Il ne s’arrête que quand il a dépassé les limites de la pâture traîtresse vite rejoint par Saho. 

 J’ai laissé sur ma gauche un grand étang aperçu depuis le haut de la colline et qui évoque un héron avec une île en son milieu qui formerait son aile. L’endroit ressemble à une ballastière avec de hautes sauterelles qui crachent du sable et des cailloux et une ribambelle de camion benne qui attendent d’être chargés. Plus tard j’ai suivi le mur d’une grande propriété, au travers d’une brèche, j’ai cru voir des daims. La faille descend jusqu’au premier rang de moellons de pierres meulières et des carreaux de craie jonchent le sol dans une poussière de chaux et de terre ocre. Le trou à été bouché avec un gros grillage pour interdire aux animaux de sortir ou bien d’entrer. 

Quand je rejoins le rond-point, la nuit est tombée, et la friterie qui se trouve sur un petit parking, est fermée. Mais le rond point et ses environs sont grouillant de vie, toute une famille de garennes vit là au milieu de massifs d’arbustes épineux, de lavande et de plantes couvre sol. Un ruban de galets de bords de mer simule grâce à une fausse perspective, une allée jamais empruntée. Je cueille un bouquet des premières fleurs de lavande pour de futurs thés. 

La poubelle de la friterie me donne quelques patates ramollies et une quantité de barquettes en plastique. J’en choisi quelques-unes parmi les plus propres. Posé à côté de la boîte à ordure, plusieurs bidons de 5 litres d’huile de friture usagée, j’en prend un qui me servira sûrement. 

Les chiens courent comme des fous après des lapins qui se jouent d’eux parmi les épines. Inutile d’insister, des phares approchent. Il vaut mieux se cacher avant de traverser le pont pour repartir au parking des moines. 

Résultats d’expédition: 

5 litres d’huile de friture,

Un bouquet de lavande pour tisane,

Un bon morceau de sel, 

Une dizaine de pomme de terre,

6 barquettes à frites en plastique et des éclats de silex.

14/06/87

Ce matin, charognage rien.

Réflexion : L’Homme n’est pas équipé naturellement pour la chasse. Le constat  est désespérant quand je me compare à mes deux acolytes. Je n’apporte vraiment rien dans notre association. Le feu peut-être ? Quoiqu’ils n’en aient pas besoin. Comment justifier de leur attachement, leur fidélité ? La reconnaissance ? Mais en quoi devraient-ils m’être reconnaissant ? Il leur suffirait de partir pour ne plus traîner ce boulet d’humain. Je ne serais même pas capable de les retrouver.  

Une forme d’amour peut-être ? Ou l’habitude tout simplement .

Je fait cuire 5 patates avec de l’oseille sauvage et du sel.

Repos et  bricolage d’un arc.

 Depuis que cette idée d’arc me trotte dans la tête je me suis mis en quête d’une branche qui conviendrait.

J’ai donc choisi un petit frêne séché sur pied mais pas pourri. Je l’ai coupé à une longueur égale à ma hauteur, puis je l’ai affiné sur son gros côté, désépaissit sur le ventre en gardant une poignée au milieu, chauffé et mis en forme à la vapeur puis contraint pendant le refroidissement. Pendant qu’il finira de sécher je m’emploierais à trouver de quoi faire une corde.   

-Faire une corde

-Refaire le plein de bouffe.

Dès que j’aurai quelques provisions je repartirai.

15/06/87

Notre petite balade matinale fut récompensée. C’est un chevrillard que nous avons

trouvé dans le fossé le long de la route. Les reins brisés, il a dû agoniser plusieurs heures avant de mourir. C’est un bon coin, car une belle coulée apparemment fort fréquentée, traverse la route à cet endroit. 

Je l’ai tiré dans le bois pour le découper et j’en ai prélevé les deux gigues pour moi. Le reste est pour les chiens qui ne laisseront pas grand chose aux renards. Je suis rentré tranquillement avec mon butin pour le préparer en cueillant quelques plantes pour l’accommoder.

Je fais boucaner la viande d’une gigue désossée pour une future exploration et je cuisine l’autre pour moi maintenant avec les 5 patates qui restent. Les chiens sont revenus et dorment paisiblement.

J’aurais dû conserver la peau !

 Réflexion : Dans mon fort intérieur je sais que je serai encore dehors pour l’hiver, alors autant m’y préparer dès maintenant.

– Prélever les peaux et les tanner en prévision de l’hiver.

16/06/87

Pendant que sèche ma viande, je tresse une corde avec des lambeaux d’écorce de tilleul ramassés au cours de ma tournée matinale. J’ai de quoi en faire deux j’en aurais donc une de rechange. Tout en machouillant un bâtonnet de chair séchée, je sculpte les poupées qui retiendrons cette cordelette. Bientôt les premiers essais!

17/06/87  

En revenant, toujours furtivement, de mes courses en fin de matinée, j’entendis des éclats de voix. Il y avait de l’effervescence sur le parking, autour d’un véhicule aux vitres cassées. Des gendarmes, avec un couple de touristes apparemment Allemands qui se sont fait voler des trucs dans leur voiture. Les flics se sont cantonnés au parking et ne sont pas montés dans les bois. Inutile, les voleurs n’ont pas dû traîner après leur larcin, mais il risquent de revenir et les bleus plus souvent  aussi. Ça craint !

 

A la lecture de cet extrait, le brigadier ne se lève pas pour vérifier, les vols à la roulotte sont tellement fréquents sur ces parkings qu’ils font rarement l’objet d’un dossier complet. Au mieux un rapport ou une main courante. 

 

18/06/87

Premiers essais de tir à l’arc. J’ai bricolé vite fait quatre flèches dans des tiges de noisetier bien droites. Les rémiges des chouettes que j’ai conservées en bouquet feront l’affaire pour stabiliser les traits et je n’y mettrait pas de pointes pour l’instant.

Un entraînement intensif s’impose ! 

J’ai aussi re-bricolé ma boussole. Je l’ai faite plus petite, l’aiguille est un morceau aimanté du muselet de champagne, de 2cm il est fixé à la résine de sapin sur un morceau de liège à peine plus long ni plus large que lui et qui nécessite du coup un récipient moins gros. 

Réflexion : Il me faut emmener mon arc partout avec moi pour m’y habituer et m’exercer le plus possible.

18/06/87 au soir

Je peux refaire un arc ! Celui-ci a cassé, une faiblesse près d’un nœud ! Dégouté !

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