Journal d’un loup, page 34 à 37

7 mins

                                      

AU SUD

19/06/87

Le jour est à peine levé.

Je suis reparti vers le sud cette fois. Je repasse par le pont des Garennes, puis sud-ouest pour m’enfoncer en direction d’un grand plateau pauvrement boisé qui domine la forêt. Je contourne un étang qui n’est pas l’étang du héron, presque aussi grand mais que j’ai dû confondre dans mes deux observations entre le point de vue “Napoléon” et le haut de la colline aux silex. 

Sur ma droite, un autre parking qui alimente en visiteurs un endroit entouré de barrières de rondins, protégé, planté de poteaux indicateurs, source de plusieurs sentiers de randonnée. Ce lieu me rappelle quelque chose? Mais oui !… Nous sommes dans un parc naturel qui abrite des “faux”, ces arbres biscornus aux origines incertaines. On raconte que des moines, apprentis généticiens, ont trafiqué des hêtres, des chênes et autres arbres à cet endroit. Mais dans quel but ? La science actuelle pense que le phénomène serait plus “naturel”. 

La matinée est bien entamée et le parking déjà fréquenté.Trop de monde ! Je longe discrètement la partie touristique réservée aux arbres difformes et m’enfonce dans la forêt en piquant au sud en direction de la “montagne”. Montagne, car elle est plus haute que les collines environnantes, mais ici point de neige. C’est plutôt un plateau pierreux et inculte sur sa partie nord. On y trouve d’ailleurs, une très ancienne carrière de meulières destinées aux meules à grain qui a fermé vers 1850.

C’est certain je connais bien cette région qui a souffert de la guerre et où persistent des tranchées et des trous d’obus.! 

Oui ! Je reconnais cette forêt pour y avoir déjà chasser à plusieurs reprises et en différents endroits.

Sur sa partie sud, à l’écart de tout véritable chemin et très mal entretenue, la forêt qui s’étale à ses pieds, gravit progressivement ses flancs. Des zones touffues de broussailles épineuses, de pins et de sapins alternent avec des zones de feuillus d’essence diverses comportant tout de même quelques arbres remarquables étant donné la difficulté à venir les récolter.

Je suis monté en haut de la montagne aux meulières en suivant le ruisseau qui se jette dans l’étang. Il descend en tournant autour du sommet ce qui fait qu’à un moment il croise presque sa source qui n’est plus qu’à une centaine de mètres de son cours descendant, mais plus haut évidemment.

 En bas, vers le nord-ouest un village niché entre deux collines puis la grosse rivière, des vignes à l’ouest et au sud-ouest puis un grand lac et des marais au sud-sud-ouest. 

20/06/87

J’ai dormi sur la montagne aux meulières. Cette nuit, j’ai entendu un chien hurler à la mort au lointain. Ça a duré assez longtemps et les miens lui ont répondu à plusieurs reprises.

Je rejoins l’autre partie du plateau. 

Ce sont en réalité plusieurs plateaux empilés, alternants tantôt pentes de pierres meulières et buissons d’épines noires. Lorsque l’on redescend sur la face sud, ces barbelés naturels sont mêlés à de petits sapins qui poussent sur les dégâts causés  il y a plusieurs années par une tempête. Les troncs de pins couchés enchevêtrent leurs branches aux lianes envahissantes des clématites, des chèvrefeuilles et des ronces qui créent une sorte d’impénétrable no man’s land de plusieurs hectares.  Pourtant un large bouquet de feuillus émerge comme un îlot de cet océan d’épines, lui-même dominé par un arbre plus imposant que les autres.

Malgré cette piquante barrière, le passage des animaux à créer de véritables couloirs de la hauteur d’un sanglier. Et c’est un labyrinthe de tunnels végétaux qui traverse cette mer d’aiguilles et de collets de lianes.

Dans ces ronciers inextricables les chasseurs ne s’aventurent pas trop, préférant laisser à leurs chiens le soin de les fouiller.

Alors c’est à quatre pattes que je m’enfile dans les boyaux tortueux. Les épines griffent bruyamment mes vêtements, impossible de me situer, les chiens me croisent par la droite, reviennent derrière moi, puis par la gauche, repartent nez au sol ne sachant que chercher. Soudain des aboiements les voilà partis sur une proie. Je redoute alors de voir surgir un sanglier devant moi dans cet étroit corridor.

Déjà un certain temps que je déambule tantôt rampant, tantôt accroupi quand

au détour d’un angle droit s’offre une sortie. Enfin ! Me voilà dehors !

Hélas du côté où je suis entré. Les aboiements sont lointains puis se rapprochent, puis s’éloignent à nouveau . Dans ce dédale, le gibier joue avec son prédateur jusqu’à lui faire perdre, sinon la tête, du moins son odeur. Et il doit y en avoir des odeurs, le sol par endroits est jonché de crottes ou creusé de bauges et de couchettes. Chevreuils et sangliers en famille partagent ce sanctuaire quasiment inviolable avec toutes sortes d’oiseaux et d’autres animaux.

Avec ma boussole, je vise le plus gros des arbres. S.O. Bien ! je pénètre à nouveau cette antichambre végétale rectifiant au mieux mon cap après chaque virage, chaque croisement. Ma boussole n’est pas pratique à quatre pattes. Je perds de l’eau à chaque secousse. Au bout d’un bon moment, malgré l’impression de ne pas avoir progressé beaucoup, je sors enfin de ce réseau de galeries.

Tout d’abord, le nez encore au raz du sol, je vois une herbe de prairie partiellement tondue par les herbivores partageant le bon humus issus des arbres avec des plaques de mousse humide. Clairière naturelle née des tempêtes et de la pourriture, protégée du monde humain. Aussitôt ses abords, c’est un rempart de sapins drus et d’essences diverses qui se disputent la lumière. Dans cette lente bataille l’épinette se taille la part du lion.

Ouf ! J’ai un peu de mal à me redresser ! 

Dans cette clairière encerclée d’arbustes rébarbatifs, un chêne majestueux et quelques autres feuillus ont résisté aux assauts des vents destructeurs. Des hêtres, des chênes plus petits, des châtaigniers, tilleuls, charmes, quelques bouleaux.

Ce chêne immense, de plus d’un mètre de diamètre et haut de presque 40 mètres doit être plusieurs fois centenaire. Il me fascine par sa beauté et m’inspire aussitôt la quiétude et l’éternité. Je me vois bien y passer quelque temps. Quel dommage de troubler cet Eden, pourtant, il faudrait bien l’aménager un peu, y faire du feu,  y vivre quoi !   

Je campe là !  

Remarques

-Pour ressortir par d’où je viens, je dois prendre la direction N.E..

-Perfectionner ma boussole ???

-Prévoir des repères pour faire un fil d’Ariane au moins pendant quelque temps afin d’apprendre le chemin, trouver aussi d’autres accès dans plusieurs directions.

21/06/87

Les chiens ont parcouru le labyrinthe en tous sens une bonne partie de la nuit, sans succès apparemment. Et nous avons à nouveau entendu hurler.

Je préfère continuer mon exploration. Direction S.S.O.  Même difficulté pour sortir de cette mer d’épines. 

Trouvé les restes d’un petit chien, un fox je pense, immobilisé par une branche, coincé à cause de son collier orange fluo. N°de téléphone et adresse ne lui sont plus utiles maintenant, je le laisse là ! Apparemment il lui aurait suffit de reculer pour se libérer. A moins qu’il ne fut étranglé par son collier, il a dû mourir de faim et de soif.

De l’autre côté du roncier, par-dessus la cime des arbres qui descendent presque jusqu’à sa rive, je vois bien mieux le grand lac aperçu hier. Il est bordé par un marais dont s’échappe une brume duveteuse que le soleil rouge qui se lève colore d’une teinte rosée. 

Je descends donc vers les « marais des brumes roses ». Quand j’atteins le lac en me frayant un chemin parmi les roseaux, une famille de cygne, deux adultes et trois jeunes, nous accueille en trompettant. C’est surtout la femelle, je crois, qui manifeste son animosité sonore envers les chiens. Le mâle, lui, entame une charge en courant vers nous sur l’eau, ailes grandes ouvertes, mais s’arrête à une distance respectueuse avant de repartir vers le large en emmenant sa petite famille. 

Je quitte le “lac de cygnes”. Retour vers le nord et campement à l’orée de la forêt.

22/06/88

Toujours ces hurlements la nuit. Et il semblerait que mes chiens les attendent pour y répondre.

 Je continue vers le nord jusqu’à la grosse rivière que je longe vers l’aval laissant sur ma droite  la  « gorge du loup », ces deux collines jumelles pareils à une poitrine qui abritent Verleu et où passe un ruisseau qui descend du plateau et se jette dans la grosse rivière. Un pont enjambe le ruisseau pour permettre à la nationale de le traverser. Je remarque un gué aux pierres qui affleurent qui bien que pas encore praticable, doit en été, permettre de passer la grande rivière sans nager. Je le nomme « le saut du loup ». En chemin, la poubelle d’un parking de la nationale me donne parmi des couches culottes usagées, un petit pot d’aliment pour bébé étanche et une bouteille d’eau de 25cl entamée. Je m’arrête pour la nuit en fin d’après-midi après avoir contourné le parking des faux. A cette heure l’accès à la friterie doit battre son plein et il me sera impossible de passer le rond-point sans me faire remarquer. Pour mon retour vers le parking des moines il me faudra passer le pont des garennes assez tôt avant les heures d’affluences. 

Ce soir, c’est Saho qui amorce le concert et il semble que le hurlement soit relayé par plusieurs chiens.

 23 /06/87

 Je suis un peu en retard sur mon horaire prévu. Le flux matinal des ouvriers à déjà commencé et je vais devoir me cacher dans les bosquets d’arbustes et courir entre deux passages de véhicules pour traverser. Heureusement les chiens répondent  à mes demandes au doigts et à l’œil. Ils ont compris eux aussi que l’Homme est un danger.  

A mon arrivée au parking. 

Les chiens flairent partout queue en l’air, nez à ras du sol. Ils pistent quelque chose aux abords de notre bivouac.

 Mon campement a été dévasté. Mon abri, devenu une petite hutte, est complètement détruit. L’huile à été répandue à terre où je m’étendais. Le sac poubelle en rabe est déchiré et vidé de son contenu, canettes en métal, barquettes et couverts en plastique écrasés ou cassés, mon restant de lavande et les crayons de couleurs éparpillés autour du foyer dont les pierres sont dispersées. Les bottes et la bouteille en verre ont disparues, 

 Heureusement, comme je ne savais pas combien de temps je partais, j’avais emporté un maximum de choses sur moi.

Qui a pu mettre un tel acharnement à bousiller tout cela ? Surtout que toutes ces choses n’avaient vraiment plus aucune valeur pour le commun des mortels. Quoi de plus dérisoire que des crayons de couleur jetés aux ordures ?

Des personnes que je dérange ? Ces couples clandestins qui pensent peut-être que je passe mes nuits à les mater ? Ces roulottiers qui ont peur que je puisse les dénoncer ? Ou des gosses, en manque de défoulement, pendant une pause au cours d’un trajet trop long ?

 

Quoiqu’il en soit il faut vraiment que je quitte cet endroit pour un coin plus tranquille. Et merde ! Il pleut, la soirée s’annonce longue!

No account yet? Register

0 Commentaires
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Lire

Plonge dans un océan de mots, explore des mondes imaginaires et découvre des histoires captivantes qui éveilleront ton esprit. Laisse la magie des pages t’emporter vers des horizons infinis de connaissances et d’émotions.

Écrire

Libère ta créativité, exprime tes pensées les plus profondes et donne vie à tes idées. Avec WikiPen, ta plume devient une baguette magique, te permettant de créer des univers uniques et de partager ta voix avec le monde.

Intéragir

Connecte-toi avec une communauté de passionnés, échange des idées, reçois des commentaires constructifs et partage tes impressions.

0
Exprimez-vous dans les commentairesx