Sur l’herbe qui réussit à pousser malgré les cailloux enfoncés dans la terre, elle reste assise, là. Incapable de bouger, pour arrêter de pleurer.
Ça coule, silencieusement le long de ses joues. Les yeux ouverts ; mais est-ce qu’elle voit quelque chose ? Parce que déjà, regarder autour d’elle, ce serait aller mieux. Ce serait aller de l’avant, en dépit de tout, comme dédramatiser l’horreur qu’elle ressent jusqu’aux tréfonds d’elle-même.
Quelque chose se déchire, là, en elle, autour d’elle. Plus rien ne sera comme avant. C’est impossible.
Pourtant, c’est ce qu’on fait, non ? Normalement, en cas de coup dur, on avance. Parce qu’on est bien obligé ; on doit… vivre… Alors, on continue… comme avant… De temps en temps, on se lamente, seul puis en société. Mais au final, on se lève toujours le matin, on vit toujours la même routine, jusqu’à ce que la douleur devienne acceptable, jusqu’à ce qu’elle se taise, puis finisse par être un souvenir. Parfois, elle revient alors on ressasse et puis on trouve un moyen.. un moyen de continuer, d’oublier : de l’alcool, un médicament ou juste un quotidien éreintant, étouffant.
Mais, elle ne n’en a pas envie. En fait, c’est au-delà de l’envie, c’est une sorte de sidération. Voilà, elle est sidérée et cet état présent fait d’elle une statue qui pleure.
C’est la fin d’une journée ensoleillée, printanière. Le soleil déclinant de jolies couleurs rose-orangées, quelques insectes volettent deci-delà. Les cailloux renvoient sous ses fesses une chaleur douce et les brins d’herbes, qui commencent à être hauts, chatouillent ses jambes pliées en tailleur.
Bouger ce serait déjà un peu tourner la page.
N’importe qui aurait fini par se redresser, regarder autour de soi comme pour évaluer les dégâts, juger du montant des réparations. Pour l’instant, elle en est incapable.
Les émotions sont trop fortes, elle se noie dedans et le réflexe de garder la tête hors du tumulte, elle ne l’a pas. Les larmes finissent par se tarir. De temps à autre, ses yeux s’agrandissent comme si l’horreur se rapprochait. Et elle reste là, tétanisée dans ce jardin pendant que le soleil de mai se couche.
Et puis, la rumeur du monde, ce bruit de fond présent depuis toujours, semble enfin l’atteindre et l’éjecte d’un coup de sa torpeur. Comme on sort de l’eau avec l’énergie du désespoir, elle aspire l’air puis le rejette en tentant de reprendre son souffle.
Elle est là, présente, enfin. Dehors, seule, elle regarde autour d’elle, la petit maison aux volets verts, le lilas des indes prêt a fleurir. Elle hésite, parce que bouger, c’est aussi faire face. Elle baisse la tête, ferme les yeux et respire, pour se donner du courage ou bien pour oublier.
Elle se lève, se dirige vers le vieux portail rouillé, et le dépasse ; elle s’avance sur ce chemin chaotique, truffé d’ornières, de flaques de boue, et de ronces indomptées. Elle avance, chaussée de ses vieux sabots en plastique violets, et remonte le chemin jusqu’à l’avenue où il débouche. Rien ne transparait. Rien ne la trahit. Elle marche et le mouvement cadencé a quelque chose de rassurant. Elle va quelque part. Devant elle, longeant la route, une simple plate-bande d’herbe fait office de trottoir. Elle franchit le passage piéton de la pharmacie Frigères, distance la gendarmerie et continue droit devant. Les maisons se font plus nombreuses et le pavé civilisé. Rien ne vient la distraire ni les vitrines de la boulangerie et du bar à vin qui allument justement leurs lumières et ferment leurs portes, ni ces vieux qui discutent sur le macadam comme si la rue leur appartenait. Elle passe. Personne pour l’arrêter, pour la reconnaître. De toute façon, elle ne cherche personne, elle ne voit que le morceau de bitume devant elle. Ses pieds avancent et obéissent à une logique implacable, l’un dépassant l’autre à l’infini. Que le trottoir devienne une piste cyclable, elle ne s’en soucie pas.
« Dégage, pauv’ conne! » crie un cycliste en la dépassant. Mais l’insulte ne l’atteint pas. Rien pour la sortir de cette stupeur.