J’ai passé la matinée à jouer sur la console, mais j’ai vidé le lave-vaisselle. Ma mère, elle devine tout, je suis sûr qu’elle va le savoir pour les jeux. Je me suis réchauffé le plat préparé dans le frigo, je n’ai pas vraiment faim, j’ai juste grignoté. Ma sœur s’est levée vers midi, le bruit du micro ondes a servi de signal.
« Tu réchauffes quoi ? Me souvenais plus que tu étais là. »
« Maman a laissé des trucs en sauce avec des bouts de viande. Je ne sais pas ce que c’est. Tu n’as pas cours. ? »
Je me fous de son emploi du temps, mais je parle pour qu’elle évite de me poser des questions. Si Thierry son copain, la voyait comme moi le matin, elle fait vraiment peur dans son espèce de combinaison pour dormir et ses gros chaussons. Je ne l’aime pas trop celui-là, toujours en train de faire le mec costaud à me pousser et me bousculer. Il est deux fois plus grand que moi, c’est facile. Par contre, il a une chouette moto, une Harley, je suis sûr qu’elle sort avec lui pour ça. Une seule fois, il m’a porté, comme il n’y pas deux places, il a rajouté un petit siège derrière, on a juste fait le tour du quartier, il n’a plus voulu après. C’était il y a deux ou trois mois, il venait de connaître ma sœur. Je ne sais pas si elle est déjà monté avec lui, mais c’est inconfortable, j’étais obligé de m’accrocher à son blouson pour ne pas tomber. Je crois qu’ils se retrouvent le soir dans un club de motards, « boire de la mousse et causer mécanique », ce sont ses mots, ça doit être limité leurs conversations.
« Je dois préparer un T.D. pour demain, j’ai la journée pour trouver des documents et écrire quelque chose, je m’y met tout à l’heure. De toute façon, tu ne comprends pas ce que je dit. Me pose pas de questions, je me réveille. »
Je suis parti dans ma chambre, je ne peux plus jouer à la console, elle va le répéter, je la connais. Elle a remis le micro onde en marche pour se faire un thé, je n’aime pas le thé, c’est un truc de filles. Je me suis remis sur mon ordinateur, pas grand-chose à faire, tous mes potes sont en cours, quelques vidéos sans doute. Ce soir, ça va être ma fête, mes parents seront là ce soir. Ma mère doit voir le principal, je me doute de ce qu’il va raconter sur moi. Comme d’habitude, moyen partout, bavard en cours, devrait être plus assidu. C’est pas ma faute tout ça, les profs arrivent, font leurs cours et repartent, on dirait une course de vitesse, je n’arrive pas toujours à suivre, et je ne suis pas le seul. En plus, quand ils te repèrent, tu y as droit à chaque fois, même si tu ne fais rien. Ils vont se donner le mot maintenant, avec mon renvoi.
Je ne sais pas trop ce que va dire mon père, il rentre toujours fatigué de ses déplacements. Il est conducteur de travaux, il va sur des chantiers de construction dans toute la France avec sa voiture. Quand il revient, c’est juste pour le week-end et il repart habituellement tôt le lundi. C’est toujours pareil quand il est là, il a besoin de se reposer ou il s’enferme dans son bureau pour faire ses papiers.
« Va voir ta mère, je travaille.
Ou bien :
« Je me repose, va voir ta mère, elle a l’habitude de tout ça. »
Il ne me punit pas souvent, mais quand il le fait, maman est derrière lui qui insiste :
« Tu ne vas laisser passer ça. C’est toujours moi qui passe pour la tortionnaire. Fais quelque chose, tu es son père. »
Au moment des vacances, ça se passe mieux, il vient quelquefois avec moi, et on se fait des sorties « entre hommes », comme il dit . On va au cinéma, au bowling, acheter des affaires, ou au Mac Do, tous les deux.
« Tu ne dis pas à ta mère qu’on a mangé ici, elle n’aime pas.
Ou bien :
« Tu dis que tu m’as obligé à acheter ça, sinon ta mère ne va pas être contente. »
Il est très chouette mon père, quand il est en vacances. Mais là, il n’est pas en vacances, il va écouter ma mère et doubler la punition.
Je me suis endormi sur le lit, pas que je sois fatigué, mais tellement de choses me trottaient dans la tête : mon père, ma mère, Marie-Cécile, le lycée.
Le bruit d’un porte claquée me réveille en sursaut, je scrute les bruits pour savoir qui a déclenché mon réveil.
« Personne pour m’accueillir ? C’est quoi cette maison? »
Papa vient d’arriver, je crois que je ne vais pas bouger et attendre la suite. J’entends Fabienne qui ouvre sa porte, et se précipite dans le couloir de l’entrée. Je reconnais facilement les pas dans notre maison, tout est carrelé, les piétinements résonnent selon la proximité ou l’éloignement de ma chambre. J’ai envie d’y aller aussi, mais j’ai un passif à me faire oublier, je reste les yeux fermés.
« Alors le gros dur, on fait des étincelles quand je ne suis pas là ? »
Papa vient d’entrer dans la chambre, il a allumé la lumière et s’assoit sur le bord du lit. Je fais semblant d’ouvrir le yeux, surpris de sa présence, nous nous serrons dans les bras l’un de l’autre.
« On en reparle demain fiston, je suis content que tu ailles bien. »
Maman est arrivée une heure après, ils sont restés plusieurs minutes dans la cuisine, porte close. Pas de cris, pas de pleurs, je n’ai rien entendu. J’ose espérer qu’ils n’ont parlé de moi, puis la porte s’est ouverte. Maman courrait partout, c’est à chaque fois pareil. Elle montrait les placards, des vêtements achetés, listait son téléphone, qui avait appelé, lui montrait des dossiers, des courriers annotés, les potins du quartier, et tout se terminait, ils allaient se coucher. Comme d’habitude, Fabienne et moi, on a mangé en tête à tête, Beurk !