« Bonjour mon chéri, je t’ai apporté ton ordinateur, le Docteur est d’accord, mais tu ne dois pas en abuser. Tu as un papier dedans pour l’adresse wifi de la clinique, tu sauras te débrouiller ? »
« Merci maman, au moins je vais pouvoir discuter avec les potes. Tu sais bien que c’est moi qui l’ai fait à la maison, ça va aller. »
Hormis la semaine, elle restait le dimanche pour passer l’après midi avec moi et apportait des choses à manger et à boire, ainsi que certaines choses que je lui demandais. De temps en temps, papa vient avec elle, et je sens confusément qu’il n’est agréable pour personne de rester assis là, dans des fauteuils inconfortables pour me raconter leurs journées de travail, des histoires de voisins ou bien ressasser mon accident et ses conséquences. J’étais très égoïste, mais c’est moi le malade qui ne pouvait sortir. Depuis presque un mois que je suis ici, j’ai commencé à transformer cette chambre impersonnelle en un lieu familier, comme si je suis chez moi. Quelques bandes dessinées, cadeaux de copains, des crayons et des feuilles pour que je puisse dessiner et écrire, des figurines de dessins animés, et des boites de bonbons, toutes à moitié ouvertes, pour le plus grand bonheur des infirmières gourmandes. La grande différence, puisque je commence à pouvoir me déplacer, malgré la jambe dans le plâtre, tout doit être rangé. J’ai eu droit à quelques remarques du personnel et du Docteur, qui m’ont bien fait comprendre que je ne facilite pas leur travail si je laisse des choses traîner partout.
Les repas de la clinique me suffisent tout juste, j’ai toujours aussi faim entre les maigres repas calculés au plus juste, surtout certains matins, après un certain rêve. Les tornades, les couleurs, et les bourdonnements, ce n’est ni agréable ni désagréable, mais la répétition plusieurs fois dans la semaine, sans que je ne comprenne, commence à m’inquiéter, au point que j’avais décidé plus ou moins, d’en parler au Docteur. J’ai réfléchi plusieurs fois à la manière de lui décrire ce que je voyais, je sens bien que ce n’est pas normal, mais je n’ai pas envie qu’il me dise que j’ai quelque chose au cerveau, je n’ai pas envie d’entendre que je suis devenu anormal, et que l’on doive m’enfermer chez les fous. Je suis juste sur un lit suite à un accident, et tout fonctionne très bien.
Mes seuls rêves différents, mais ils devenaient rares, je rêvais de mes proches et de tous mes amis, tout ce que je ne pourrais plus faire, tout ce que je devrais faire pour rattraper l’école. Au début, ça m’a amusé de ne plus avoir à aller au lycée pour écouter des profs indigestes et les devoirs à rendre, mais je me suis rendu compte, suite aux visites de Marie-Cécile, que j’allais avoir trop de retard a rattraper quand elle me raconte les cours, des choses que je ne comprends pas, des savoirs qui me distancent, des études qui me manquent. Les voilà mes rêves différents, ce sont des cauchemars à côté des tornades de mes songes. Plusieurs fois cette semaine, j’ai remonté mon drap, à me couvrir la tête, et j’ai versé des larmes caché au fond du lit. Je sais que quelqu’un va venir m’aider à travailler les cours pour ne pas perdre pied, mais je vais rester seul la plupart du temps, sans interclasses, discussions avec les potes, punitions ou remarques, les chahuts des cours et les bagarres. Le bruit de la craie au tableau, les boules de papiers lancés, les silences forcés, les coups de gueule des professeurs, les rires étouffés, j’essaie de me rappeler toutes les choses qui font une journée de lycée. J’ai plein d’amis en cours, des camarades de classe, des voisins de table, et beaucoup d’autres que je ne connais pas, mais que j’ai l’habitude de voir, et puis Marie-Cécile. Qui va venir me voir, me raconter les histoires de l’école, les petits bruits qui courent, les chamailleries, toutes ces petites choses que je vois, j’entends et raconte parce que je suis avec eux, parmi eux.
Ma mère a bien tenté de me rassurer, je reste en contact sur Facebook ou bien le téléphone avec tout le monde, c’est certain, mais c’est comme les visites, j’ai bien compris. Au début de mon hospitalisation, j’ai vu défiler toute la classe et mes potes, quelques professeurs sont venus également me souhaiter d’aller mieux, et puis au fil du temps, tout ça s’est espacé. Il n’y a plus que ma famille qui passe, au moins en fin de semaine, et quelquefois Marie-Cécile, mais elle, c’est autre chose. D’après maman, ce sera une autre manière d’apprendre, avec des cours à distance et une personne qui viendra régulièrement m’aider et surveiller mon travail.
« Tu seras toujours le premier de ta classe. »
Comme dit mon idiote de sœur, mais je serais également toujours le dernier, puisque l’unique élève. Tout n’est que provisoire, mais il faudra compter au minimum un an de suivis et de soins, ainsi qu’une possible rééducation au niveau de mon cou d’après le Docteur. Je vais être chouchouté, dorloté comme jamais, aime à me dire maman, mais il faut éviter tout choc violent en attendant que je me rétablisse pleinement. Tous les jours, et j’ai du temps de libre, je tente d’imaginer ce qui va se passer.