« C’est vraiment le bordel, tu vas garder tout ça ? »
C’était les premiers mots de ma toute gentille sœur, on ne s’embrasse jamais, mais comme on se voyait peu depuis que je suis là, elle m’a posé deux bises juste avant sa remarque. Maman l’avait envoyé commencer à faire un peu de tri, ses cours ne lui prenant pas tout son temps, elle était de corvée, et le faisait sentir.
« Je n’ai pris que deux sacs, j’embarque les bandes dessinées, ça va être vachement lourd, tu ne peux pas lire des livres sans images ? »
Elle n’a jamais rien fait contre moi ou maman, elle grogne sans arrêt pleine de mauvaise volonté, mais contrainte et forcée, par ce que l’on appelle les liens de la famille. Je sens que ça va être une joie de revenir ensemble, j’ai quelque chose en plus je crois que ça va changer.
Pas que ce soit des choses à protéger ou des choses de valeur, on aurait dit qu’elle remplissait des ordures dans les sacs, je n’ai pas dit trois mots pendant qu’elle enfournait, je fouillais les tiroirs vidais les étagères, j’essayais de penser à ce que je devais conserver, les livres c’est certain je n’en ai plus besoin. Elle à fait deux voyages, je n’ose imaginer comment tout est posé dans son coffre de voiture quand elle est remontée prendre les derniers livres.
« Je laisse tout dans la malle, je n’ai pas le temps de vider, on le fera quand tu rentreras. Les peluches et les jouets ce sera la prochaine fois ou alors avec maman. Il reste quoi d’autre à part l’ordinateur, des gâteaux, des boissons, des dessins et des DVD, je lui dirais que deux sacs suffisent. Elle vient te chercher quand au fait ? »
« En milieu de semaine, je ne sais pas quel jour, elle doit se libérer une demi-journée, je vais lui envoyer un message tout à l’heure. »
« Laisse tomber, je lui téléphone tout à l’heure, ou je lui demanderais ce soir. Toi tu finis de tout regrouper qu’on ait pas à chercher, j’y vais, j’ai du boulot à finir. »
Ma gentille sœur venait de remettre son rythme, je vais serrer les dents parce que je rentre enfin, mais bientôt je vais dormir dans mon lit, oublier les odeurs des malades et d’ici, ne plus voir d’infirmière, de docteurs, manger à des horaires un peu plus acceptables, et surtout ce que je veux à n’importe quelle heure, allumer la télé avec de bons programmes, jouer à ma console, pouvoir téléphoner, là je ne sais pas à qui, mais on verra plus tard. Ça va me faire tout drôle de revoir l’arbre qui m’a fait tomber, je vais sans doute en rire, je ne suis pas prêt d’y remonter c’est pas demain la veille.
Une chose me chagrine, maintenant que je suis seul, je viens juste d’y penser, je vais suivre des cours sans bouger de la maison, on y est pas revenu depuis, mais je pense que les parents ont mis en place quelque chose, je n’arrive pas encore à imaginer comment ça va se passer, un ou deux jours par semaine, ou alors tous les jours, un prof pour moi tout seul, une chaise un bureau un tableau, comment on fait pour pouvoir travailler, il y aura des pauses, faudra lever la main si je veux aller aux toilettes. Je sais j’en ai besoin, mais je serais tout seul obligé d’écouter, je vais parler de qui, on va parler de quoi, il a le droit de punir si je n’écoute pas, faire les devoirs chez moi, mais suis déjà là, les pauses entre les cours, je sors de la maison ? Et les vacances scolaires, de quelle heure à quelle heure, j’aurais un agenda ? J’ai mis mon pote Google à contribution, il y a plein de choses, mais je sais pas comment ça se passe, je sens que je vais me faire chier, il n’y a rien d’expliqué.
J’étais dans mes recherches, tout content de rentrer, légèrement inquiet, des petits coups à la porte, je ne me tourne même plus, je réponds juste oui, je me fous de qui entre, je vais bientôt partir.
« Vous regardez des films ou vous préparez votre départ ? »
Merde, le professeur foldingue, je croyais que c’était fini, jusqu’à la fin il va rester accroché à mes basques.
« Non, je regardais comment ça se passe les cours à domicile. Mes parents ont prévu de faire venir quelqu’un, alors comme je ne connais pas, j’essaie de me renseigner. »
« Ah, c’est bien, très bien, c’est une bonne chose quand vous avez quelqu’un qui se consacre à vous, on apprend beaucoup mieux, et au moins on peut discuter directement si on ne comprend pas. »
« Euh, je ne sais pas, je cherche justement comment ça peut se passer. »
« Bien, bien. Vous êtes complètement remis maintenant, juste cette toute petite chose qui est encore en vous, je pense que vous l’avez bien compris, mais ça ne gêne rien. Je sais que vous comprenez beaucoup de choses, c’est un peu mon métier. Vous n’allez plus me voir, si ça peut vous rassurer, croyez-vous que je puisse vous parler franchement, et si je le fais, pourriez-vous faire de même ? Il n’y a que moi qui aie une petite idée, je suppose, je ne dis pas je sais, que vous me comprenez, il n’y a que vous et moi, vous savez mon métier, vous avez dû lire certaines choses, mais la vérité peut être autre que quelques lignes résumées ne peuvent expliquer. Si vous ne comprenez pas, il n’y a aucuns soucis, et je vous laisse tranquille. »
Merde, je fais quoi là, il est en train de me faire un coup tordu, le baroud de la fin depuis qu’il sait que je me barre. Si je ne lui dis rien, je ne saurais jamais, et si je lui dis que je comprends, il me découpe en rondelle, c’est juste une image, normalement il ne peut pas. Je le laisse parler pour voir ce qu’il veut exactement, parce que même moi, je ne sais pas grand-chose.
« Vous savez que je pars bientôt, vous avez une idée sur quoi exactement, parce que je ne comprends pas tout, j’ai eu un accident, on m’a bien soigné, je repars maintenant avec quelque chose en plus, on parle de la même chose ? »
« On parle de la même chose, et peut être un peu plus. Je vois que vous avez appris, beaucoup plus que je ne le croyais. Je pense, mais c’est un bien grand mot, que vous continuez d’apprendre, si je vous dis que je devine certaines choses, certaines conséquences, certains petits hasards, il n’y a que vous et moi qui savons, j’espère que vous ne pensez pas que j’étais derrière vous, vous êtes mon patient, votre santé passe avant tout, peu de personnes se remettent d’une blessure comme la vôtre, que vous le croyez ou pas, mon métier consiste à préserver des vies. »
Je l’aide ou je l’aide pas, il me faisait un peu pitié à patauger sans savoir. J’ai un secret anormal, il est vrai que ça me pèse de ne pouvoir le dire, mais il y a peut-être une limite à tout raconter, il faut que je sache s’il risque de répéter, j’avais entendu parler du secret médical, il faut qu’il me le dise.