Mon repas expédié, tout tournait dans ma tête, je venais de lâcher quelques légères confessions à l’une des seules personnes qui pouvait me comprendre en partie, et en même temps, dont je me méfie le plus, j’espère ne pas avoir à le regretter. Mon prochain départ me laisse également un sentiment mitigé, je sais ce que j’ai mis en pause à cause de l’accident, ma maison et ma chambre, mais tout n’est plus pareil, il faudra tout refaire, je vais retrouver mon cadre mais tout sera différent, je n’arrive pas à imaginer comment ça va se passer. Ici je n’aime pas, tout m’est antipathique, mais j’ai pris des repères même si je me fais chier, ça fait drôle de savoir qu’on est vite oublié par les gens du dehors, je ne vois plus personne, tous mes copains d’école en cours ou bien après, on se parlait souvent, maintenant c’est bien fini je n’ai plus de messages, à la limite il ne reste que Marie-Cécile, mais ça c’est autre chose.
L’IRM a signé mon billet de sortie, justement l’examen, maintenant que j’y pense, le bruit et la lumière je n’ai aucuns souvenirs, je me suis endormi d’un seul coup sans impression de rêver, sans aucunes impressions d’ailleurs, je crois que j’étais là, et que j’étais ailleurs, un vague sentiment d’être dans la machine pendant que je bougeais, mais pas comme d’habitude, l’impression de tout voir sans vraiment regarder, c’est tellement dans le trouble que je ne sais même pas si je suis en train d’inventer ce que je crois avoir fait, ça reviendra sans doute ou jamais, ce n’est pas tous les jours qu’on passe ce genre d’examen dans une machine.
Il faut que j’arrête de penser à tout ça, je n’ai aucunes réponses, me concentrer sur ce qu’il me reste à faire pour quitter cet endroit au plus tôt, je vais quand même envoyer un message à maman pour savoir le jour exact pour pouvoir rassembler le reste de mes affaires, le plus gros est parti avec entrain dans les sacs de ma sœur, je l’ai bien vu sur son visage. De toute façon c’est sans doute une de mes dernières nuits que je passe encore ici, autant en profiter et surtout avec l’autre qui est maintenant au courant, quelques derniers voyages, histoire de faire mes derniers tours ici.
Je me glisse sous les draps et j’éteins la lumière, je vois celle du couloir qui reste encore un peu vive ce n’est pas encore l’heure de l’éclairage de nuit, les aller et venues du personnel s’est ralenti je ne vois plus grand monde, la plupart des malades sont rentrés comme moi pour l’heure du repas, certains vont s’endormir il n’y a rien d’autre à faire, d’autres plus désœuvrés regardent la télé qui berce d’insipide, j’entends vaguement les sons quand une porte s’ouvre, la clinique se prépare pour mon voyage de nuit.
Quand j’émerge de mon corps à cette heure, je vois progressivement les points rouges qui glissent vers le bleu, les cibles de mes échanges si j’ai bien compris la dernière discussion, je regarde tout autour je suis dans mon domaine, il me reste à chercher avec qui échanger, je jette un œil distrait sur la chambre de l’accidenté, je crois que je ne peux plus y aller, mais en regardant bien, je remarque qu’il alterne entre les deux couleurs, pourtant j’ai cru comprendre qu’il n’avait plus l’esprit adulte, il faut que j’aille voir de près.
Je n’ose trop m’approcher, je tourne tout autour, tout au moins l’expression, j’avoue ne rien comprendre, son cerveau s’est détruit d’après le professeur, il aurait voulu s’éveiller beaucoup trop rapidement, il est devenu éveillé avec un esprit vide. Je tente de toucher en surface, c’est juste un peu plus dur, mais il me semble que je pourrais entrer, je n’ai pas envie de lui faire du mal, c’est lui qui a tout fait à mon dernier passage je ne peux pas en faire plus, c’est décidé j’y entre.
Rien n’est tout à fait sombre, rien n’est tout à fait clair, je n’ose pas bouger car dès que je suis entré j’ai eu comme l’impression que les couleurs extérieures se sont arrêtées de clignoter, je me recule d’un coup je suis sorti du cône, il est bleu maintenant, j’attends un petit instant pour voir si ça varie, rien ne semble bouger, alors j’entre de nouveau. Si j’avais eu un corps, je crois que je serais en train de retenir ma respiration, tout est devenu sombre comme lors de mes autres passages, j’évite même de penser enfin je crois puisqu’il paraît que l’on peut m’entendre, toujours rien ne se passe, mais je sens que quelque chose se prépare, je m’apprête à me reculer si jamais, la paroi du néant dans mon supposé dos prêt à sortir de là, une étincelle jaillit au milieu de ce sombre, un peu comme celle que je créais quand je venais au début. J’attends encore un peu, le point n’a pas l’air de bouger on dirait qu’il attend, j’allume mon étincelle pas loin de la première, c’est à ce moment-là que des couleurs jaillissent emplissant tout l’endroit. Je ne sais pas quoi faire, je suis un peu méfiant, j’attends tout en cherchant la carcasse de voiture qui devrait apparaître, mais rien ne se passe comme avant. Je m’avance près du centre prés des points lumineux, je traverse des couleurs et je sens nettement des mots que je comprends, amour, colère, joie, tristesse, regret,… des tas de sensations de murmures mélangés, si mon corps était là, j’aurais la chair de poule, non pas de peur, mais de part la multiplicité des choses que je ressens en même temps, j’ai beaucoup de mal à suivre, je ne suis pas du tout, et d’un coup tout s’arrête, je suis près des lumières.
Je ne comprends pas bien, un bout de bois apparaît ou plutôt une tige, une deuxième une troisième, tout un tas de petites tiges comme dans le jeu mikado, elles forment un carré, les suivantes au-dessus, d’un seul coup tout s’écroule l’équilibre semble instable quand elles montent en hauteur l’une sur l’autre, et puis tout disparaît, il apparaît un cube, un second et ainsi de suite, ils s’empilent, mais comme pour les tiges, tout s’écroule quand ils montent en hauteur, j’avoue ne pas comprendre. Le professeur foldingue m’avait pourtant bien dit qu’il ne fonctionnait plus comme adulte, l’esprit d’un nouveau né, si je me souviens bien, je suis dans le rêve d’un bébé qui s’amuse, normal que je ne comprenne pas, il est temps que je parte, les cubes disparaissent, je m’attends à voir de quoi manger tant qu’à y être après les amusements, mais d’autres sortes de cubes, on dirait des briques empilables, je les connais de nom, comme quand j’étais petit, des genres de Lego apparaissent, il est vraiment temps de partir, je m’apprête à le faire, éteindre mon étincelle à côté de la sienne, le grand bébé s’amuse, la sienne change de couleur et vire sur le vert, je sens comme une envie de faire, ce doit être un hasard, on dirait de l’espoir, je n’arrive pas à comprendre, envie de faire, espoir de faire, une petite variation dans toute la couleur verte, la teinte se module, j’essaie de faire une phrase, de mettre des choses bout à bout, je regarde les briques qui s’empilent, qui partent dans tous les sens, cette fois elles ne tombent pas, elles se clipsent à la suite l’une de l’autre et construisent un schéma qui avance et emplit de l’espace, qui dévore du vide.
La lumière, les Légos, c’en est trop, un enfant qui s’amuse, quand ses briques vont tomber il va sans doute se mettre à pleurer, je donne une signification à tout ce que je vois maintenant, il faut que je fasse attention, d’entendre le professeur parler, je ne veux pas être lui ce pouvoir est à moi, rien n’est à expliquer, il est temps de dormir.