S’encroûtant chaque jour davantage, Alphonse digérait confusément le plat qu’il avait avalé, avachi sur un fauteuil en bois. Tel un bovidé, il éructait sa mixture, mais peu enclin au gaspillage, il ravalait aussitôt ce qui semblait être un potage verdâtre. Il enleva ses pantoufles de ses pieds gonflés.
Tout d’un coup, comme aimanté par une brise fromagère, un animal surgit de nulle part. Il s’agissait de sa femme, Marguerite qui lui tint une phrase peu sympathique « Alphonse, tu pues le camembert! Je te quitte ! » Trop heureux d’entendre ces douces paroles pendant qu’il rêvait, Alphonse par réflexe d’aisance écarta les doigts de pieds pour laisser s’émaner le délicat fumet.
Marguerite déposa ses bagages dans le hall d’entrée péniblement et retourna à la salle de bains où elle avait oublié sa mousse à raser. Loin de s’inquiéter de tout ce remue-ménage, une mouche virevoltait autour des coupables orteils. L’épouse poilue descendit les escaliers en meuglant une ultime révélation « Je quitte la Normandie pour rejoindre ma sœur en Savoie. Adieu ! »
La porte claqua violemment ce qui ne manqua pas de sortir Alphonse de sa torpeur. Il se rassura très rapidement car son épouse pressée et repoussée par l’odeur nauséabonde de sa croûte jaune avait omis de récupérer les billets de train qui se trouvaient dans le porte journal près de la cheminée. Il décida alors de les cacher dans ses charentaises, attendant le retour plus que probable de l’acariâtre Marguerite, une Hollandaise à fort tempérament et à la beauté rustique.
Il entendit soudainement la cloche. C’était bien évidemment son épouse qui venait rechercher ses billets ! La porte s’ouvrit, mais ce n’était pas sa femme : le laitier venait livrer le plateau du réveillon. Il cria à Alphonse le sachant sourd « Je sens que vous avez déjà votre commande de fromage, Monsieur Roquefort ! » Le livreur tourna les talons, laissant Alphonse à sa surprise coulant et suintant, il était devenu totalement imprésentable et finit dans une poubelle que la mouche survolait en quête de sensations fortes.