Sylarius Chapitre 3-3

4 mins

    Le cab filait le long de la route. Les bâtiments défilaient devant les yeux de Ganel. Quand il passa à proximité du parc, le chevalier se remémora le visage de Carissa. Il fallait subjuguer son esprit ce soir. C’est ainsi que cela devait se dérouler. Son regard se perdit à nouveau dans la contemplation de la ville. Prendre les transports était le seul moment de repos qu’il s’accordait. Même ses nuits étaient souvent interrompues par des appels et autres visioconférences venant des autres villes de la planète. Directeur du Syndicat était un métier à plein temps.

     Son véhicule bifurqua au nord. Progressivement, les habitations riches du centre-ville laissèrent la place à un paysage plus industriel. On avait pris soin, au fur et à mesure de l’extension de la ville, d’éloigner les industries et les fabriques des cours d’eau et de la mer. Cette dernière bordait le sud de la capitale. Cette précaution n’avait pas pour but d’offrir de plus jolies plages où se détendre, mais bien de préserver la qualité de l’eau. Le développement se faisait de façon raisonnée. Certes, les humains détruisaient des écosystèmes, mais il les remplacer par d’autres, plus utiles.

     Le cab entra sur une grande avenue le long de laquelle s’étalaient de nombreux laboratoires de recherches. Un peu plus loin sur l’avenue, se trouvait les usines d’armement du père de Carissa. Le véhicule tourna à droite et s’engagea dans une rue adjacente. C’était une impasse. Le cab s’arrêta. Après avoir payé, Ganel marcha pour parcourir les derniers mètres qui le séparait d’une porte dérobée. Il entra.

     Le local était assez spacieux, à l’arrière d’un laboratoire pharmaceutique, bien à l’abri des regards. Grâce à ses relations, il avait pu obtenir une location avantageuse. C’est ici qu’il préparait Carl. Le professeur Mendev l’épaulait dans cette tâche ; ses travaux n’avaient suscité l’intérêt d’aucuns investisseurs. Seul Ganel Iagudas avait cru en lui. Il faut dire que le personnage était assez étrange, même son émographe semblait détraqué.

     Ganel traversa rapidement le long corridor et se rendit directement au sous-sol. Des lumières bleutées s’allumaient sur son passage et s’éteignaient quelques secondes après. Il apparut sur le pas de la porte et trouva le professeur en pleine activité. Tournant le dos à Ganel, celui-ci marmonnait des choses incompréhensibles à l’oreille humaine. Vêtu d’une combinaison de protection, il s’acharnait sur les circuits d’une de ses inventions. Il était chauve et plutôt petit par rapport à la moyenne. Un bouc rose taillé en pointe surgissait de son menton. Il s’était affublé d’une paire de lunette à vision totale qui lui permettait, selon son désir, de voir aussi bien devant que derrière lui. Ganel n’avait jamais trop compris en quoi cela pouvait lui être utile, mais il se gardait bien de l’interroger afin d’éviter une explication aussi interminable que complexe.

– Ah ! Mr Iagudas ! Pile à l’heure ! s’exclama-t-il le nez toujours penché sur sa table de travail.

– Euh…Bonjour professeur… répondit Ganel en tressaillant.

– Décidément, il ne se ferait jamais à ces lunettes.

– Vous venez pour Carl ? Bien sûr que vous venez pour Carl. C’est ce pourquoi je suis payé…entre autres… déblatéra Mendev.

     Il ricana et reprit sur un rythme tout aussi effréné.

– Il est là, s’enthousiasma-t-il en désignant un des coins de la pièce dissimulé derrière un tissu tendu à la hâte. Je l’ai considérablement amélioré vous savez ? J’ai finalisé sa vision totale. Il voit à 360°, c’est fabuleux !  Ce n’est pas comme moi…ma capacité neuronale est trop faible ? Pourtant, je suis un des plus doués de ma génération vous savez ?

     Ganel ne répondit pas.

– Bien sûr que vous savez…sinon pourquoi m’auriez-vous recruté ?! plaisanta-t-il. C’est d’ailleurs pour ça que mon père…

– Comment se comporte le processus d’initiative ? le coupa brutalement Ganel.

     Mendev resta quelque peu interloqué puis fronça les sourcils. Son air indiquait qu’un phénomène inopportun, et imprévu, venait de se produire, provoquant la rupture de la linéarité temporelle d’origine. Il se retourna enfin, ôta ses lunettes, et posa les yeux sur Ganel.

– Ah oui ! Le processus ! Bien sûr. Il est stable, monsieur. Il suit son cours mais vous savez, j’aurais vraiment besoin d’étudier…

     Il marqua une pause, et scruta les alentours à la recherche d’un espion imaginaire.

– Il me faudrait jeter un œil sur ce dont nous avons parlé la dernière fois…la substance…chuchota-t-il.

– Personne ne nous écoute professeur, tenta de la rassurer Ganel. Et je vous dis que l’opération suit son cours, aux dernières nouvelles. Je tiens autant que vous à m’assurer de mettre la main sur cette « substance » comme vous l’appelez.

– Bien, bien… fit le savant d’un air contrit. Bon, je le sors.

     Il se dirigea vers la petite alcôve sombre et souleva le pan de tissu sommairement tendu. Il farfouilla un moment, puis un grésillement distinctif se fit entendre. Une voix grave et métallique le suivit.

– Bonjour, professeur, fit la voix.

– Bonjour, Carl, bonjour, répondit le petit homme en inspectant sa création. Tout en vérifiant les systèmes du robot, il triturait son bouc rose. Son front était plissé.

– Bonjour, maitre, fit le robot en se tournant vers Ganel.

     Ganel ne répondit pas. A la place, il s’adressa au scientifique.

– Alors, est-il prêt pour ce soir ?

– Assurément, monsieur, lança Mendev d’une petite voix. J’ai augmenté son autonomie de plusieurs heures. Il m’a fallu tronquer une partie de sa vélocité afin d’intégrer le dispositif d’attaque supplémentaire.

     Il montrait un cylindre dans le dos de la machine.

– Le blaster lui donnera une force de frappe dévastatrice à moyenne distance.

– J’espère bien, marmonna Ganel. Et le champ de force ?

     Le professeur tiqua.

– Disons que… il est encore instable. J’ai bon espoir de le rendre complètement opérationnel pour ce soir mais je ne peux vous le garantir.

– Il n’est donc pas prêt… Alors au travail ! Je compte sur vous. Carl affronte un colosse ce soir, il doit être au maximum de ses capacités, aboya Ganel.

– J’essaierai de le mettre dans les meilleures conditions, croyez-moi…balbutia Mendev.

– Non. Vous le ferez, trancha le syndicaliste. Avez-vous terminé ce que je vous ai demandé par ailleurs ?

     Sans répondre, le savant lui tendit une plaquette d’un bleu foncé parsemé de circuits intégrés.

– Parfait.

     Sur ces mots, Ganel tourna les talons et s’empressa de regagner la sortie. Il n’avait que trop trainé ici. Son émographe indiquait une colère à 65. La fureur le gagnait. Ce soir, il ne pouvait pas perdre.

     Une fois à l’extérieur, il attendit qu’un cab veuille bien se montrer. Il lui en fallait un vieux. Pas ceux de la nouvelle génération. Ces derniers étaient truffés de caméras, et surtout, leur borne de paiement était digitale. Ganel avait besoin d’un ancien modèle avec paiement automatique via un pass que l’on se procurait auprès des services de la ville. Il ne voulait pas être vu.

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