Alítheia : Chapitre 2

8 mins

~ ANA ~


  Après le petit déjeuner avec mon grand-père, je suis montée dans ma chambre pour m’installer et défaire mon sac. Elle n’a pas changé d’un pouce, elle est toujours dans les tons violets, ma couleur préférée. Mon lit d’enfant a été remplacé par un lit adulte et ma caisse de jouet par un bureau. Mes peluches et ma collection de poupées en porcelaine sont toujours sur mes étagères. Olimpia a dû se douter que je souhaitais les conserver, c’est sans doute pour cela qu’elle n’y a pas touché. Ce sont les seules choses qu’ils me restent de mes parents et j’y tiens énormément. Malgré leurs absences répétées, à chacun de leurs retours à la maison, ils m’offraient soit une peluche soit une poupée et ils passaient un maximum de temps avec moi avant leur prochain voyage. Honnêtement, je n’ai manqué de rien. Bien que leur départ, tous les quatre matins m’ait donné l’impression qu’ils m’abandonnaient et qu’ils ne m’aimaient plus de nombreuses fois. Par chance, Olimpia était une nourrice merveilleuse, elle est comme une deuxième mère pour moi.

J’observe mes étagères encore un moment puis, je range mes vêtements dans ma commode. Je n’ai pas emmené grand-chose, je suis le genre de femme à me contenter de peu voire de presque rien. Ma vie monotone et casanière n’a rien de bien palpitant. En particulier, depuis que je travaille à mon compte. La seule chose digne d’intérêt, c’est les recherches que je suis amené à faire par moments pour mes rédactions. L’expérience que j’ai acquise avec le journal, qu’elle soit bonne ou mauvaise, m’a été très utile pour fixer mes tarifs et obtenir la meilleure qualité possible dans les écrits qu’on me commande. Le plus difficile dans ce métier, c’est de savoir se démarquer, apporter du contenu de qualité dans des délais imposés et de se faire connaître, car la concurrence est rude. Afin de mettre un maximum de chances de mon côté, j’ai fait le certificat Voltaire lors de mon emploi au journal et actuellement, je prépare une licence de langue étrangère à distance aussi. Érudit, j’aime approfondir mes connaissances et en acquérir d’autres, constamment.

    Bientôt, mon portable bip pour m’annoncer la réception d’un nouveau message. Je le prends, le déverrouille et me rend dans ma messagerie pour le lire.

«  De Inconnu à Ana,


Je te vois. Ta collection de poupées en porcelaine est magnifique.

Par contre, tu n’es pas trop âgée pour avoir des peluches, ma très chère Ana ? ».



Ce malade m’a suivi jusqu’ici ?



« De Inconnu à Ana,


Je te l’ai dit, fuir ne sert à rien. Tu ne peux pas m’échapper. »


Bon sang, pourquoi s’acharne-t-il sur moi ? Qu’est-ce qu’il me veut à la fin ? Je ne le connais même pas !



Depuis quatre mois, il me harcèle, m’espionne et me traque. Malgré mes changements de numéro et mes déplacements incessants, il arrive toujours à me contacter et à me retrouver. C’est la deuxième raison pour laquelle, j’ai quitté Paris pour Braşov. La première étant de comprendre mes rêves et de trouver des réponses à mes questions. Jusqu’à présent, je n’ai jamais répondu avec l’espoir qu’il finirait par abandonner. On m’a toujours dit que l’ignorance était la meilleure défense, mais avec lui, c’est peine perdu.

     J’hésite à répondre, de peur que son harcèlement s’intensifie et devienne encore plus angoissant, oppressant et invivable. Je cogite quelques instants avant de me décider.

« De Ana à Inconnu,


Qui es-tu ? »



«  De Inconnu à Ana,


Ton assassin. »



À la lecture de sa réponse, je lâche mon téléphone sur mon lit et les souvenirs de l’assassinat de mes parents me reviennent en mémoire. Je me revois entrer dans leur chambre, mettre les pieds dans un liquide chaud, sentir l’odeur de sang. Apercevoir cette ombre imposante, entendre le parquet craquer sous ces pas, croiser ses pupilles rouges et la voire s’approcher de moi avant que je hurle à en perdre la voix et que ce soit le trou noir.

Tel un serpent qui se mord la queue, ces événements tournent en boucle dans ma tête. Mon cœur se contracte, bat à tout rompre dans ma cage thoraciques et raisonne dans mes oreilles. Une douleur au fer rouge ravive ce traumatisme, ancré en moi que je ne parviens pas surmonter, ni a oublié. Une nouvelle crise d’angoisse me gagne à grand pas. Je n’arrive pas à la contrôler et la refréner. Pourtant, mon esprit et mon corps lutte pour empêcher d’offrir le spectacle recherché et attendu par ce déséquilibré dont je suis la proie.

     Une main se pose dans le creux de mes omoplates et la voix d’Olimpia parvient à mes oreilles.

— Est-ce que ça va Ana ? Ton installation se passe bien ?

Instantanément, je me calme à son contact. Mon cœur se relâche, ses battements ralentissent et ma crise d’angoisse disparaît.

— Oui, Olimpia. Merci, mens-je.

— Je suis rassurée. Tu as besoin de quelque chose en particulier avant que j’aille m’occuper du potager ?

— Non pas pour l’instant. Je vais terminer de vider mon sac et travailler. Et puis si besoin, je sais où est la cuisine, ne t’inquiète pas pour cela, la rassuré-je. Grand-père est rentré ?

— Pas encore. Tu sais lorsqu’il est en ville, il ne rentre pas avant deux ou trois heures. Le temps de faire tout ce dont il a besoin pour éviter d’y retourner plus tard.

— C’est vrai que dans mes souvenirs, il était casanier et n’aimait pas beaucoup les personnes extérieures au Manoir.

— Il n’a pas changé. Il est toujours le même qu’avant ton départ, m’annonce-t-elle avec un petit sourire forcé.

Instinctivement, je lui rends et un léger malaise s’installe entre nous sans que nous en connaissions la raison. Cependant, elle ne tarde pas à le briser.

— Bien. Je vais te laisser travailler et finir de t’installer, à tout à l’heure.

— D’accord. Fais attention à toi et pense à te reposer un peu.

Elle acquiesce d’un hochement de tête et me sourit sincèrement avant de quitter ma chambre. L’idée de la savoir dans la cour avec ce détraqué dans les parages ne me rassure pas. Sauf que s’il voit que je m’inquiète pour Olimpia, elle pourrait devenir une cible pour m’atteindre et je n’ai pas envie qu’elle se fasse tuer par ma faute, ni mon grand-père.

Je n’ai pas pu protéger mes parents parce que j’étais trop jeune. Par contre aujourd’hui j’en ai la possibilité et cet atout, je compte bien m’en servir. À son retour, Andreï doit m’emmener choisir une arme pour la chasse, j’en profiterais pour en subtiliser une deuxième et la mettre sous mon oreiller. Et ce, jusqu’à ce que l’occasion d’éliminer ce harceleur se présente. J’aurais préféré ne pas en arrivé à cette extrémité, mais je n’ai pas d’autres solutions. J’ai le pressentiment qu’un face-à-face est inévitable.

      Maintenant que ma vie est officiellement menacée par ce détraqué, je n’arrive pas à me concentrer sur mon travail. De plus, je m’inquiète pour Olimpia et mon grand-père. J’ai beau retourner la situation dans tous les sens, il n’y a qu’une personne qui me vient à l’esprit : Paul, l’ancien directeur éditorial du journal dans lequel je travaillais. Sauf qu’il a été condamné, il y a six mois, à vingt ans de prison pour viol, harcèlement sexuel et moral sur ces employées. Lorsqu’il a compris qu’il ne passerait pas à travers les mailles du filet, cette fois-ci, il a ouvertement déclaré qu’il me tuerait. Étant donné qu’il allait être enfermé pour les deux décennies à venir, je n’ai pas prêté attention à ses mots. Cependant, il se pourrait que j’aie eu tort. Parce que s’il est parvenu à mettre un contrat sur ma tête, cet homme se présentant comme mon assassin, a probablement été mis en contact avec lui ou engagé par ses soins, c’est la seule explication possible.

Je continue de me torturer l’esprit à ce sujet de longues minutes avant de recevoir un message de Kieran, mon petit ami. Nous nous connaissons depuis que nous sommes enfants, c’était mon voisin de palier à Paris et nous avons pratiquement grandi ensemble. Il a d’abord été mon meilleur ami avant d’être l’homme qui partage ma vie depuis cinq ans. En tant que journaliste reporter, il est souvent en déplacement pendant des périodes courtes ou longues, tout dépend du sujet sur lequel il travaille. Nous nous voyons très peu, mais cela nous convient puisque nous avons tous les deux, la manie de voyager d’un endroit à un autre sans arrêt. Il faut croire que je tiens ça de mes parents.

« De Kieran à Ana,




Coucou,

Comment s’est passé ton voyage ? »

« De Ana à Kieran,



Long et fatigant.

Et toi, comment vas-tu ? » 

« De Kieran à Ana,




Je vais bien, mais tu me manques. »


« De Ana à Kieran,




Toi aussi.

Quel est ton programme aujourd’hui ? »


« De Kieran à Ana,




J’ai plusieurs interviews de prévus dont une avec le dalaï-lama.

Le tien ? »


« De Ana à Kieran,




Pour un bouddhiste, tel que toi, tu dois être aux anges !

Travailler, aller à la chasse avec mon grand-père et ensuite, je ne sais pas. » 


« De Kieran à  Ana


Tu n’as même pas idée ! C’est le Saint Graal pour moi.

Il y a Internet au manoir ? Chasser ?

Mais tu n’as jamais touché une arme à feu de ta vie et tu es l’amie des animaux. »


« De Ana à Kieran,


Oui. Les Blàs sont une famille de chasseurs, je te rappelle et

le gibier est notre principale source de revenu. Je n’ai jamais dit que

je tuerais des animaux, j’accompagne simplement mon grand-père.

Avec un peu de chance, ce moment sera propice aux confidences. » 


« De Kieran à Ana,




Je l’espère pour toi aussi.

Désolé, mais il faut que j’y aille !

À plus tard, je t’aime. »



Je ne réponds pas à son dernier message et me concentre à nouveau sur la rédaction de mon texte. L’esprit apaisé et moins troublé, l’inspiration est revenue. Mes doigts appuient et virevoltent sur les touches du clavier de mon ordinateur et j’écris le premier de jet de ce texte en à peine une dizaine de minutes. Kieran possède le don de me faire oublier ce qui me tracasse dès l’instant que je lui parle ou échange avec lui. Il est apaisant, tant dans son physique que dans sa personnalité et il est tout sauf désagréable à regarder. Il a un visage d’ange, un physique d’athlète et des yeux bleu-gris absolument magnifique. Sa peau est légèrement halée et sa voix aux connotations celtes est envoûtante. Sincèrement, je n’ai pas à me plaindre. J’ai un petit ami séduisant, attirant, doux, gentil, attentionné et presque parfait. Même si, en ce moment je le trouve plutôt étrange. Je sais qu’il vit à cent à l’heure et est passionné par son travail, mais je ne sais pas… Il y a quelque chose de différent chez lui ces derniers jours, mais je n’arrive pas à savoir ce que c’est. 

    Je relis mon texte plusieurs fois, le corrige et le modifie plusieurs fois. Une fois pleinement satisfaite de mon travail, je m’occupe des autres. Sans m’en apercevoir deux heures défilent. Je termine toutes mes rédactions commandées et les envoie. Puis, je m’étire avant de descendre de mon lit et rejoindre la cuisine pour me servir un café. Elle contient une cuisinière à bois et un four à bois. Ainsi qu’un à pain à viennoiserie et à pizza, des plans de travail, une table en chêne foncé, des chaises, un réfrigérateur. Des moulins à café et des ustensiles anciens. Le « fait maison » étant la particularité de la famille Blàs avec la chasse, la cuisine est adaptée et en harmonie avec le manoir.

Internet doit être la chose moderne et de ma génération existant en ce lieu. Le reste correspond plus à la génération de mon grand-père, d’Olimpia et de mes parents. Malgré les zones d’ombre qui entourent ma famille, elle est atypique, si je puis dire et ça ne me déplaît pas, bien au contraire. Ma grand-tante était comme eux et très pieuse aussi. J’ai grandi dans un environnement similaire avec la religion en plus. Ma vie était déjà toute tracée et organisée dans les moindres détails avant son décès et l’apparition de ses rêves étranges. À l’instant, je ne saurais dire si je suivrais ce destin tout tracé, cela dépendra de ce que je vais découvrir durant ce retour aux sources.

    Je prends une tasse, la rempli de café, rajoute un nuage de lait et saisis un pain aux raisins frais de ce matin pour le grignoter. Tout en regardant par la fenêtre pour vérifier qu’Olimpia est toujours dans le potager et surtout, en vie. La minute d’après, une présence imposante, intimidante et troublante apparaît dans mon dos. Son aura bien particulière me déclenche des sueurs froides. 

Mon cœur rate un battement et le souvenir de la découverte du cadavre de mes parents lors de ce jour funeste me revient brutalement en mémoire. Je me fige, mes jambes flageolent. J’ai la bouche pâteuse et j’ai des difficultés à respirer.

Bon sang ! Pourquoi cela m’arrive maintenant ? Ce n’est pas le moment. 


Je tente de me contrôler et mes larmes montent progressivement. Je me sens défaillir et je m’accroche au plan de travail avec discrétion pour éviter la chute. 

Cette odeur… Ce charisme… Cette aura… Je les connais. Je les aie déjà sentis auparavant… 


Pendant que je cherche désespérément à me rappeler où, tout en me maintenant debout du mieux que je peux, la personne présente dans la cuisine s’approche de moi. Plus elle s’approche, plus je panique et plus je me sens oppressée et prise au piège. Lorsqu’elle franchit le demi-mètre qui nous sépare, j’attrape le couteau que j’ai sous la main avant de me retourner et l’attaquer.

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