Drainée de mon énergie, je m’écroulai lourdement sur les couvertures de mon nouveau lit. Honnêtement, si j’avais un autre endroit où rester, j’y serais déjà, mais je n’avais nul pas d’autre. Je n’avais qu’à ignorer le général et tout serait parfait, ou presque bien évidement. La journée touchait à sa fin, mais mon corps me faisait si mal qu’il ne réclamait que du sommeil. Presque sans aucune pause, Telrym Daserion m’avait entrainée pendant près de huit heures et il fallait que je retourne au terrain le lendemain. Comment allais-je suivre cette cadence effrénée si je ne pouvais pas me reposer entre deux entrainements ?
— Mon corps a ses limites, soupirais-je dans la housse de mon lit.
En m’enroulant dans la couette, je me remémorai ce que l’Arrogant m’avait dit un peu plus tôt dans la journée, un peu après le repas du midi ;
— Il faut que tu améliores ta robustesse, m’avait-il dit alors que je reprenais mon souffle entre deux entrainements à l’épée à deux mains. Il y a encore beaucoup de progrès à faire avant que tu sois prête à affronter la guerre de face.
Améliorer ma robustesse mon œil ! L’épée que je maniais pesait la moitié de mon poids ! Je poussais un grognement d’exaspération dans mon oreiller tout en serrant furieusement le bord de la couverture dans mes mains crispées. Ce n’était pas de ma faute si je peinais à la soulever du sol. Et il osait me dire que je n’étais pas à la hauteur ? Avec ou sans retenue, j’étais en mesure de lui tenir tête et il y avait probablement des chevaliers qui n’étaient pas en mesure de le faire. On nous dit que les démons sont puissants, mais ils ne le sont pas autant que le général, si ? De toute façon, je n’avais pas envie de combattre les démons seulement, car je dois compléter une prophétie. Une nouvelle fois, je soupirai, puis laissai mes pensées voguer sur le fleuve de mon esprit scellé par je ne savais trop quelle magie. Oubliant ma frustration, je songeai à mes amis. Je n’avais pas eu l’occasion de les voir depuis la veille et ils n’étaient pas présents au terrain d’entrainement. Je supposais que leurs mentors leurs avaient donné quartier libre ou qu’ils étaient au terrain, mais que je ne les ai pas vus. Dans les deux cas, la dernière fois que nous nous étions vu était la veille. Je savais que je m’inquiétais un peu trop, mais Nyra n’avait pas de tuteur attitré comme nous, ce qui signifiait qu’il n’y avait aucun endroit où dormir. J’espérais qu’elle n’avait pas eu à se coucher dans une ruelle ou sur un toit de maison dans la fraicheur de la nuit, car ce ne pouvais pas être bien pour ses ailes fragiles. Perdue dans ma rêverie, la phrase du roi me revient en mémoire, « Je demanderai à Hindrev s’il veut bien lui apprendre ». Qui était-il ? Le magicien personnel du roi ? Un instructeur ? Sera-t-il à la hauteur des capacités qui me dépassent ? Sur ce questionnement sans réponses, je m’endormis d’un sommeil sans rêves avant même que le crépuscule ne tombe sur Extyria.
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Elize Hygarts
La soirée venait à peine de commencer, mais Elize voulait tout de même arrêter au quartier marchand. Elle aperçut alors un petit stand tenu par un vieux nain monté sur une caisse de bois pour être à la hauteur des passants. Sa longue barbe blanche tressée touchait presque le bout de ses genoux. Il vendait de magnifiques pendentifs ornés de pierres précieuses. Pas des vraies semblait-il, car ils n’étaient pas chers. Elize traina sa mentor par le bras, l’attirant vers le stand de l’homme. Sa tuteure, Cellya Olyreii, était une nymphe d’air de dix-neuf ans qui s’était enrôlée dans l’armée quelques mois auparavant, juste après sa fête. Ses parents, de riches marchands voyageurs originaires de Philora, un petit village de nymphes d’air situé en bordure de la Sylis, s’étaient faits assassinés alors qu’ils se dirigeaient vers Lenosis, le pays montagneux des centaures, pour y vendre leurs douces étoffes rappelant le vent. N’ayant nulle part où aller, elle se retrouva dans un convoi de caravanes en se dirigeant vers Mhala. Rendue dans la cité, elle présenta sa candidature pour devenir chevalier au sein de l’armée mhalienne. En rencontrant Elize, elle lui avait fait comprendre qu’elle n’imposerait pas son nom de famille alors l’elfe garda celui de ses parents, Hygarts. Après avoir convaincue Cellya, Elize retourna inspecter les autres stands. Le premier, pour elle, était sertit d’un topaze rappelant le doré de ses iris, celui de Kaleb avait une émeraude, celui de Nyra, un saphirs et pour finir, une opale pendait de celui de Aeris. Cellya avait refusé l’offre de sa pupille malgré les insistances de l’elfe prétextant que le pendentif orné d’une améthyste ferait, « ressortir le mauve pur de ses yeux doux ». L’elfe poussa un petit soupir en se demandant si ses amis allaient les aimer, ce qui attira bien évidement l’attention de la nymphe.
— Qu’y a-t-il Elize ? Ça ne va pas ? demanda-t-elle en s’inquiétant pour elle.
— Oui, ça va, c’est juste que je ne sais pas où sont mes amis donc je ne pourrai pas leur donner leurs colliers.
Cellya lui fit un large sourire avant de lui répondre :
— Si ce n’est que ça. Pour l’instant, ils sont avec leurs tuteurs et chacun ont des horaires différents, mais avant notre départ, dans deux jours, nous organiserons une cérémonie d’adoubement pour vous. Malgré le fait que vous ne pouvez pas accéder aux fronts avant l’âge de dix-neuf ans, la cérémonie est toujours organisée après le retour du régiment. Tu seras donc en mesure de voir tes amis à l’évènement.
Un mince sourire aux allures tristes s’afficha alors sur les lèvres de l’elfe alors qu’elle ralentissait le pas. C’est à cet instant qu’Elize réalisa qu’elle n’avait pas envie de se retrouver sur les fronts à combattre des démons dans deux ans. Elle avait trop peur de la mort pour ça. Elle était aussi terrifiée à l’idée de voir ses amis mourir dans ses bras. Si elle se trouvait à Mhala c’était bien pour une raison, mais n’y avait jamais songé deux fois à la guerre. Les combats à l’orphelinat sont des combats d’enfants rien de plus irréel si on les compare aux vraies batailles où les morts s’accumulent comme des fruits dans un panier en osier. Personne n’y avait songé. Ils prenaient des armes émoussées et lorsqu’il se faisait toucher au niveau d’un des points vitaux, ils jouaient à faire le mort. S’ils avaient su, beaucoup auraient refusé de faire ces duels décisifs. Certains sont si craintifs qu’ils peuvent à peine tenir une épée dans leurs mains frêles. À ces pensées, Elize se mit à trembler. La nymphe, ne comprenant pas ce qui lui arrivait, chercha un banc où l’elfe pourrait s’assoir. Lorsqu’elle en trouva finalement un, elle dirigea sa pupille qui n’avait pas cessé ses tremblements. Lorsqu’elle fut assise, Cellya la prit par les épaules pour lui faire reprendre ses esprits. Elize prit conscience de ce qu’il se passait et remarqua l’expression de profonde inquiétude inscrite sur le visage de sa tuteure.
— Elize ? Elize ! s’écria-t-elle angoissée.
— Je… Je vais bien, murmura Elize en posant une main sur son front.
— Non, ça ne va pas, que t’est-il arrivé ? Tu t’es soudainement mise à trembler et j’ai cru que c’était de ma faute.
— J’ai simplement pensé à quelque chose que je n’aurais pas dû et j’ai eu peur. Je vais bien maintenant. Ce n’est pas de ta faute Cellya.
Cellya poussa un soupir de soulagement, puis étreignit tendrement sa pupille. L’effet fut immédiat : Elize se sentit tout de suite mieux. Elle était bien dans les bras de la nymphe. Son cou sentait bon la cannelle. L’elfe se détacha, puis sourit à sa tuteure. Le visage de cette-dernière était toujours troublé, mais elle ne dit rien. Elize demanda alors à se lever du banc. Elles se remirent en marche dans le quartier marchand.
— Je ne comprends pas ce qu’il t’arrive Elize. Un instant tu trembles et celui d’après tu me souris en disant que tout va bien alors que ce n’est clairement pas le cas, lui dit-elle après une minute de marche.
Elle était encore troublée et cela semblait plus l’affecter elle qu’Elize.
— Ne te tracasse pas avec cela : je vais bien.
— Très bien alors, lui répondit-elle en arquant un sourcil, perplexe un peu, puis continua de marcher en regardant devant elle.
L’avais-je blessée ? songea l’elfe en continuant elle aussi à marcher. Elle se sentait mal de lui mentir, mais elle ne pouvait pas lui dire tout de suite. Elle attendra encore un peu, au moment opportun. L’elfe déposa les pendentifs dans sa poche, car elle les tenait encore dans sa main, devenue moite après ses tremblements. N’étant plus d’humeur à regarder les étalages des marchands, elles se rendirent chez Cellya puisque le crépuscule était déjà passé depuis près de une heure ou même plus. Elle avait perdu le fil du temps. Elles arrivèrent devant la chaumière chaleureuse de la nymphe dans le quartier résidentiel de la cité. En entrant, la tuteure alluma un feu dans l’âtre, puis se dirigea vers sa chambre sans dire un mot à sa pupille. Son cœur se serra à cette vue. Malgré le fait qu’elle soit sa tuteure, sur papier du moins, Elize ne pouvait pas s’empêcher de la traiter plus comme une amie. Elle ne la considérait pas comme son mentor même si elle devrait. Ce qu’elle aimait le plus chez la nymphe, c’était ses longs cheveux foncés toujours impeccablement tressés derrière sa nuque, ses iris couleur améthyste, mais ce qu’elle préférait chez elle, c’était sa joyeuse et charmante personnalité. Elle était toujours prête à rire ou à écouter les autres. Au cours du dernier mois, elles avaient passé beaucoup de temps ensemble en raison de leur relation tuteur-pupille, mais aussi en temps qu’amies. Elle n’était pas dure et sévère comme le général Daserion. Elle a vraiment un grand cœur, pensa Elize en tirant une chaise pour s’assoir à la table dans la cuisine. Le fait que Cellya était en colère contre elle la rendait triste. Ce n’était pas supposé arriver. L’elfe savait qu’elle ne pouvait rester longtemps fâchée contre elle, mais sa poitrine la serrait tout de même. Couchant sa tête sur la table, elle se perdit dans ses pensées et sombra dans les bras de Seiren. Une odeur de menthe poivrée lui chatouilla alors les narines. En se réveillant lentement de ses songes, elle constata que la nymphe était assise devant elle, une tasse de thé fumante aux feuilles de Naryn et un doux sourire étampé sur son magnifique visage. Lorsqu’elle vit l’air désemparé d’Elize, elle se mit à rigoler d’un rire cristallin. L’elfe lui sourit à son tour en relevant la tête.
— Tu as bien dormi ? demanda la nymphe alors que la jeune fille s’accrochait à son sourire.
— Je…oui bredouilla-elle en tournant la tête, embarrassée. Je suppose que la marche dans le quartier marchand m’a épuisée. Il est déjà tard.
Elle hocha la tête, puis se leva pour lui offrir une tasse de thé. Les délicieuse arômes de menthe poivrée et de noisette montèrent jusqu’à ses narines. Cellya savait que ce thé, populaire et poussant uniquement dans les forêts de l’Yndran. L’elfe était heureuse de voir que sa tuteure s’était souvenue que c’était sa sorte favorite. Elle ne pouvait pas vivre sans ce breuvage.
— J’espère qu’il est à la hauteur de tes attentes, car je sais que les elfes ont une manière spéciale d’apprêter les feuilles que je ne sais pas malheureusement, lui dit-elle en riant.
— Il est bon. Presque autant que celui des elfes, lui répondit-elle en gloussant après avoir gouté le thé.
— Je suis heureuse qu’il te plaise. Je suis désolée de m’être comportée de la sorte cet après-midi. Je n’aurais pas dû t’ignorer. Pardonne-moi.
Un voile sombre recouvra alors le doux visage de la nymphe d’air. Ce n’était pourtant pas de sa faute.
— J’aurais dû t’en dire plus sur mon état, mais je ne voulais pas t’inquiéter plus que ce que tu étais déjà.
— J’ai tendance à réagir un peu trop alors ne soit pas surprise si cela arrive encore, l’informa Cellya sur une plus légère en souriant à nouveau.
Lui souriant à nouveau, Elize se leva et commença à préparer le repas du soir avec les aliments qu’elle avait sous les mains : du poulet grillé aux champignons et au romarin accompagné de pommes de terres pillées.