Carmen
« Bip… Bip… Bip… »
Saloperie de réveil matin… 5h30, et celui-ci se met déjà à sonner, me sortant d’un doux et merveilleux rêve. Enfin, c’est l’impression que m’ont laissé les quelques bribes qui me sont restées à l’esprit. En tout cas, j’ai parfaitement bien dormi et les quelques souvenirs de ce rêve étaient, il faut le dire, très plaisants.
Je roule sur moi-même en emportant ma grosse couverture avec moi et fais face à ce qu’il reste de cet objet de malheur. Mince ! J’y suis peut-être allée un peu fort…
Mon réveil, ou plutôt ce qu’il en reste, gît sur le sol, les boyaux à l’air. J’ai certainement dû, encore une fois, envoyer mon poing dans sa sale face de ferraille et celui-ci à dû finir par venir se fracasser contre le mur. C’est sur qu’il va moins bien sonner maintenant. Je lui lance un sourire triomphant en lui annonçant que je l’avais bien prévenu ; c’est vrai quoi, ce n’est quand même pas de ma faute si je suis brutale au réveil, surtout quand il s’agit de la rentrée universitaire !
Je finis par trouver le courage de sortir de mon lit et repousse cette épaisse couette dans laquelle j’aime m’enrouler la nuit.
― Allez Carmen, ne te retourne pas, ne te retourne pas… ne retourne pas te coucher même si tu en as envie… me répéter cette phrase me semble bizarrement faux mais il faut quand même que je m’y tienne…
Au contact de l’air glacial, mes jambes nues se recouvrent de chair de poule. J’attrape et enfile rapidement le peignoir négligemment posé sur la chaise trônant devant mon bureau et sors de la chambre en traînant les pieds. Je passe ma capuche sur ma tête. Je me sens toujours bien plus sûre de moi et incroyablement fière avec ça sur la tête, comme si cette simple capuche me créait une sorte de barrière me séparant du monde extérieur. Ou peut-être suis-je tout simplement cette grande gamine de 22 ans, contente de mettre son peignoir licorne…
Le couloir me semble interminable et me donne l’impression de ne jamais parvenir à temps à la salle de bain. Tous les matins c’est la même rengaine, je dois me battre, m’arracher, me donner corps et âme pour bénéficier de quelques minutes de répit dans la salle de bain. Mais à chaque fois, Allyx, ma petite sœur, me devance de même pas deux secondes et c’est la fin du monde… Cinq toutes petites minutes, rien que cinq minutes ! Je ne demande tout de même pas la lune ! Juste cinq minutes rien qu’à moi. Je pourrais faire tellement de chose en cinq minutes ; me laver, m’habiller, me maquiller, me coiffer, … Ou peut-être pas en fait… Bref, juste cinq petites minutes…
Je me suis donc levée dix minutes plus tôt rien que pour être sûre d’avoir la salle de bain rien que pour moi. Dix minutes de sommeil sacrifiées pour devancer Allyx et pouvoir me préparer tranquillement. Espérons que ça marche…
Je longe le long mur du couloir, j’aime bien ce couloir, je me souviens que, lorsque j’étais plus jeune – beaucoup plus jeune – je m’amusais à jouer les détectives afin de voir s’il n’y avait pas un passage secret derrière cet indémodable papier peint rouge bordeaux orné de ses nombreuses fleurs de lys. Bien-sûr, je n’ai jamais trouvé le moindre passage secret dans cette immense demeure, même en retournant les portraits de famille… rien… , enfin bref, ne nous attardons pas – il faut vraiment que je me dépêche si je veux avoir une chance. Me déplaçant sur la pointe des pieds, j’essaie de faire le moins de bruit possible, mais avec ce vieux parquet qui craque au moindre mouvement c’est plutôt difficile. Même le chat qui ne pèse pas plus lourd qu’un bébé arrive à le faire grincer.
Ça y est ! J’arrive devant la porte de la chambre de ma sœur. Elle est entrouverte et me permet de voir la lumière allumée. Je la vois s’étirer et bailler avec la grâce d’un chat puis… se gratter les fesses avec beaucoup moins de grâce. Ma sœur quoi !
Pas de bruit… ne pas faire de bruit, telle est ma devise ce matin. Je viens de dépasser la porte, ce qui veux dire que je suis, logiquement, en tête ! J’accélère brusquement, tant pis pour le bruit. Je pique un sprint dans le couloir, la salle de bain n’est plus qu’à dix mètres. Allyx rouspète, je l’entends râler à travers la porte, elle a sans doute dû m’entendre. En même temps ce n’est pas comme-ci j’essayais d’être discrète, j’accélère encore, j’ai le souffle court, le cœur qui bat à cent à l’heure et les jambes complètement molles. Un jouet du chat me barre la route, je manque de trébucher dessus mais l’esquive de justesse. La porte est maintenant à portée de main. Ma sœur court plus vite que moi, elle me rattrape déjà. J’ouvre la porte, entre et referme en claquant bruyamment la porte derrière moi. Je lève victorieusement les poings au ciel et souriant comme une gamine. Yes ! Je l’ai fait ! J’ai enfin surpassé ma sœur et la salle de bain est à moi. Tout ce qu’elle contient est à moi, la douche et son eau chaude, les lavabos, les miroirs, … tout ! Je ferai bien la danse de la victoire tient !
― Tu m’as peut-être battu sur ce coup, mais tu es apparemment trop bête pour fermer à clef !
Et merde… J’aurai dû me douter que j’avais oublié quelque chose. Fermer la porte à clef… comment ai-je pu l’oublier ?!? Finis la tranquillité, ça n’a duré que quelques secondes, je n’ai même pas eu le temps de faire la danse de la joie. Heureusement d’ailleurs…
― Tu ne pourrais pas, pour une fois, me laisser la salle de bain ? C’est si compliqué pour toi, cinq petites minutes à me dédier ne rentrent donc pas dans ton emploi du temps de ministre…
― Arrête de te moquer et de te lamenter, ce n’est pas comme-ci je prenais tout mon temps.
Soudain, j’ai une terrible envie de rire, je lève fièrement un sourcil – après tout, tout le monde n’est pas capable de ne lever qu’un seul sourcil – et croise les bras sur ma poitrine, un léger sourire moqueur collé sur les lèvres.
― Bon d’accord, je te l’accorde, j’admets être longue. Mais tu ne peux pas comprendre, si tu faisais un peu plus attention à ton apparence, je suis sûre que tu me comprendrais…
― Excuse-moi de ne pas avoir à me cacher derrière un pot de peinture. Moi je m’assume telle que je suis !
C’était peut-être méchant ça… elle me pousse la langue et me tourne le dos. Non… je ne l’ai pas vexée, elle me fait toujours ce genre de scène pour me faire culpabiliser. Je tente alors le tout pour le tout.
― Laisse-moi au moins prendre ma douche en première, s’il te plaît !
Je la supplie du regard. A l’heure qu’il est et au point où j’en suis, je serais très bien capable de me mettre à genoux et de réellement la supplier. Mais pour l’instant je me contente de lui faire mes fameux yeux de chien battu, et ça à l’air de fonctionner. Elle soupire profondément et il ne m’en faut pas plus pour comprendre que j’ai gagné. Je file directement sous la douche après m’être déshabillée et laisse couler l’eau chaude sur mon corps frigorifié. Quel délice !
***
― Ma parole ! Tu portes vraiment des sous-vêtements de bébé ! Pas la peine de se demander pourquoi Dan et toi n’avaient encore rien fait !
J’entrouvre la porte de la douche et pique un fard en voyant ce que ma sœur tient dans ses mains. Rien qu’à voir son visage et son sourire triomphant, je vais en prendre pour mon grade…
― Une culotte avec des nounours ?! Sérieusement ! Complètement tue-l’amour ça ! Mais bon au moins ça n’est pas les culottes de petites filles avec des fraises aux visages souriant ou avec des petits cœurs dessus…
Bon sang si elle savait !
― D’ailleurs en parlant de Danny, je ne sais vraiment pas comment vous avez fait… c’est long trois ans, comment se fait-il que vous ne vous soyez pas encore jeté dessus ?
Je fronce les sourcils, nous entrons dans un sujet tabou, bien que je n’ai ni honte ni peur de parler sexualité avec Allyx, parler de MA sexualité n’est surement pas mon sujet préféré…
― Je te l’ai déjà dit… je ne suis pas prête…
― Mais bon sang ! Ça fait trois ans que vous êtes ensemble ! Qu’est-ce que tu attends, qu’est-ce qui te fait autant peur ?
Je soupire, tapote du pieds et la fixe, tête penchée sur le côté. Comme-ci elle ne le savait pas…
― Après trois ans de relation tu as toujours peur de te faire larguer… Carmen… ce gars est accroc ! Il ne te quittera pas après avoir passé à l’acte !
Et voilà que ça recommence, c’est moi la méchante encore une fois.
― Je ne dis pas que tu es la méchante de l’histoire mais…
Je lui coupe la parole, furieuse :
― Arrête de lire dans mes pensées Allyx ! Je n’ai même plus le droit de garder mes pensées pour moi…
― Je n’y peux rien si tu ne protèges pas tes pensées.
― C’est facile à dire pour toi, ça n’est pas tes pensées qu’on lit en permanence… Pardon, je ne devrais même pas t’en vouloir pour ça…
Elle me sourit et je comprends que je ne lui ai pas fait de peine.
Elle finit par me rendre mes sous-vêtements et sort de la salle de bain pour me laisser mon intimité. Surprise par cette sortie, je soupire de soulagement et finis de me préparer.
***
L’université. Tout le monde aime l’université n’est-ce pas ? N’est-ce pas le lieu où on se crée les meilleurs souvenirs ? Certainement pas pour moi…
Pourquoi a-t-il fallu que nous partions tôt… Nous savons très bien que la majorité des étudiants flânent dans les jardins bordant la fac avant d’aller en cours, personne n’est pressé de se rendre en cours, surtout pas le jour de la rentrée. C’est vrai ! Quel est l’intérêt à arriver en avance en cours, tout ça pour affronter les professeurs et supporter les regards et critiques affligeantes des étudiants.
L’université… stupide usine à élèves tous plus bêtes les uns des autres. Je déteste l’université, malheureusement je suis obligée de passer par là si je veux espérer trouver un travail décent. J’y ai vécue bien trop de mésaventures, en l’espace de quatre ans, pour pouvoir aimer la fac. Disputes avec les élèves, les professeurs, humiliations en public, … Bref, rien de très joyeux.
Mais le pire dans tout ça, c’est le bus ! Enfermée dans un espace réduit, prise au piège par les regards désagréables des gens qui nous dévisagent, nous critiques, nous juges ou nous pointent du doigt. Aussi, quoi de mieux que devoir renifler les dessous de bras transpirant d’un vieillard se tenant à la barre juste au dessus de vous, ou encore s’asseoir en face de la vieille dame qui sens l’oignon fris… M.A.G.N.I.F.I.Q.U.E…
Bref… j’adore l’université…
***
A peine sommes-nous arrivées devant la longue allée qui mène au bâtiment principal que déjà, tous les regards se retrouvent braqués sur nous, les conversations s’achèvent et tout ce qui a existé ou a bien pu se passer avant notre arrivée ne semble plus avoir de sens. Plus rien ne semble important, plus rien ne semble exister. Plus rien à part une chose… nous.
Ils pensent que nous ne les voyons pas, que nous ne les entendons pas. Ils pensent que nous ne savons pas tout ce qu’ils disent dans notre dos. Toutes ses personnes qui hier vous souriaient de bon cœur mais qui aujourd’hui vous crachent dessus comme si vous étiez la peste en personne. Ils pensent que nous n’entendons pas toutes ces injures blessantes qu’ils nous balancent à la figure dès que nous avons le dos tourné. Pour eux un « espèce de monstre » doit vouloir dire « bonjour tu vas bien ! ».
Comme tous les matins – et ce train-train quotidien est bien plus important les jours de rentrée – nous tentons de nous frayer un chemin à travers cette marée humaine. Bien-sûr, le but est toujours le même ; avancer le plus vite possible, en gardant la tête baissée au maximum et surtout en évitant le plus possible d’affronter leur regard brûlant de haine à notre égard.
Comme tous les matins nous parvenons à nous faufiler et à rejoindre l’entrée du bâtiment, nous savons qu’à l’intérieur nous avons une chance d’être en sécurité, puisque à l’intérieur, personne n’ose dire ce qu’il pense de peur de se faire attraper par un des membres du personnel, bien qu’eux-mêmes pensent exactement la même chose que les élèves… mais bon, ils appellent cela, la tolérance envers autrui…
Comme tous les matins, nous avançons à pas feutrés, nous faisans les plus discrètes possible. Mais bien-sûr, comme tous les matins, à peine avons-nous passez un groupe d’élève que ceux-ci se mettent immédiatement à nous insulter, nous critiquer, nous cracher dessus, … bien évidemment, nous les entendons et ils le savent – bien qu’ils fassent semblant de ne pas savoir – nous entendons ce qu’ils disent : « monstrueuse créature », « chose », « bête », « démon », et j’en passe. Mais c’est injure ne sont pas les pires, après tout, ils nous ont trouvé un nom bien plus charmant, ils nous appellent « les détraquées ».
Le problème avec ces personnes c’est qu’ils veulent absolument rester enfermés dans leur « norme », dès que quelque chose ne tourne pas rond et ne correspond pas à leur « norme », c’est que cette chose n’est pas normale… et forcément… ma sœur et moi ne sommes pas normales – d’après leurs critères.
D’après leurs critères, il n’est pas normal de savoir communiquer par la pensée, ni de savoir contrôler les esprits, il n’est pas non plus normal de savoir manipuler les éléments, ou encore de ressentir des choses étranges chez les autres individus, de savoir invoquer rien que par la penser une sorte de force astrale permettant de créer toutes sortes d’arme à partir des étoiles…
Si seulement les gens étaient un peu plus ouvert d’esprit tout irait tellement mieux…
***
Tout semble si calme à l’intérieure de l’université. Ça fait du bien un peu de calme. Dehors, l’agitation suite à notre passage à désormais fait place à une toute nouvelle agitation ; celle de découvrir les nouveaux groupes d’étudiants, celle de découvrir (ou de redécouvrir) les professeurs qui auront l’honneur de nous supporter tout au long de ce premier semestre, car rares sont les professeurs qui ont la chance de supporter leurs abrutis d’élèves pendant toute une année, ils finiraient par faire une grosse dépression… Oui c’est bien calme à présent. Les longs couloirs blancs de la fac semblent bien vides sans leurs nombreux élèves affalés sur le sol attendant d’entrer avec joie dans leur salle de classe, sans toutes ses affiches qui nous informe de mainte et mainte chose. C’est tellement vide que le moindre chuintement d’une chaussure sur le carrelage lisse et bien propre pourrait résonner entre ces murs.
Mais bientôt, j’aperçois les premiers professeurs arriver au fond d’un couloir, ils paraissent heureux de se retrouver et de se raconter leurs aventures de vacances. Je les voix avancer vers nous en souriant et en discutant entre eux, leurs voix et leurs éclats de rire résonnent bruyamment dans les couloirs vides quand soudain les visages se tournent dans notre direction, plus de rire, finit les souvenirs de vacances, place à l’indifférence et la haine cachée derrière un léger faux sourire histoire de rester poli.
Ils s’arrêtent en face de nous juste à côté d’un panneau d’affichage et nous adressent un signe de tête en nous souhaitant la bienvenue d’un ton incroyablement faux et sec, je ne sais plus quoi en penser tellement cela me désespère. A force, cela ne me fait ni chaud, ni froid… ce ne sont que des expressions faciales vides de sens qui ne sont là que pour faire joli me dis-je.
Ils finissent par détourner leur regard et s’intéressent à leur but premier, le premier professeur, un vieux monsieur un peu gras et déjà transpirant dans sa vieille chemise à carreaux rouges, commence à accrocher les premières feuilles sur le panneau. J’en profite alors pour les consulter et m’aperçois qu’il s’agit de la disposition des groupes d’élèves et de la salle où ils devront se rendre pour la pré-rentrée. J’entends la voix d’Allyx, qui consultait également les listes, résonner dans ma tête – son don était de pouvoir manipuler les esprits et de communiquer par la pensée en les lisant dans l’esprits des autres (vraiment pratique comme don !).
― Regarde, nous sommes dans le même groupe.
J’acquiesce seulement de la tête, ne prenant pas la peine de formuler une réponse en pensée. Bien évidemment que nous sommes dans le même groupe ; elle est ma sœur alors nous avons le même nom de famille et comme les listes se font dans l’ordre alphabétique, il semble logique que nous soyons, encore une fois, dans le même groupe.
― Regarde à ta gauche mais reste discrète, enfin essaie de le rester, il y a un des nouveaux professeurs qui n’arrête pas de te fixer. Même en pensée je parviens à ressentir son inquiétude, Allyx s’inquiète toujours pour un rien…
Je fais alors mine de regarder vers la porte d’entrée, comme-ci j’attendais quelqu’un, et croise brièvement son regard. Immédiatement un contact se crée, comme un courant électrique. Je ressens quelque chose de puissant chez cet homme, quelque chose dans son énergie me dit qu’il doit être fort, mais trop fort pour n’être qu’un simple humain. Peut-être est-il lui aussi un détraqué, à par ma sœur et moi, je n’en ai jamais rencontré d’autres. Mais en tout cas, il n’est pas « normal »…