Petites amours > 11. Embrasser lentement

5 mins

 « Life is short, break the rules, forgive quickly, kiss slowly, love truely, laugh uncontrollably and never regret anything that made you smile. Twenty years from now you will be more disappointed by the things you didn’t do than by the ones you did. So throw off the bowlines. Sail away from the safe harbor. Catch the trade winds in your sails. » M. Twain.

La citation était sur son profil, je ne la connaissais pas, ca m’a plu.
Mariette est une verbeuse, sa description est une véritable étude sociologique sur les relations hommes femmes. Il y a tant à lire que j’abandonne au bout de quelques minutes pour aller consulter ses photos. Jolie femme, une grande bouche pleine de dents, de longs cheveux poivre et sel, des attaches fines. Un charme évident.

Je ne laisse pas de message.

Manifestement mon passage a été remarqué puisque dans la soirée elle me contacte.
C’est un véritable questionnaire auquel je ne réponds que partiellement :
Pourquoi passer par un site internet pour trouver l’amour ? Suis-je si désespéré que cela ? L’indépendance d’une femme me fait-elle peur ? Depuis quand je fréquente ce site ? Quelle en est ma perception ? Qu’est-ce que je recherche chez une femme ? Suis-je prêt à aimer ? Depuis combien de temps suis-je divorcé ? Suis-je intégré socialement ? Quel est mon domaine d’activité ? Ai-je des amis ? Quelle est ma tendance politique ? Elle signale qu’elle est de gauche et qu’un homme de droite, mais pas trop à droite, pourrait malgré tout susciter son intérêt.

Sa réaction ne tarde pas : « A travers tes réponses, je ressens que tu as dû traverser des difficultés. Tu as su rester fort, garder confiance ».
S’ensuit un deuxième questionnaire :
Ces épreuves t’ont-elles permis de gagner en maturité, de grandir ? Du haut de tes 50 ans, qu’as-tu appris d’essentiel dans la vie ? Comment voyais-tu la vie à 20, 30, 40 ans par rapport à maintenant ? Quelles étaient tes valeurs, ta façon de faire, de réagir ? Que ne ferais-tu plus ? Tu peux aussi réfléchir à ce qui t’a fait changer, quelles situations t’ont marqué, t’ont fait évoluer ? Tu m’as dit que tu faisais du bénévolat pour compenser. Es-tu si à droite que ça ? Peux-tu m’envoyer d’autres photos avec d’autres expressions du visage, J’aimerais mieux cerner l’homme que tu es dans la vie ?

Mes réponses, une nouvelle fois, sont tout aussi lacunaires, je lui parle de la vraie vie, des phéromones, du corps et de l’importance de se rencontrer.

Mariette me donne son numéro de téléphone. Me demande de lui envoyer d’autres photos plus expressives par WhatsApp et propose de venir me voir à Genève.

Je l’attends sur le quai de la gare. Elle est vraiment très grande, toute en jambes. Elle part du coté opposé, la démarche rapide et volontaire, elle semble voler. Elle se tient très droite, son port de tête magistral lui donnant encore plus de hauteur.
Je l’observe de loin, c’est une girafe qui s’enfuit, un animal racé et sauvage.
Je cours pour la rattraper et l’appelle : « Mariette ! ». Elle se retourne, me sourit.

Je parle beaucoup, suis confus, emprunté, elle me plait.
Mariette me regarde, me pose quelques questions, se moque gentiment.
Nous sommes sur une terrasse au bord du lac, il fait chaud. Je lui propose d’aller nager. « Je n’en ai pas envie, du moins pas encore » me répond t’elle. « Je veux mieux te connaître, prendre mon temps ».
C’est elle qui dirige nos échanges. Sa présence m’électrise. J’ai l’impression qu’elle a déjà tout compris. Je suis moi-même, m’expose, m’abandonne, ce qu’habituellement je ne fais jamais… je sens mon cœur battre.

Nous prenons une « mouette genevoise » pour traverser la rade et marchons jusqu’au yacht club. Nos mains se touchent sans se prendre.
Nous choisissons une grande pierre plate au bord du lac pour nous allonger.
J’enfile mon maillot de bain et me jette à l’eau. Elle m’observe, je crawle sur une centaine de mètres pour l’impressionner et reviens essoufflé à la brasse. Elle se décide enfin à se mettre en maillot de bain. Elle enlève sa robe, décroche son soutien-gorge sans se préoccuper de cacher sa poitrine. Elle procède de la même façon pour le bas. Elle est belle, naturelle, saine. Nous nageons côte à côte jusqu’à une bouée au large. Son regard est pétillant, sa peau bronzée, ses cheveux relevés sur la tête. Elle nage comme elle marche, avec vigueur et détermination.

Notre premier baiser sera aquatique, ses cuisses fuselées entourant ma taille.
Nous rejoignons notre rocher et nous y allongeons, serrés l’un contre l’autre. Je ne cesse de la regarder, ses yeux sont sombres et pénétrants, ses mains me caressent, sa bouche se colle à mes lèvres. Elle m’embrasse, lentement, je suis bien, elle occupe tout mon espace, il n’y a plus qu’elle.

Une famille en camping-car s’est installée à proximité. L’auvent sur le coté du minibus se bloque, des cris fusent. Les hommes, très tatoués, tirent sur la bâche et malmènent la manivelle, ils ont un accent du Sud. Les enfants gonflent un matelas pneumatique en forme de tranche de pastèque. La grand-mère donne à boire à son gigantesque Akita Inu bringé. Les adolescents plongent dans l’eau depuis les rochers, sortent une canne à pêche, s’équipent de masques et tubas. Deux femmes de la tribu montent une table et installent des chaises en plastique. C’est l’heure de l’apéro, le soleil prend une teinte rouge orangée et se rapproche des cimes du Jura.

Nous nous décollons l’un de l’autre pour nous rhabiller et nous réfugions au bar du yacht club. Mariette tient ma main serrée dans la sienne. Nous nous asseyons, côte à côte, dans un sofa, le sol est en gazon synthétique, ses pieds nus sont sur les miens.
Nous commandons du rosé et quelques tapas. Je rechigne à l’embrasser en public ; en réaction ses baisers n’en sont que plus longs et profonds. Une femme et son teckel, sur le divan d’en face, nous observe. Le serveur est aux petits soins et rempli régulièrement nos verres, le drapeau du club flotte mollement sur son mat.

La lune est immense, nous marchons, sa main dans la mienne, le long du quai. Elle ne semble pas vouloir repartir, l’heure du retour en train est oubliée. Nous nous arrêtons prendre des sorbets et c’est avec les mains qui collent que nous franchissons la porte de mon appartement. Dans son sac il y a son nécessaire pour la nuit, « au cas où » me dit-elle.

Les préliminaires, surprenamment inventifs, sont longs, très longs, très très longs… mes tentatives exploratoires réduites à néant. « Je ne suis pas prête » me dit-elle « Il faut que nous soyons en connexion ». Je m’impatiente, elle le sent, nous nous endormons.
Le lendemain matin je la raccompagne à la gare. Nous traversons le parc des Bastions en nous embrassant tous les dix mètres. Je n’ai pas envie qu’elle parte et traîne tant les pieds que nous devons prendre le bus pour qu’elle ne rate pas son InterCity.
Sur le quai le train est déjà là, « sois patient » me dit-elle, « embrasse-moi lentement ». 

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