J’ai rencontré Luise sur un site internet. Je crois que c’était “adopte un mec”. Elle m’a mis dans son “panier ” et notre relation a commencé.
Elle m’a dit “bonjour”.
Je lui ai répondu par un “bonjour”, je suis plutôt bien élevé.
Elle m’a demandé si cela faisait longtemps que j’étais sur le site, je lui ai répondu que non et j’ai ajouté “et toi ? “Elle m’a répondu que je n’avais pas à la tutoyer car nous ne nous connaissions pas.
J’ai répondu, vu les circonstances particulières de ce premier contact, que le tutoiement n’était pas déplacé, bien au contraire.
Elle m’a répondu qu’elle souhaitait être vouvoyée, puisqu’elle me vouvoyait.
Je lui rétorquai que je continuerai à la tutoyer mais que si elle voulait me vouvoyer cela ne me dérangeait pas.
“C’est une question de savoir vivre et de respect” me répondit t’elle.
Je lui répondis quant à moi que l’on pouvait utiliser la deuxième personne du singulier tout en étant respectueux voire même amical.
Elle me posa ensuite les questions habituelles, toujours en me vouvoyant. Par jeu je les esquivai et répondis aux questions qu’elle ne m’avait pas posées, toujours en la tutoyant.
Cela la déconcerta, sa structure intellectuelle nécessitant une progression ordonnée dans la découverte de l’autre.
Elle parvint malgré tout à obtenir les informations qu’elle souhaitait. Avec ces bribes de renseignements ainsi que ma photo, elle réussit à trouver mon nom, la société où je travaille ainsi que l’adresse de mon domicile.
“J’ai vérifié tout ce que vous m’avez dit” me dit-elle. “Tout est exact”. Elle ajoute qu’elle a apprécié que le sujet du massage, introduction au sexe et à sa virtualité, n’ait pas été évoqué. Ce qui apparemment est un standard chez la plupart des hommes.
Je lui propose de nous rencontrer, elle n’habite pas très loin de chez moi. Elle accepte et à ma grande surprise m’invite le soir même directement chez elle !
Nous sommes en été, je fais exprès de me rendre à son appartement en short et en tongues. Mes pieds sont un peu sales, je n’ai pas pris de douche. Inconsciemment je me protège. J’apporte tout de même une bouteille de Laurent Perrier rosé. Je sonne, elle m’accueille sur la terrasse de son duplex carougeois sans me faire entrer à l’intérieur. Cela me réconforte.
Elle est pieds nus, ils sont grands, les ongles de ses orteils sont peints en blanc, je me demande si elle a utilisé du Tipp-Ex. Elle porte une mini-jupe sur de longues jambes musclées.
Je remplis en tremblotant les coupes de champagne qu’elle a été chercher. Je ne suis pas très à l’aise. Elle me vouvoie, je la tutoie. Elle semble apprécier cette dichotomie.
Nous parlons beaucoup, de tout et de rien, des femmes et des hommes, de leur incompréhension, de leur différence.
La bouteille de champagne est vide, elle me propose du whisky, un single malt.
Nous le buvons en nous regardant, le soleil s’est couché, la nuit est moite.
Je me demande si je dois partir. Elle le sent, m’invite dans son salon. Elle vit dans une grande pièce. La cuisine américaine jouxte un bureau, son lit est dans un coin. Un sofa occupe une grande partie de l’espace.
Contre un mur une bibliothèque remplie de livres, les étagères du milieu ont été démontées pour y loger une télévision avec deux enceintes. Tout est très propre.
Luise se déshabille devant moi. Elle plie délicatement ses vêtements, les pose sur une chaise et se couche. Sa toison est particulièrement fournie, brune tendant vers le roux, lustrée. Je sens son odeur musquée. Je suis debout, la regarde, sans rien dire.
Je ne vois que le dôme formé par le foisonnement de ses poils.
Je demeure à distance, des vagues de frissons parcourent mes cuisses, mon bas-ventre fait barrage.
Je recule, très doucement, jusqu’à la porte et m’enfuis sans un mot.
“Vous êtes un pleutre, jamais je n’avais subit un tel affront”.
“Je pensais que vous étiez un homme, vous n’êtes qu’une lavette, un homoncule”.
“Je m’offrais à vous, seul un foutriquet, un rase-motte, un myrmidon est capable d’un tel comportement”.
Je savais que je ne devais pas ouvrir ses messages, pourquoi lui ai-je donc donné mon numéro de téléphone portable. Je ne réponds pas, mon silence est mon échappatoire.
Un courrier suit, je ne l’ouvre pas.
“Avez-vous reçu ma lettre ? Au-delà de mes excuses, acceptez-vous ma proposition ?”
“Retrouvez-moi, demain après-midi, chez Berger à Carouge”.
Je ne sais pourquoi mais je m’y rends, la lâcheté a ses limites et je souhaite me confronter à elle.
Elle est là, sur la terrasse du café. Je m’assois en face d’elle. Elle n’a pas l’air contente, je m’attends au pire.
“J’ai lu votre livre, votre style m’a plu”.
Je la remercie.
“Que pensez-vous de ma proposition ?”
Je n’ose pas lui avouer que je n’ai pas ouvert son pli.
“Je ne sais pas” lui dis-je.
“Mon projet d’écriture vous intéresse t’il ?”
Je lui réponds que peut-être
“Le sujet des rencontres sur internet est sociologiquement très intéressant et je souhaiterais coécrire mon livre avec vous. Le point de vue d’un homme, le vôtre, serait fort à-propos et contrebalancerait ma façon de voir les choses”.
De paltoquet j’ai retrouvé mon statut d’homme. Je m’en réjouis et laisse un peu durer ma réponse.
“Vous avez du talent, je pense que nous pourrions être complémentaires dans l’écriture. Mon objectif est de produire de la littérature et d’être publié”.
L’idée m’intéresse beaucoup, j’ai envie cependant de la faire encore mariner un peu.
“Je dois réfléchir” lui dis-je.
Je paie les cafés, la salue et enfourche mon vélo en lui promettant cette fois de lui donner des nouvelles.
Cela va faire presqu’une année que nous tenons “salon littéraire”. Luise me lit ses histoires, souvent sombres; je lui lis les miennes, souvent joyeuses. Nous échangeons nos impressions, critiquons nos textes, proposons des angles d’écriture différents, travaillons sur le style.
Nous buvons toujours du Laurent Perrier rosé, que nous accompagnons d’autres bouteilles et cuisinons à tour de rôle. La littérature donne soif et très faim.
Au fil de notre travail notre rapport aux sites de rencontre a évolué. Luise expérimente toujours autant, ses besoins demeurent importants. Elle n’a toujours pas trouvé son homme.
J’ai atteint quant à moi mes limites et suis revenu à une méthode de rencontre plus traditionnelle, lente et parcimonieuse. Ma quête n’est pas terminée, le sera-t-elle un jour ?
Avec le temps, Luise est devenue une amie, elle s’est mise à me tutoyer.