Fragment d’éternité

4 mins

J’ai plané au-dessus des toits, contemplé le sourire du bouddha, j’ai
dansé avec Shiva, joué à cache cache avec Ganesha. 

Je tombe, je bascule, je plonge. Matinée d’un mois d’août sur ma
terrasse. Le soleil m’accueille , m’inonde. J’ai rendez-vous. Le
silence de la ville est découpé, finement ciselé par les vibrantes sonorités cuivrées des clochers environnants. C’est un enchantement, une jubilation. Joie profonde, rappel. Une émotion me relie. Je franchis une passerelle entre hier et aujourd’hui, entre présent et avenir. Couloir, passage. C’est une porte vers une dimension  intemporelle, un espace où l’imaginaire est souverain. Le son me projette dans un flux d’images aux sensations d’un infini possible. La promesse est là, au cœur. Elle rayonne, enfle, gonfle et se soulève. C’est une vague, c’est une ondulation qui se propage sous le ciel, irradiant l’atmosphère. Je navigue au gré du courant. Mes pensées s’envolent, mon esprit s’évade. J’accède à un autre vécu, une autre temporalité. Je m’approche des portes de la perception. Se séparer, se détourner du merveilleux conduit à l’impasse, à la clôture. Pourquoi se retrancher ? Adopter une posture figée et hiératique, abolit notre rapport au sacré, notre relation à la transcendance. Alors cette dimension se rétracte, se retire puis nous déserte. Le rêve est pourtant un vocabulaire, un langage, un chemin et territoire. J’explore les différentes strates sonores m’immergeant dans les couleurs, les nuances, les géométries. J’entre en résonance. Je suis la note, l’accord, la fréquence. Le ciel est un immense diapason. Je suis le rêveur, le chaman. Je suis corde, je suis archet. Je suis tension et courbe, je suis tension, je suis aussi harmonie. Je remonte par paliers successifs comme un plongeur en apnée retrouve la surface. Je reprends pied peu à peu. La terrasse m’accueille dans le tintement argenté des clochettes, le timbre boisé d’un carillon, bruissement dans le feuillage des figuiers. Une brise odorante répand ses effluves. Quelques sonorités plus lointaines résonnent encore, s’attardent, planant et tourbillonnant. Une empreinte, présence bienveillante poursuit en moi son voyage, déposant sa marque, sa trace. La manifestation se prolonge, joue en écho sa partition. Je vibre dans chaque son. J’entre dans le son, je suis le son, je deviens le son, étincelle, particule d’un grand tout qui me dépasse, m’enveloppe, me submerge. Je suis le maillon d’une chaîne accrochée aux étoiles, reliant l’humain à sa mémoire. Le grand kaléidoscope sonore est une arche, une voûte sous laquelle je m’avance, progresse. Je suis le rêveur, je suis le chaman. Je me faufile au cœur du silence. 

C’est au fond du silence que je m’aventure. J’explore la nuit,
j’explore le jour, labyrinthe, dédale où je m’enfonce toujours plus, à l’écoute d’une voix si ténue. Clarté fragile, fil d’ariane qui semble me guider, m’indiquer le chemin. Il est question de modification, de transformation, de métamorphose. La petite voix m’appelle, faisant resurgir en moi un passé oublié. La résonance est une clé qui ouvre une brèche, une voie. C’est une piste, une route impalpable. C’est une porte, une ouverture. Monde derrière le monde, univers parallèle qui n’attend que notre accord, notre désir. Je devine et perçois d’imperceptibles changements. Tout est rythme, mélodie et modulation, vibration sous le ciel. La pulsation se niche dans les intervalles subtiles et transparents. Le souffle se fait murmure, ouvrant le chemin. C’est un couloir invisible et cependant à porté de main. Sentiment océanique. Je suis un explorateur immobile, un explorateur du silence. Ma terrasse est un royaume, un navire. Marin solitaire épris de liberté, Je me glisse à travers les mille promesses intimes de l’instant. Les marées du temps nous enseignent. Les précieux parchemins de la connaissance sont gravés en nous. Pourquoi y renoncer, pourquoi abdiquer ?Je fais alliance, je fais corps, je me dilue. C’est l’étrange alchimie, dialogue permanent. Le bourdonnement des cloches m’envoûte et m’hypnotise, me traverse. Le présent contient les richesses de nos mémoires. Nous sommes chacun fragment d’éternité. 

Je suis assis en tailleur sur la terrasse. Ici, c’est un havre de
paix, c’est aussi mon nid d’aigle. C’est mon ashram, mon lieu de méditation, d’observation. Un soleil généreux, abondant joue sur ma peau. Je ressens toute son ardeur, son intensité, sa chaleur et sa force de vie. Il m’enveloppe. La lumière m’inonde. Autour de moi, les 2 figuiers bruissent, se balancent dans un délicat et subtile parfum fruité. Je me laisse envahir, caresser par le souffle, l’ambiance. Une tasse de thé à portée de main, J’entre dans le silence. L’instant est fragile, suspendu. Je suis étroitement relié à mes perceptions. Ma respiration est lente et profonde. Les sonorités environnantes me parlent de lointains, de promesses anciennes. Je navigue, je voyage. Je suis en partance. Le relief de chaque son m’ouvre une piste, une direction. Les images surgissent, se succèdent, les évocations sont des pages que je tourne. Je me pause, immobile mouvement. Je m’envole vers une ville indienne. C’est l’arôme puissant d’une cuisine épicée toute proche. Je déambule sur un gât de Bénarès à la tombée du jour, au bord du Gange. Une ferveur religieuse envoûtante bourdonne, flotte sous le ciel. Je m’aventure au cœur du mystère. Des effluves d’encens viennent me chercher. Je suis en rickshaw parcourant les rues de Delhi. Je traverse un marché de l’Inde saturé de fragrances. Soudain, une cloche de bronze tinte. Je rebondis à l’instant. C’est une fin d’après-midi d’été à marée haute en Bretagne. Vision d’une chapelle de granit, les voix aigrelettes d’un groupe de bretonnes chantant des cantiques usés par le temps. Puis, c’est un village de montagnes dans le Piémont, l’accent italien, le goût incomparable du café sur une petite place ombragée. Les pages se tournent, la mémoire est un livre. Je suis un oiseau. Je capte les intentions, les humeurs, les désirs. Je plane au-dessus des toits et de l’horizon. Chaque courant d’air est un appel, une invitation. Une histoire se tisse, se fait jour, remonte peu à peu. Elle creuse un sillon, une brèche dans le temps. Un parchemin se déroule sous mes yeux. Il est question d’un ailleurs, une connaissance jusque là oubliée. Un personnage apparaît en filigrane. Il se glisse, se faufile à travers ma conscience. Stupéfaction et incrédulité. La présence s’accentue, la manifestation se poursuit, prend de l’ampleur. Des paroles s’insinuent avec persistance. Des mots, des images me cueillent, s’imposent. Ils éveillent un écho, soulève un pan de mon passé. Un voile transparent tremble et se déchire. Je me retrouve dans la propriété familiale. On me parle d’un temps reculé. Une trame prend forme et se dessine dans mon esprit. Je suis fragment d’éternité. 

Gilles de La Buharaye

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