Chapitre 6 – partie I

9 mins

    Azilis attendait aux côtés de Chaya, anxieuse. Autour, la jeune fille comptait six autres personnes, qui semblaient toutes très à l’aise et discutaient entre elles. Parfois, Azilis sentait le regard protecteur du médecin se poser sur elle, mais elle ne lui rendait pas, trop occupée à réguler les battements affolés de son cœur. Chaya était souriante, comme à son habitude, et se contentait de repasser sa robe immaculée d’un air détaché.

    Un grincement métallique retentit et les portes laissèrent place à l’emporion, entouré de ses serviteurs. Aussitôt, les discussions s’éteignirent et tous saluèrent le nouvel arrivant d’une révérence avant de s’approcher de la table centrale. Azilis ne s’inclina pas et suivit Chaya pour aller se placer derrière sa chaise, attendant un quelconque signal pour s’installer. Toutes ces coutumes nobles lui étaient totalement inconnues, mais la jeune fille s’efforça de suivre le mouvement, de peur d’aggraver son cas.

    Le géant ordonna à ses suivants d’aller chercher les plats, avant de s’asseoir en bout de table, un sourire supérieur sur les lèvres. Tous les convives l’imitèrent, laissant deux chaises vides en bout de table. La jeune fille regardait un à un les invités, cherchant à savoir quel rôle ils occupaient dans ce palais. A gauche de l’emporion se tenait deux jeunes hommes qu’Azilis ne connaissait pas. A droite, la jeune fille reconnut sans mal Xene, son médecin, qui se trouvait aux côtés d’une jeune femme à la chevelure ébène. La place suivante était occupée par un homme légèrement plus âgé, qui n’avait pas arrêté de fixer la jeune fille depuis qu’ils étaient assis, ne faisant que renforcer son malaise. Heureusement pour elle, Chaya lui faisait face et elle n’était pas contrainte de croiser son regard.

    Azilis était donc seule, face à deux chaises vides. Le seul point commun que la jeune fille avait trouvé à tous ces gens, c’était l’assemblée de l’après-midi. Ils étaient tous présents lorsque que l’empereur lui avait soumis sa proposition. Ils étaient donc proches du géant et cette déduction n’enchanta guère la jeune fille. Relax, pensa-t-elle, Chaya est là. Mais elle n’arrivait pas à se détendre. Pour l’emporion, l’enjeu était trop grand, et il ne lâcherait l’affaire sous aucun prétexte.

    Azilis était tellement fixée sur ses pensées qu’elle n’avait pas réalisé qu’on s’adressait à elle. Le géant claqua des doigts pour attirer son attention et reposa sa question :

« Serais-tu disposée à me donner ton nom, jeune nephily ? »

Azilis hésita, sentant tous les regards converger vers elle.

« A.. Azilis. .. Majesté. »

L’emporion parut satisfait de cette réponse.

« As-tu bien réfléchi à ma proposition , Azilis ? Je ne fais pas d’ offres comme celle-ci tous les jours. Et tu me dois toujours la vie, si je ne m’abuse. »

    La jeune fille se crispa instantanément à la mention de son état. A chaque seconde, elle se sentait de plus en plus prise au piège. Tout était fait pour qu’elle accepte, mais sa conscience se refusait à cette proposition. Ce géant n’avait pas le droit de disposer de sa vie ainsi, ce n’était pas comme ça qu’elle voyait son avenir. Face à la pression, Azilis sentit la panique lui serrer la gorge. Au même instant, les servants apportèrent les plats et Xene profita de cette minute d’inattention pour changer de sujet :

« Majesté. Je dois vous faire part d’informations au sujet de la tragédie de ce matin. Les nephilys se sentent démunis et demandent votre aide. Si elle tarde à venir, je crains fort qu’une révolte éclate, Majesté. »

Le géant se détourna de la jeune fille pour dévisager le médecin.

« Quelle aide pourrais-je leur donner Xene ? Chaque jour des hommes meurent, et personne ne s’en préoccupe.

– Majesté, il ne s’agit pas là d’une bagarre futile. On parle d’une espèce contre une autre. Les conséquences peuvent être considérables, et si nous n’agissons pas, elles échapperont à votre contrôle. Vous ne voulez pas d’une guerre ouverte Majesté ?

– Je n’aime pas ta manière d’exposer les faits. Il est évident que tu prends un large parti pour les tiens, nephily, et cela n’est pas ton rôle dans ce palais.

– Cette situation dépasse mon implication Majesté, je vous assure. Et cela peut entraîner la colère des chasseurs de fées. »

L’emporion fronça les sourcils, la mine soucieuse. D’un simple geste, il incita les convives à donner les autres informations. La jeune femme qui était restée très discrète jusque là, s’éclaircit la voix pour parler :

« Xene dit vrai Majesté. Les chasseurs de fées n’ont pas bien accueilli la nouvelle de l’attaque. En agissant de la sorte, les faés ont brisé l’accord de paix qui existait entre eux. Ils … Ils ont mis le feu aux poudres Majesté. »

Le jeune homme blond réagit aussitôt en se levant.

« Cessez de remettre toute la faute sur les faés ! Les auteurs de ce crime ne sont qu’une poignée d’hommes, vous ne pouvez en aucun cas blâmer tout un peuple !

– Léo ! Assieds-toi. »

    L’ordre de l’empereur était sans appel, jetant un froid sur le petit comité. A contre-coeur, l’intéressé se rassit. Azilis observait la scène minutieusement, essayant d’en apprendre le plus possible sur chacun des convives. Le géant poussa un soupir las avant de renvoyer un plat en cuisine, sans y avoir touché. A la vue de la nourriture, Azilis eut subitement très faim et s’empressa d’attaquer son assiette avant qu’on la lui retire.

    Tout en mangeant, la jeune fille essaya de mettre au clair ses déductions. De toute évidence, elle-même et Chaya étaient les seules à ne pas être familières à l’emporion. Le jeune blond était sans aucun doute faé, tandis que la jeune femme timide devait être chasseuse de fées. Chaque personne autour de la table était en quelque sorte responsable d’un peuple et se devait d’être le messager pour rendre compte au géant de la situation.

    Seuls deux des invités n’avaient pas encore parlé. Le voisin dudit Léo, et l’homme qui n’arrêtait pas de la fixer. Alors qu’Azilis arrivait à la fin de son assiette, l’empereur passa ses doigts dans sa barbe et parcourut lentement des yeux ses invités. Son regard s’arrêta sur l’homme étrange, en face de Chaya :

« Qu’as-tu à dire sur cette situation, cher conseiller ? »

L’intéressé détourna immédiatement son attention de la jeune fille pour répondre à son supérieur.

« La situation en question est plus que délicate, Majesté. Mais ce qui m’interpelle le plus, c’est comment la situation est devenue telle qu’elle est.

– Qu’entends-tu par là Paradox ? Les éléments sont clairs. Un groupe de faés extrémistes a incendié et détruit un village nephily, après avoir décapité les médiateurs. Que te faut-il de plus ?

– Pourquoi ont-ils agit de la sorte ? Cette question ne dérange que moi ici ? Ma longue expérience du genre humain me permet de dire que personne ne fait une action sans raison. Ou bien .. Ils ont été forcés de le faire, ou bien il y a eu un désaccord majeur qui nous a échappé ? Ces tensions ne sont pas nouvelles mais peut-être les avons-nous sous estimées ? Ou bien … ou bien c’est l’œuvre d’une puissance supérieure, qui joue a un jeu dangereux. Très dangereux. »

A ces mots, il planta son regard sur Azilis, inquisiteur, alors que le géant fronçait les sourcils.

« Que sous-entends-tu Paradox ? Il y a quelque chose que tu as omis de me dire ?

– Je sais que les réponses sont juste là, Majesté, mais elles me sont encore inaccessibles. Je m’entretiendrai avec notre chère Chaya demain matin. Peut-être aurons-nous des informations complémentaires.

– Je te fais confiance pour me tenir informé. .. Vous conviendrez tous que la tension n’a jamais été aussi forte entre nos citoyens, nos loyaux sujets ? »

Tous les convives hochèrent gravement la tête.

« Léo, Xene et Libby. Je vous veux tous les trois à l’aube dans la salle du conseil. Nous discuterons de cela l’esprit clair. Paradox, trouve les réponses que tu cherches le plus rapidement possible. J’ai bien peur que les révoltes n’attendent pas. »

Les quatre concernés acquiescèrent. Alors que chacun commençait à  se lever, le géant reporta son attention sur la jeune fille, un sourire pincé sur les lèvres.

« Je pense avoir assez attendu, très chère. Que me réponds-tu ? »

Azilis se figea, déroutée.

« Je .. Je ne peux pas vous répondre. .. Il m’est impossible de donner une réponse à votre offre. »

L’emporion serra les poings.

« C’est pourtant tout réfléchi. Si tu déclines mon offre, je serai incapable de te donner un gîte, un couvert et des soins appropriés. »

Xene se crispa à ces paroles, mais n’ajouta rien. Le géant poursuivit :

« C’est autant dans ton intérêt que dans le mien. Tu pourrais t’instruire plus largement sur le monde actuel et pourquoi pas apporter ton aide pour résoudre des problèmes ? Il me semble évident qu’il te reste beaucoup de choses à apprendre. Tes parents n’ont pas été très insistants sur les coutumes et le savoir-vivre de ce royaume, j’en ai peur. »

    Une vague de colère envahit soudainement la jeune fille. Se faire rabaisser par un empereur prétentieux est une chose, mais entendre dire que ses parents ne l’ont pas élevée comme il se doit en est une autre. Azilis se leva brusquement, renversant sa chaise au passage. Chaya s’empressa de lui saisir la main pour tenter de la raisonner, mais la jeune fille se dégagea sèchement en foudroyant du regard son interlocuteur.

« Si ma présence vous est si insupportable, inutile de m’inviter à un repas pour me faire chanter ! Votre offre n’en est pas une ! Soit je reste de mon plein gré, soit je finis en cage. La seule chose sur laquelle mes parents ont insisté, c’est la valeur de ma liberté ! Maintenant c’est la seule chose qu’il me reste d’eux. Hors de question de la troquer contre une vie d’esclave. »

    A ces mots, Azilis traversa la pièce au pas de course et enfonça la porte pour s’enfuir dans le couloir. Derrière elle, seul retentit le grincement d’une chaise suivi de pas précipités. Une personne voulait la suivre, mais la jeune fille n’en avait que faire. Elle n’avait qu’une seule idée en tête. Sortir d’ici, et au plus vite.

    Son premier réflexe fut de se diriger vers le balcon qu’elle avait arpenté un peu plus tôt dans la journée. L’itinéraire était encore frais dans sa tête et elle n’eut aucun mal à rejoindre la plateforme de pierres taillées. Azilis s’approcha du bord et se laissa glisser au sol, dos à la rambarde. Elle n’avait pas songé un seul instant aux conséquences que pourraient avoir ses mots, mais elle n’avait pas pu se retenir. A chaque fois que l’on s’en prenait à ses parents, la jeune fille ne pouvait pas s’empêcher de les défendre. C’était comme si sa colère se décuplait et qu’elle ne pouvait rien y faire.

    Des bruits de course se firent entendre, sortant la jeune fille de ses sombres réflexions. Un instant plus tard, le médecin déboula, essoufflé. Azilis pouvait lire une panique intense sur son visage, qui s’atténua lorsque leurs regards se croisèrent.

« Oh Prêtresse ! Ne refait plus jamais ça … »

Xene s’approcha pour s’accroupir en face de la jeune fille, soucieux. Il la détailla rapidement du regard pour s’assurer qu’elle n’avait rien avant de pousser un profond soupir de soulagement.

« J’étais persuadé que tu allais sauter du balcon. .. Par les dieux, je n’aurais pas supporté d’annoncer à Kelia ta disparition. »

Azilis se redressa à l’évocation de sa mère adoptive.

« Kelia est .. Elle est en vie ? »

Xene acquiesça.

« Mais ! Comment ! Enfin .. Astrée va bien aussi ?! Que …

– Elles sont saines et sauves Azilis. Je le sens. Rivan et moi étions très proches, et je le saurai s’ ils leur étaient arrivés malheur.

– Où sont-elles ?

– Je n’en sais rien. Tu ne ressens pas leur présence en général ?

– Si … Mais depuis que j’ai appris pour Rivan … Je ne sais pas, je sais plus où j’en suis. »

    Azilis se cacha dans ses bras mais le médecin lui saisit la main et la força à se relever. La jeune fille se laissa guider, ne sachant trop comment réagir et s’accouda mollement à la rambarde. Au loin, les derniers rayons de soleil venaient de disparaître derrière les montagnes, rafraîchissant l’air ambiant. Xene imita la jeune fille et plissa légèrement les yeux, comme s’ il réfléchissait à ses mots. Après quelques secondes de silence, le médecin prit la parole.

« Je suppose que l’entrée dans le monde politique a été rude. .. Êta ne se comporte jamais de cette manière d’ordinaire. Mais il faut le comprendre. Gouverner en prônant la paix n’a jamais été aussi dur en ces temps troubles. »

Le médecin s’arrêta, attendant une quelconque réaction de la part d’Azilis. Cette dernière se contenta d’hausser les épaules, le regard lointain.

« Tu dois avoir des centaines de questions. N’est-ce pas ? » reprit-il.

Cette question interpella la jeune fille qui secoua la tête de dépit.

« Beaucoup trop de questions. Et aucune réponse…

– Je peux peut-être t’éclairer ? Demande moi quelque chose, dis moi ce que tu veux savoir ? »

Azilis planta son regard dans celui de son interlocuteur.

« Pourquoi moi ? Qui suis-je réellement pour que l’on s’intéresse tant à moi d’un jour à l’autre ?

– Je ne sais pas si ma réponse va te plaire Azilis. Mais sache que je n’ai que peu d’informations à ton sujet. »

Il marqua une pause, puis reprit.

« L’empereur s’intéresse à toi pour ce que tu as autour du cou. Et moi, je m’inquiète pour toi à cause de ça. »

Xene désigna prudemment la blessure de la jeune fille.

« Pourquoi ? demanda-t-elle perdue, ce n’est qu’une plaie. Tu as toi-même dit qu’elle se refermait toute seule.

– C’est justement le problème. Écoute, je ne connais personne qui soit venu me voir empoisonné par une furie noire et qui soit ressorti vivant d’ici. .. Autrement dit, tu devrais être morte. Sauf …

– Sauf quoi ?! Pourquoi suis-je encore en vie ? Ça a un rapport avec les étoiles ? »

Le médecin se raidit instantanément.

« Qui t’a parlé des étoiles !? Qui ? Azilis, ce sont des propos dangereux ! Qui t’en as parlé ?

– Paradox ! »

Azilis recula d’un pas pour se soustraire au regard affolé du médecin.

« J’ai surpris une conversation ce matin. Un certain Paradox discutait avec un autre homme à mon sujet, alors je n’ai pas pu ignorer leurs dires ! Je n’ai rien compris en réalité… Mais ils ont parlé des étoiles. Et de mauvaises augures.

– Azilis, je .. C’était avec moi que discutait Paradox. »

La jeune fille dévisagea le jeune homme, perdue.

« Mais alors … Tu sais exactement pourquoi je suis encore en vie ! Pourquoi ne pas vouloir me le dire !?

– Moins tu en sais, mieux tu te portes ! Azilis, tu n’aurais jamais dû entendre nos propos. Paradox est persuadé que tu es le remède au mal qui ronge le monde tout entier et il ne se rend pas compte de ce qu’il dit. Oui, tu portes la Morganite en pendentif, oui tu as survécu à la morsure d’une furie !  .. Mais cela ne fait pas de toi une héroïne. Tu n’es qu’une enfant Azilis… Et les enfants n’ont pas à porter le fardeau du monde sur leurs épaules »


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