Les retrouvailles

5 mins

    Dans la salle d’attente de l’aéroport, Jean ne tient pas en place sur son siège, il ne cesse de gigoter. Ce soir, il rentre chez lui. Ce soir, il prend l’avion pour l’île de La Réunion, qu’il a quitté il y a dix ans. Ce retour l’angoisse beaucoup, cela fait tellement longtemps. C’est la première fois en dix ans qu’il accepte de revenir sur son petit caillou. Il va y passer les fêtes de fin d’années avec sa famille mais aussi, malheureusement enterrer son père.
 Ayant quitté ses parents en de mauvais termes, il s’était promis de ne plus jamais mettre les pieds sur l’île, qu’il n’avait plus rien à y faire. Les mains moites, quasiment en sueur, il se dirige vers les toilettes pour se passer de l’eau sur le visage histoire de se rafraîchir. Les souvenirs envahissent ses pensées depuis ce coup de fil il y a quelques jours. La douleur, la honte aussi. Jean a beau essayé de se raisonner mais c’est bien plus fort que lui. Il se déteste, s’en veut et aimerait tant revenir en arrière pour changer le cours des choses mais c’était impossible, il le sait.
 Qu’allait-il bien pouvoir dire à sa mère dix ans après ? Dix ans après qu’il leur ait dit qu’ils n’étaient que des ploucs, des bouseux à qui il ne voudrait jamais ressembler ? Allait-il réussir à s’excuser auprès de sa mère malade ? Cette question le taraudait. Une chose était sûre, il ne voulait pas la perdre également sans avoir eu la chance de lui parler, de l’embrasser. La mort de son père était assez douloureuse comme ça. C’est Hannah, son aînée, qui l’a appelé pour le lui annoncer. Malgré l’attitude indigne qu’avait pu avoir son frère, elle a tenu à garder le contact, c’était son petit frère après tout.
 Il ne put fermer l’œil une seule fois pendant ses 11 heures de vol, bien trop préoccupé. La fatigue le gagnait et c’était loin d’être terminé. Arrivé à La Réunion, il faudra qu’il roule une bonne heure jusqu’à Saint Pierre, là où habite sa petite famille. Mais, il n’y avait pas que les retrouvailles avec sa famille et la mort de son père qui le tracassait. Il se mit à penser à Caroline, Caroline son amour de toujours, Caroline celle à qui il pense jour et nuit depuis tant d’années, Caroline, celle qu’il a dû laisser. Rencontrés au jardin d’enfants, ils ne s’étaient plus jamais quittés, jusqu’à la faculté où ils prirent des chemins différents. Jean rêvait depuis toujours de vivre en France Métropolitaine et attendait son départ avec impatience, tandis que Caroline ne s’imaginait pas quitter son île. Jean a pourtant essayé de la faire changer d’avis, prévoyant des plans pour eux deux, lui assurant qu’elle y serait heureuse, qu’ils seront bien tous les deux. Elle n’avait jamais cédé : “Ce voyage, c’est ton rêve à toi, pas le mien” lui disait-elle.
 Le cœur brisé, il lui avait dit un mois avant son départ :
“Puisque c’est ainsi, séparons-nous dès maintenant, ce n’est plus la peine que l’on se voit davantage sachant qu’à la fin, il n’y aura plus de nous, adieu”.
Les larmes coulent sur ces joues lorsqu’il repense à cette dernière phrase dîtes à la seule femme qu’il n’ait jamais aimé. Comment avait-il pu être aussi stupide ? Bien évidemment, Caroline avait essayé de le calmer, de le contacter avant son départ. Il n’avait jamais répondu et avait fini par bloquer son numéro, refusant de la voir quand elle venait lui rendre visite. Injuste, c’est le mot adéquat. Certes, il souffrait mais il n’avait aucune excuse à ses paroles, à son comportement envers elle, car elle aussi perdait quelqu’un, elle aussi ressentait cette douleur intense qu’il ressentait, seul lui avait réagi comme un parfait imbécile.
  Ses bagages récupérés, quelle ne fut pas sa surprise de voir Hannah debout devant l’aéroport l’attendant, ouvrant grand les bras pour l’accueillir, lui qui pensait que personne ne viendrait. Il fondit en larmes lorsque sa sœur lui dit que personne ne le détestait ici, que bien au contraire on s’inquiétait pour lui. Une fois l’émotion passée, ils prirent la direction de la maison familiale où sa mère l’attendait avec impatience. A bout de force, Madame Hoareau avait besoin de lui, il avait hâte de lui apporter son soutien, de lui montrer à quel point il est désolé, à quel point il l’aime mais surtout à quel point il s’en veut que son père soit décédé avant qu’ils n’aient pu se réconcilier, parce qu’il était trop fier pour s’excuser, pour avouer qu’il avait tort.
 N’ignorant pas que sa mère était malade, il s’attendait à la voir affaibli. Cependant, lorsque Jean passa la porte d’entrée, son visage devint blême, ses yeux se remplirent de larmes. Il ne reconnaissait pas la femme qui l’avait mis au monde. Une petite femme ridée, avec la peau sur les os était assise sur le canapé recouvert d’un drap à fleurs. Jacqueline voulut se lever pour accueillir son garçon mais pouvant à peine tenir sur ses jambes, elle finit par abandonner. Ses larmes se mirent à couler silencieusement quand Jean s’agenouilla devant elle, lui prenant les mains tout en implorant son pardon. Voir son fils souffrir la torturait mais elle comprenait aussi qu’il avait besoin de se faire pardonner alors elle écouta jusqu’au bout chacune de ses excuses, essuya chacune de ses larmes. Ils restèrent tous les deux ainsi une bonne partie de l’après-midi et se rendirent ensuite à la veillée de son père, qu’il avait tant admiré dans son enfance.
 Toute la nuit, ensemble ils se rappelaient. Jacqueline se rappelait sa rencontre avec Henri, leurs quarante ans de mariage. Hannah se rappelait la sécurité, la protection qu’apportait son père à sa petite princesse. Jean gardait également une bonne image de son père, qui l’avait appris à pêcher, à chasser les tangues…Mais cette nuit, la scène où il le renie prend le dessus sur les autres. Depuis son arrivé au funérarium, il était dans l’incapacité d’aller voir le corps de son père. Ce n’est qu’avant de refermer le cercueil le lendemain, avant l’enterrement qu’il se força à y aller pour lui faire ses adieux :
” Au revoir papa, je te demande pardon”.
Il lui déposa un baiser sur son front glacé et alla retrouver sa famille.
 Ce n’est qu’une fois arrivé au cimetière que Jean l’aperçut, aussi belle que dans ses souvenirs dans sa robe noire. Son cœur fit un bond dans sa poitrine lorsqu’à la fin de la cérémonie, elle s’avança vers lui. Il n’avait pas prévu ce moment, il n’avait pas prévu de la revoir après ce qui s’était passé, elle ne voudra jamais de toute façon, elle a surement fait sa vie avec un homme qu’elle mérite d’avoir.
– ” Salut
– Salut Caro, comment vas-tu ?
– Je vais bien, merci et toi ? J’aurais préféré que l’on se retrouve dans de meilleures circonstances.
– ça va, je…Il s’interrompt la voix brisée.
-Pourrions-nous discuter un moment dès que tu le pourras, là je dois partir mais je te laisse mon numéro.
– Hum, OK pas de problème, je t’appellerais.”
 Le samedi suivant, Jean l’invita au restaurant où ils avaient l’habitude d’aller quand ils étaient ensemble. Ils discutèrent de leurs métiers respectifs, de tout, de rien, de leur vie. Ils se rendirent vite compte qu’ils étaient malheureux tous les deux. Des relations amoureuses sans lendemain, une vie solitaire. Métro, boulot, dodo. Les souvenirs refaisaient surface, ils se remémoraient les moments partagés. Sans s’en rendre compte, ils finirent la soirée main dans la main.
 En la raccompagnant chez elle, il l’entendit lui dire : “Tu me manques Jean, dix ans se sont écoulés et je pense toujours autant à toi, je n’ai jamais cessé de t’aimer.” Pour toute réponse, il l’embrassa et ils se retrouvaient enfin après tout ce temps passé. Ils passèrent le reste du voyage de Jean ensemble, inséparable comme dans le temps, jusqu’à ce que soit posé la question fatidique. Assis à la table de la cuisine mangeant les litchis fraichement achetés :
– ” Que fait-on maintenant, je n’ai plus envie de me séparer de toi, j’ai été un vrai connard dans le passé mais écoute, moi aussi je t’aime et ne t’ai jamais oublié.
– ” Je ne partirais pas Jean, ma vie est ici, j’aime mon île, je veux être auprès de ma famille, je ne veux pas tout quitter”.
 Jean resta longtemps immobile à regarder dehors, à ne rien dire. Puis, il sourit, pris un litchi, prit la main de sa belle et lui dit :
” Alors, c’est moi qui reste pour toi, je ne peux plus continuer ainsi, dorénavant je ferais tout pour toi”.

                                      Marie Val.

No account yet? Register

0 Commentaires
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Lire

Plonge dans un océan de mots, explore des mondes imaginaires et découvre des histoires captivantes qui éveilleront ton esprit. Laisse la magie des pages t’emporter vers des horizons infinis de connaissances et d’émotions.

Écrire

Libère ta créativité, exprime tes pensées les plus profondes et donne vie à tes idées. Avec WikiPen, ta plume devient une baguette magique, te permettant de créer des univers uniques et de partager ta voix avec le monde.

Intéragir

Connecte-toi avec une communauté de passionnés, échange des idées, reçois des commentaires constructifs et partage tes impressions.

0
Exprimez-vous dans les commentairesx