Un jour une nuit plus un matin à Carthage Del Cristo – Acte VI

7 mins

Un inspecteur fatigué :
– Vous nous avez trouvés facilement ? Ce data est un vrai labyrinthe, et je pensais vous envoyer quelqu’un, mais… Je n’ai trouvé personne de disponible. Vous savez ce que c’est.
Oksana :
– J’ai déjà fait ma déposition à vos collègues.
– Et je l’ai lu, mais… J’avais besoin de vous voir, ici. C’est votre unité qui a travaillé sur l’affaire de la fusillade à L’Empire Plazza, non ?
Oksana :
– Quel rapport ?
– Aucun. Mais vous êtes devenu des célébrités. Je me demandais si c’était vrai, ce que racontent les médias ? Le tireur se serait bousillé le cerveau avec des E.V. ? Je vous pose la question parce que mon gamin joue sur E.V. – vous savez les gosses, ils adorent ce genre de merdes.
– Inspecteur, il est quatre heures du matin, est-ce que je fais l’objet d’une procédure ? Si oui, vous devez me le signifier officiellement.
– Mais non, vous n’êtes suspectée de rien du tout.
– Alors quelle est la raison de ma présence ? Discuter avec vous de l’affaire Empire ?
 – Officiellement, et officieusement, vous êtes consultante sur ce dossier. Vous êtes une collègue que j’ai appelé pour m’aider. Voici la situation : il n’a pas dit un mot depuis son arrivée, rien, hormis sa demande de vous contacter. De part votre relation avec l’assassin présumé – il est l’un de vos amis, un ami proche ?
– Il l’était.
– Et vous vous êtes vu quelques heures avant le meurtre, en compagnie de la victime. Je pense qu’à vous, il acceptera de parler. J’imagine même qu’il ne rêve que de ça, vider son sac. Soulager sa conscience… En compagnie d’une amie qui ne le jugerait pas ?
– Mon implication involontaire dans cette affaire est déjà de trop. Je n’ai aucune envie de l’entendre « vider son sac », comme vous dites. Je suis agent assermentée, tout ce qu’il me dira, vous pourrez l’utiliser. En résumé, vous me faites venir ici pour que j’accomplisse votre boulot.
– Même s’il ne livre pas sa version, je possède suffisamment de preuves pour l’inculper. Il me suffit de valider le rapport circonstancié pour que son dossier soit balancé à l’administration et jugé en quelques millisecondes. Donc non, je n’ai pas besoin de vous pour faire mon boulot. C’est déjà fait.
– Alors pourquoi je devrais m’infliger ça ?
– En prenant en compte le fait qu’il a lui-même contacté la police, le logiciel judiciaire ne retiendra pas la préméditation. Crime passionnel, il prendra vingt ans. Vingt années inconscient, allongé dans un sarcophage de la Dream Corp, et vous ne souhaitez pas entendre sa version des faits ? Je ne le connais pas, ce type, pourtant je pense que nous devrions au moins écouter son histoire. Mais c’est à vous de décider.
– Il est ici ? Dans ces locaux ?
– Dans la pièce juste à côté.

***

Databuilding du Carthage Police District, Commissariat central du 12e district, 42e étage, section Criminelle, cellule d’interrogatoire. Une pièce sans fenêtres, Riley est assis, ses deux mains jointes en prière sont menottées à un cerceau en acier, au milieu de la table. Oksana entre, jette un regard en direction de la caméra allumée en haut d’un angle de la pièce, elle hésite, s’avance, et finit par prendre le siège, en face de Riley.

Oksana :
– Dis-moi que c’est un cauchemar.
Riley :
– J’aimerais tellement. J’aimerais me réveiller, retrouver ma vie d’avant, et qu’elle n’ait jamais existé.
– Qui, Alejandra ?
– Oui. Mais c’est tout comme, à bien y réfléchir. Alejandra n’a jamais existé.
– Est-ce que tu l’as tué ?
– Oui.
– Bon sang. Nous nous sommes vus juste avant, nous avons bu des bières, une soirée ordinaire, et puis vous êtes rentrés, et tu l’as tué ? Le cauchemar. Je commençais à m’endormir quand j’ai reçu un appel d’urgence sur mon réseau pro. Ils m’ont interrogé tu sais, tu m’as impliqué. Ils…
– Je suis désolé d’avoir troublé ton repos.
– Mais ce n’est pas la question ! La police me réveille pour m’annoncer que mon meilleur ami a tué sa compagne ! Si tu allais si mal, pourquoi tu ne m’as rien dit, quand on s’est vu au bar ? Pourquoi tu… Que s’est-il passé ?
– Après vous avoir quitté, nous sommes rentrés en aérocab. Moi, je voulais prendre un taxi normal. J’aurais même pris le métro, si j’avais eu à décider. Mais Alejandra voulait tout le temps qu’on se déplace en aérien. C’est elle qui payait, bien sûr. Elle payait pour un tas de trucs au-dessus de nos moyens. Comme cet appartement qu’elle nous avait trouvé, un appartement de classe 3. Je ne sais pas comment elle pouvait avoir autant d’argent – elle ne travaillait plus au club depuis six mois… Il y avait beaucoup de choses que je ne comprenais pas la concernant, je ne savais rien de sa vie, de son passé, et même si j’y pensais, parfois, même si je me doutais qu’elle trempait dans des trucs louches – de la prostitution peut-être, ou le deal de technologies illégales – tout ça faisait partie de son mystère, son charme. Je l’aimais. Alors je me disais qu’avec le temps, elle finirait par se confier. Par me révéler ses secrets.
– C’est parce que vous n’étiez pas d’accord sur le transport que tu l’as tué ?
– Du sarcasme ? C’est donc à un flic que je parle ?
– Excuse-moi, mais… Mon meilleur ami a assassiné une femme, je n’arrive pas à me faire à cette idée.
– Dans l’aérocab, nous nous sommes disputés. Ce n’était pas vraiment une dispute, plutôt…
– Une dispute à propos de quoi ?
– A propos de toi. Je ne sais pas si elle était jalouse de toi, de notre relation, ou si… Enfin, peu importe. Elle voulait que nous couchions ensemble, tous les deux, avec toi.
– Elle… Quoi ?!
– Jelena avait cette habitude, de tenir ce genre de propos les jours où ça n’allait pas. Et elle connaissait beaucoup de jours où ça n’allait pas. Je ne savais jamais s’il fallait la prendre au sérieux, ou s’il s’agissait seulement de sa façon de me rentrer dedans. Elle… L’ambiance était tendue entre nous deux, malsaine. Nous sommes rentrés à l’appartement. Nous avons couché ensemble, enfin… Nous avons essayé, mais ça ne marchait pas. Ce qu’elle voulait… Ce qu’elle voulait que nous fassions, ça ne me plaisait pas.
– Comment ça ?
– Elle était restée sur le même mode. Elle voulait que ce soit violent, et malsain. Je suis allé dans le salon, je n’avais pas envie de rester dans sa proximité. Sa façon de faire, et d’être, me répugnait. Je suis allé dans le salon avec l’idée qu’il y avait une chose en elle, qui me répugnait, je me demandais si elle et moi, ça pouvait coller, et puis… Elle est sortie de la chambre, elle est apparue dans sa vieille robe de chambre en soie véritable, que j’avais toujours trouvé hideuse, et elle… Sa façon de se tenir, sa façon de marcher, de me regarder… J’ai compris soudain, oh oui j’ai compris qui elle était, ou plutôt… Ce qu’elle était, par-delà les apparences. Tout s’est mis en perspective, ce fut comme une illumination ! A condition de remplacer la lumière par les ténèbres. J’ai compris pourquoi elle avait autant d’argent, j’ai compris le sens de ses paroles, pourquoi elle connaissait tant de choses étranges, comme le fonctionnement de la finance, des médias, ou sa connaissance d’évènements qui se sont déroulés bien avant nos naissances…
– Tu veux dire que… Tu crois… Seigneur…
– Lorsqu’elle est apparue dans sa robe de chambre, ce n’était pas Alejandra. J’ai regardé au travers d’elle, et j’ai contemplé un horrible vieillard.
– Tu… C’est une très bonne chose que tu me racontes tout ça, parce que ça veut dire que tu souffres d’une grave distorsion de la réalité… Tu as agi en état de démence, tu as connu une crise schizophrène, et je vais demander à l’inspecteur que tu passes une évaluation psy – je le savais, je savais que tu n’avais pas pu la tuer comme ça, je te connais depuis toujours et tu es incapable de…
– Mais tu étais avec nous, Oksana ! Tu étais dans ce bar, tu as entendu son histoire !
– Ce n’était pas SON histoire ! Elle nous a raconté n’importe quoi ! Elle nous a raconté un truc qu’elle aurait vu dans un holo de divertissement, une fiction !
– Pourquoi tu ne me crois pas ?
– Riley ! Du peu que je l’ai connu, ton Alejandra était une égocentrique, narcissique, qui avait besoin d’être constamment le centre d’attention. Alejandra était sûrement une gosse de riche qui s’ennuyait et qui… Alejandra était une salope, habituée à faire des caprices, et à te provoquer pour avoir la preuve que tu l’aimais, mais elle… Elle s’est moquée de toi, de nous tous. Son histoire n’était qu’une pure invention. Alejandra était seulement une femme, une femme qui t’aimait, et que tu as tué. Elle n’était pas ce que tu prétends, et quels que soient ses défauts, elle t’aimait. Elle t’aimais et elle ne méritait pas de finir assassiné. Il s’agit de l’unique vérité.
– Bon sang, mais elle me l’a avoué ! Quand elle est entrée dans le salon, lorsque je l’ai réalisé, je lui ai demandé ! Je lui ai demandé quel était le prénom de cette jeune fille dont le corps servit de réceptacle au vieil homme, tu sais ce qu’elle me répondit ? ” Ne pose pas de question dont tu as déjà la réponse “. Ensuite, je lui ai demandé ce qu’il restait de la véritable Alejandra, et elle a ri ! Elle m’a ri au visage, et m’a dit : ” tout ce qui composait Alejandra se trouvait dans quelques grammes de matière cérébrale, jetés dans une poubelle médicale, il y a de ça vingt ans. ” Lorsque je l’ai étranglé…
– Je ne veux pas entendre ça…
– Lorsque je l’ai étranglé, elle n’a pas eu peur. Elle ne s’est pas défendue, elle n’a même pas pleuré. Son visage était un masque de haine. Jusqu’à la fin.
– Riley, écoute. Sois tu es malade et tu acceptes de passer cette évaluation psy, sois tu essaies de justifier ton crime, injustifiable à mes yeux, et dans ce cas nous n’avons plus rien à nous dire.
– Tu es la seule à pouvoir m’aider…
– Non. Tu es le seul à pouvoir t’aider, en admettant le fait que tu es malade !
– Je ne te demande qu’une chose, au nom de notre amitié ! Oksana ! Va à la morgue examiner son corps. Son crâne, pour être plus précis. Passe-lui une radio, vois si elle possédait une neuropuce d’une technologie inconnue située au niveau de son lobe temporal ! Tu fais partie de l’unité des « tecnologías prohibidas », après-tout c’est ton job ! Si tu fais ça pour moi, j’accepterais tes conditions. Je passerai tes tests psy, ou je prendrais la pleine responsabilité de sa mort, peu m’importe.
– Je refuse de m’impliquer dans ta folie. Je sais déjà ce qu’il va arriver. Son corps ne contiendra aucune « neuropuce d’une technologie inconnue », et tu te rendras alors compte que tu as assassiné une femme dont le seul crime fut de t’aimer. Et puis, si ce que tu prétends est vrai, quelle que soit la personne qu’elle était, cette nuit, tu as tué.
– Et je vais payer. Mais qui paiera pour le crime de la véritable Alejandra ? Cette Alejandra que je n’ai jamais eu l’occasion de connaître, ni moi ni personne, parce qu’elle est morte allongée sur une table d’opération au bénéfice d’un monstre, alors qu’elle était âgée de seulement treize ans ?

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