Être dresseur 2
Je me réveille dans la même pièce. Sur moi se trouve toujours la même souris apparemment réveillée qui me regarde. Je tends la main dans sa direction et elle saute dessus sans attendre, comme si elle avait compris ce que je souhaitais faire. Je me redresse. Ma « professeur » est toujours dans la salle en train de bouger des meubles pour faire une sorte de salle de classe. Je pensais en avoir fini avec l’école, mais apparemment j’avais tort. Elle finit par remarquer que je suis réveillé et vient s’installer à côté de moi sur le sofa.
« Tu viens de faire ton premier lien avec un animal, prend ton temps pour t’y habituer. On a encore beaucoup de choses à faire donc si tu veux manger ou boire dis le moi maintenant. Je m’appelle Fae et je serai ta gardienne dans la tour des rangers pour la classe de dresseur. »
Je balbutie quelques mots en réponse et je me rends compte que j’ai beaucoup de mal à parler. Pendant ce temps la souris qui était dans ma main remonte le long de ma manche et vient s’installer sur mon épaule et ça me rend nauséeux sans que je ne comprenne pourquoi. Est-ce que c’est à cause du lien dont elle a parlé ? Je demande quelque chose à boire en me levant tant bien que mal avant de me diriger vers la chaise en face du tableau tandis que Fae sort de la pièce et revient avec un verre d’eau. Elle pose également une coupelle remplie de croquettes pour souris à côté avant de se diriger vers le tableau. La souris sur mon épaule descend lentement le long de mon bras pour atteindre le bureau et une nouvelle nausée me prend comme si j’étais sur une montagne russe. Je m’accroche à la table en soufflant doucement tandis que ma tête tourne et ça finit par se calmer quand elle finit par ne plus bouger.
« Tu vas t’y faire ne t’inquiète pas. Le premier lien est toujours difficile pour les débutants, c’est une des raisons pour laquelle les dresseurs commence avec une souris. Désolée de te faire passer par ça dès ton arrivée, mais la plupart du temps je perds mon temps à expliquer la pratique avant de mettre les gens en face de ce test et soit ils s’en amusent et abandonnent, soit ils y arrivent et abandonnent. Donc autant commencer directement par un test pour voir qui compte réellement rester. Tu comptes bien rester, non ? »
Malgré mon envie de lui dire que ce genre de façon d’enseigner ressemble au fait de jeter un oisillon du nid pour qu’il apprenne à voler, je me contente de lui faire un signe de la main pour lui dire que oui. Ce qu’il se passe est extrêmement violent pour ma tête et j’aimerais au moins savoir pourquoi je suis dans cet état.
« Bien, dans ce cas je vais t’expliquer ce qu’il s’est passé. Tu as établi un lien avec cette souris. Ce qui signifie qu’à partir de maintenant tu peux ressentir ce qu’elle ressent. Ce qui comprend les émotions ainsi que les signaux corporels comme la douleur par exemple. Vu que tu es débutant tu ne peux pas encore saisir toutes les informations qui te parviennes, mais ça viendra avec le temps et l’expérience. Créer un lien est la première étape pour un dresseur. Elle est normalement suivie quelques temps après par la signature d’un contrat avec l’animal en question, mais nous y reviendrons plus tard.
Ce lien va dans les deux sens, ce qui veut dire que la souris ressent aussi ce que tu ressens dans une certaine mesure. La plupart des animaux n’ont pas de problème avec le fait de partager les sensations du dresseur. En tout cas, la règle générale est que plus l’animal est intelligent et plus le lien donne des signaux compliqués et devient difficile à gérer pour le dresseur. Si j’avais commencé par un chiot, tu serais probablement en train de te tordre de douleur par terre pendant que je joue à la balle avec lui. Ce qui nous amène donc à la souris. Elle me sert de référence et me permet de savoir en fonction de la réaction au lien, la synergie du dresseur avec un animal simple. Si le dresseur ne ressent rien alors que le lien est établi, c’est qu’il n’a pas suffisamment d’affinité avec la classe. Par contre s’il ressent tout dans les moindres détails dès le départ, alors il a ce qu’il faut pour rester et en faire sa classe principale.
Prendre une souris permet de facilement savoir ça et en plus c’est un animal utile. Bien entendu, ce sera difficile d’affronter quelqu’un avec, mais tu viens de te trouver le parfait compagnon. La nuit elle tiendra la garde, ou elle pourra jouer le rôle d’éclaireur pour s’assurer qu’il n’y a pas de danger à proximité. En fonction du niveau de synergie avec l’animal tu pourras même lui demander des tâches complexes. »
Après avoir parlé d’une traite elle s’arrête quelques instants et me regarde pour savoir si j’ai des questions. Ma souris semble s’être couchée sur la table, mais elle est bien éveillée d’après ce que je ressens. J’ai bien l’impression que tant qu’elle est immobile, le lien ne me cause pas trop de soucis.
« J’aimerais savoir… Est-ce que je suis le seul élève ici ? Et j’ai entendu dire que la classe de dresseur n’était pas très populaire, pourquoi ? »
Fae se mets alors à soupirer et part chercher une chaise pour s’installer devant moi.
« Tu es effectivement le seul élève ici. Il y en avait encore une dizaine il y a quelques temps, mais au fil du temps, ils ont décidé de changer de classe pour quelque chose d’autre et le dernier est partit la semaine dernière après s’être fait recruté par une guilde ne prenant que des guerriers. Il reste peut-être des dresseurs dans la tour, mais ils n’en sont pas sortis depuis tellement longtemps qu’ils sont considérés comme morts. Pour ce qui est de pourquoi il ne reste plus personne dans cette classe, la raison est simple… c’est très compliqué d’être un véritable dresseur. D’abord c’est une question de talent. Ensuite il y a le lien qui est difficile à supporter pour certains, surtout en combat quand on ressent la douleur, où dans le pire des cas, la mort de son animal comme si c’était la nôtre. Rajoute les frais en nourriture et tu te rends comptes que d’autres classes sont plus faciles d’accès et permettent d’avoir de meilleurs résultats. Les rangers par exemple ont un seul animal de compagnie qu’ils dressent et ils n’ont pas besoin que ce soit une souris.
Tu as ensuite les classes d’invocateurs qui te permettent selon la branche d’invoquer différents types de créatures et qui ne te coûtent que de l’énergie magique. Si tu souhaites avoir une monture tu as les classes de cavaliers. Si tu le souhaites réellement tu peux aussi devenir un animorphe pour devenir un animal et j’en passe. La raison la plus populaire pour le changement de classe en tout cas reste la rupture d’un lien par la mort. La sensation est tellement douloureuse que la plupart des dresseurs ne souhaitent pas la revivre une deuxième fois. Sans parler du deuil d’un animal avec lequel ils ont passé parfois des années à renforcer le lien et qu’ils considèrent comme une partie d’eux. Certains deviennent fou aussi, mais ça reste assez rare. C’est pour ça qu’il n’y a plus de dresseurs. Il y a bien quelques personnes qui viennent pour en faire une classe secondaire, mais ils repartent rapidement.
MAIS, être dresseur est une des classes les plus gratifiantes pour autant de raisons. Tu t’y feras des compagnons qui seront prêts à rester avec toi pour la vie. Tes animaux peuvent devenir une extension de toi grâce au lien et ne te trahirons jamais si tu t’en occupes bien. Leurs capacités sont autant de possibilités pour toi si tu sais t’en servir. C’est une nouvelle famille. Mais c’est à toi de découvrir les possibilités que cette classe t’offre. »
Son discours est suivi par un long silence et je ne sais pas quoi dire. Ma souris rythme cet instant en mangeant des croquettes. J’ai l’impression que Fae attend une réponse de ma part et je ne sais pas vraiment quoi lui dire. Je viens d’arriver dans la tour. Comment est-ce que je pourrais savoir ce qui est bon pour moi ? Si je suis là c’est juste parce que l’on m’a dit que cette classe était faite pour moi. Pour le moment, je ne sais pas trop quoi penser de son discours sur les pour et les contre. Avec le temps, peut-être que je saurais quoi penser. De toute façon, rien n’est figé puisque je peux changer de classe quand je le souhaite de ce que je sais.
Avoir une famille , je ne sais pas pourquoi l’idée m’intéresse au point de me rester en tête. Je caresse le dos de la souris sur la table du bout du doigt. J’ai l’impression de pouvoir ressentir de la surprise et puis du plaisir venant d’elle, sans doute à cause du lien. La sensation de nausée me reprend un peu, mais je serre les dents et je regarde Fae.
« Honnêtement je ne sais pas quoi penser de tout ça, mais je n’ai pas l’intention de changer de classe pour le moment. Si je considère que je n’ai aucune chance dans la tour en étant dresseur alors j’en changerai, mais sinon j’en ferai ma classe principale, est-ce que ça vous va ? »
Fae se met alors à sourire comme si elle était soulagée par ma réponse. Elle a du avoir cette conversation de nombreuses fois auparavant et voir les gens se lever et partir, mais elle reste honnête et même si je ne reste pas pour lui faire plaisir je suis content de voir que ma décision lui convient. J’espère juste qu’elle ne sera pas un professeur ou un « Gardien » avec de grosses lacunes en pédagogie comme elle me l’a montré jusque là.
« Ça me va. Mais puisque j’ai passé plusieurs étapes avec toi en te faisant directement créer un lien avec une souris, tu ne sortiras pas d’ici avant de connaître les bases. »
Apparemment je peux toujours espérer.
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