DIX — ALEXANDRE
Les semaines passèrent. Je réussissais à éviter les regards de ma voisine de maths, les insultes de Samuel et les questions de Mme Chousse. Je m’étais peu à peu habitué à la routine du collège. Je me levais le matin, j’allais au collège, je suivais les cours en silence, je rentrais chez moi, je mangeais seul pendant que Sébastien se saoulait, et je me couchais pour passer une nuit remplie de cauchemars. La routine.
Le mois de mars débutait assez mal car Sébastien était de moins en moins là, mais je continuais ma vie. Je savais que ça n’allait pas durer longtemps car cela empirait et qu’un jour ça allait exploser, mais je préférais pas y penser.
Malheureusement, ce qui devait arriver arriva.
Un soir, Sébastien rentra plus tôt que d’habitude. Il était à peine vingts-deux heures et je ne dormais pas. Il fit beaucoup plus de bruit que d’habitude, alors je me levai pour aller voir ce qui se passait.
– Séb, ça va ?
Il grogna. J’allumai la lumière et je le découvris agrippé à la table d’une main et l’autre main sur le cœur, la douleur déformait son visage. Je me précipitai vers lui.
– Qu’est-ce qui t’arrive ? Tu as mal ?
– Bien sûr que j’ai mal, imbécile, marmonna-t-il.
Et il s’effondra, inconscient. Je fit les gestes de premiers secours pour me rendre compte de son état. Il avait fait un arrêt cardiaque ! J’appelai le 18 et mis le haut-parleur pendant que je commençai à lui faire un massage cardiaque. Les secours décrochèrent enfin.
1, 2, 3, 4, 5…
– Allô ? Qu’est-ce qui se passe ?
– Je suis Alexandre Lusset, au 59 rue Marat à Ivry-sur-Seine, appartement 14 au troisième étage. Mon frère de vingts ans a fait un arrêt cardiaque. J’ai commencé le massage cardiaque, dis-je rapidement.
20, 21, 22, 23, 24…
– D’accord.
Il dit quelque chose à ses collègues.
28, 29, 30. 3 insufflations. 1, 2, 3…
– Une ambulance arrive. Continue de faire le massage. Est-ce que tu saurais pourquoi il s’est senti mal ?
– Je pense que c’est à cause de l’alcool.
– Ah. Oui. Je reste à l’écoute, si tu as le moindre souci je suis là, d’accord. Ne t’inquiète pas les secours devraient arriver dans cinq de minutes.
15, 16, 17, 18…
Je ne répondis rien. Sébastien était ma seule famille. À la mort de mes parents, j’avais décidé de mettre fin à mes jours si Sébastien mourait à son tour. J’avais mal aux bras à force de faire le massage cardiaque mais je continuai sans relâche.
29, 30. 3 insufflations. 1, 2, 3, 4…
Le temps passait beaucoup trop lentement. Où étaient les secours ?
Enfin, j’entendis des pas dans l’escalier.
– Ici ! criai-je pour les orienter.
Ils entrèrent dans l’appartement. Un pompier m’attrapa par le bras pour me tirer en arrière, d’ordinaire je me serai raidi à ce contact mais j’étais bien trop inquiet pour mon frère pour y penser. Deux pompiers le hissèrent sur un brancard et ils sortirent.
Dans l’ambulance un pompier tenta de me rassurer.
– Ne t’inquiète pas. Tu as très bien réagi, il a toute ses chances pour survivre.
Mais ma détresse était telle que je ne l’entendis même pas.
À l’hôpital on le conduit dans une salle de réanimation, mais on m’y interdit l’accès et me fit attendre à l’accueil.
Quelques minutes plus tard, un médecin en blouse blanche s’approcha de moi.
– Bonjour, tu es bien Alexandre ?
Je hochai la tête.
– Ton frère est sur la bonne voie, ne t’inquiète pas.
Elle commençait à m’agacer cette formulation, « ne t’inquiète pas », ce n’est pas possible de ne pas s’inquiéter !
– J’ai quelques questions à te poser. Tu veux bien y répondre ? dit-il en s’asseyant à côté de moi.
Je hochai la tête. Je n’étais pas sûr de réussir à parler, mais j’allais essayer.
– Ton frère et toi vivez tous seuls dans l’appartement, où sont tes parents ?
Mauvais choix comme première question. Je tentai de répondre mais ma gorge se serra et je ne fis que secouer la tête.
– Mmm. Ton frère allait souvent au bar, n’est-ce pas ?
Je hochai la tête.
– Pourquoi aimait-il boire, à ton avis ?
– Pour se soulager, murmurai-je.
– Mmm.
Il commençait à m’énerver avec ses questions et ses « mmm ».
– Qui t’as appris les gestes de premiers secours ? continua-t-il sans remarquer que je m’étais raidi.
– Mon père, dis-je sèchement.
– Mmm.
J’allais vraiment m’énerver ! J’inspirai à fond.
– Et où est-il, ton père ?
Non. Il avait posé la question qu’il ne fallait pas. Je me levai et l’attrapai par la nuque.
– Il est mort, mon père ! hurlai-je. Et ma mère aussi !
Je serrai un peu plus et il gémit.
– Et tu sais où tu peux te les mettre tes questions à la noix, vieux chnoque ? murmurai-je d’une voix menaçante.
Sentant que j’allais faire une grosse bêtise, je le lâchai et courus le plus loin possible de cet homme détestable.
Sur le chemin, je passai devant une porte qui m’arrêta. Dans cette salle, il y avait Sébastien. Sans réfléchir, j’ouvris la porte. Les trois médecin qui se trouvait dans la pièce se retournèrent. L’un d’eux allait me dire quelque chose mais celui que je compris être le chef l’arrêta.
– Viens si tu veux. Il est stable, me dit-il.
Je m’approchai, tirai un chaise pour la mettre près du lit et m’assis. Les trois hommes s’en allèrent.
Sébastien était entubé, mais la machine qui était reliée à son pouls sonnait régulièrement. Le temps passa et je sombrai dans un sommeil sans rêve, ce qui ne m’étais pas arrivé depuis vraiment très longtemps.
On me permit de rester au chevet de Sébastien pendant deux jours.
Mais le troisième jour, un médecin vint me trouver pour m’emmener au collège. Je le suivis à contrecœur.