Le lai du Errant

2 mins

Éverrand :

J’ai combattu pour voir la loi

Lestée du poids d’une couronne.

Or à l’idée d’un dieu fait roi

Est-il le choix de consentir ?

Pourtant vainqueur, qui me reçoit ?

Comment ! Chez-moi ignore-t-on

Avec quels chants et quelle joie

et quelles proies nous réjouir ?

Est-il ici un cœur qu’enflamme

Un doux éclat réconfortant ?

Le serviteur :

Pour toi j’accours, moi ton servant,

Preux Éverrand, noble seigneur.

Éverrand :

Pour mon épouse ai-je grand peur ;

Du sang l’odeur me fait frémir :

Un étranger comme un voleur

En ma demeure a pénétré.

Si tu le peux, mon serviteur,

Sur ma terreur applique un baume ;

As-tu perçu d’oreille ou d’oeil

Qui sur mon seuil s’est présenté ?

Le serviteur :

Ton propre fils, seigneur aimé,

S’est présenté devant ta porte.

Il revenait accompagné

De son aîné vers sa famille.

Éverrand :

Ces fous changés par la justice !

Indignes fils dans mon palais !

Que cherchaient-ils loin du chenil

Où les bannit l’ordre du roi ?

Le serviteur :

Mon bon seigneur, pour toi je parle :

A ton alarme étaient partis

Tous tes gardiens, tous tes soldats.

Or ton épouse, aimée Cydie,

Trouva les loups en cette salle,

Et la peur pâle arma son cœur.

Éverrand :

A-t-elle fui, si protecteur

Ne s’est sans peur dressé pour elle ?

Le serviteur :

Plein de courage, un cœur ne cède

Et privée d’aide elle fut brave :

Elle saisit lance mortelle,

Un loup cruel en put occire.

Éverrand :

Mon serviteur, il faut le dire :

A ma Cydie n’est survenu

D’autre malheur ! Réponds-moi vite,

Est-elle vive ? Est-elle sauve ?

Le serviteur :

Orès parla : « Mère aux yeux clos !

Ou ton cœur sot reconnut-il

Ton fils rentré vers son berceau ?

Le large dos de Vénoras,

Tu le perças d’un javelot ;

Nul de ses crocs n’auraient de toi

Frappé la chair, brisé les os.

Mais aussitôt que ton seigneur

En revenant de ses travaux

Verra quels maux l’ont pu frapper,

Tous connaîtront ta grande faute. »

Il dit ce mot et puis s’en fut.

Éverrand :

Que n’eût-il dit des mots si crus ?

Furent-ils crus de ma Cydie ?

Tient-elle ici son corps reclus ?

Avoueras-tu ce qu’elle fit ?

Le serviteur :

Cydie blâma son geste et fuit

Après la nuit jusqu’au rivage ;

Un haut rocher sur l’onde vive

Elle gravit et du sommet

Se laissa choir dans la mer grise.

Ainsi périt Cydie ta reine.

Éverrand :

Tu dis mensonge où rien n’est vrai !

Dans ses apprêts l’on trouvera

Comme toujours Cydie la Belle,

Au fond de baies chantant pour l’eau ;

On entendra sa voix si frêle

Où la forêt, le ru, le pré

Sont célébrés. Tais-toi vil serf !

Or je le sais… Je ne puis croire !

 Un corps rendu me le promet :

Non, plus jamais l’on ne verra

Dans sa maison ma tendre reine,

Aux bontés vraies, au cœur si juste !

Aimée Cydie, que t’a-t-on fait ?

De ta parfaite et douce voix,

De ta beauté, ton teint de perle,

Il n’est un air en toi resté !

Et c’est mon fils, l’ignoble Orès,

Que pour ce trait je dois blâmer !

Il périra par ma colère !

Et fendant l’air sur mon coursier,

Ma lance au poing toujours je vais :

Je ne vivrai que pour tuer

Le loup fautif tueur de reine !

© Cédric L. Martin, 2021.

© Sarah Poncet, 2017, pour l’illustration.

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