Cela fait trois jours que je suis ici, à dix kilomètre de la première boulangerie, dans cette maison qui sent le renfermé et dans laquelle il fait toujours froid. Trois jours que je n’ai pratiquement pas bougé de ce lit, encore plus dur que la moquette de la chambre. Quelques trajets dans la cuisine et aux toilettes, c’est tout. Il n’y a rien autour de la maison, l’agent immobilier lui-même l’a dit. Enfin il y a bien un voisin vieux comme le ciel qui ouvre de temps en temps ses volets, mais son regard est si vide, on dirait qu’il n’a rien vu depuis longtemps. “Vous allez découvrir la vraie nature” se sont enthousiasmés les parents. Inutile, je l’avais déjà dans mes légumes bio. Et puis il y avait un parc, à Lyon. Une ruche, une mare. Non, vraiment, je n’en avais pas besoin. De toute façon c’était décidé, ils avaient signé.
Je me rappelle encore ce dîner. On mangeait des pâtes. Maman avait l’air enjouée. Papa embarassé. D’un coup elle a tout déballé, comme une enfant un matin de Noël. Nous allions quitter Lyon, la ville, parce que ce n’était pas pour nous, pas pour une famille comme la notre, et on allait en campagne, oui, dans le Poitou, et ce serait génial. On allait “changer de vie”, prendre un nouveau chemin, et on allait s’y plaire, tous, parce que maman savait que nous n’étions pas fait pour la ville. Moi, je savais surtout que la campagne était juste le dernier endroit envisagé des français. Et ça, maman ne pouvait pas savoir, c’était mes cours de géographie qui me l’avaient dit. J’ai pensé diagonale du vide, la grosse bande colorée en jaune dans mon cahier. Jaune comme faible densité. Trou. Un mois plus tard je partais. Simon pleurait. Claire, Nathan et Loïse trépignaient. Ils avaient gagné, eux. L’internat. Et même l’appartement pour Claire. La famille Toguert se séparait. Plus de Lyon, plus de Théo, l’inconnu pur et dur, celui qui l’on redoute tous, jusqu’au jour où on est en plein dedans.
Cela fait trois jours que je suis ici. Et depuis tout ce temps, rien ne s’est passé. J’ai entendu un tracteur. C’est tout. Rien d’autre. Allongée sur mon matela, la voix de Simon m’interpelle.
– Maman ! Papa ! Clémentine !
Je me lève. Doucement, j’ai la tête qui tourne. L’horizontal fait mal. Je passe devant la glace. Blanche. C’est le seul mot qui me vient. La porte me paraît si loin. J’avance lentement.
– Mais dêpêche toi ! Crit maman du jardin. Et Simon arrête de bouger, tu vas lui faire peur.
Le soleil m’éblouie, j’ai envie de retourner me coucher. Maman m’attend face à un mur, Simon grimace en le regardant. Un long serpent beige glisse le long des pierres, calmement, sa tête a déjà disparu dans un buisson.
– Degueulasse ! S’exclame-t-il.
– C’est une couleuvre. Elle ne n’attaque pas, ne mord pas, rien du tout. Vous ne pouvez pas la toucher, seulement du regard. C’est une chance de l’avoir, il faut en prendre soin.
Je m’approche un plus près de l’animal. Sa peau brille au soleil, lisse, presque grasse. Il ne fait pas de bruit, sinon un léger frissonement des feuillages. J’admire sa discression, sans Simon personne ne l’aurait vu. Un être timide.
– Clémentine ! Tu n’es donc pas habillée ? Tu as vu l’heure qu’il est ?
Je n’en sais rien, justement. Depuis que je suis ici les minutes ont coulé comme son corps contre la maison. Fluide. Invisible.
– Tu m’entends ? S’énerve maman. Change toi. Et va dehors, ça ne te fera que du bien. On est en mai et tu es blanche comme un linge !
J’exécute. Toujours. Le regard de satisfaction de ma mère m’agace, ce besoin de respect qu’elle a, au fond j’obéis parce que je ne sais pas répondre. Le serpent a disparu. Aucune trace de sa venue. Sauf peut-être ce petit brin de motivation qui m’envahit. J’ai envie de sortir.
À la semaine prochaine…. 😉