Deux Joyaux Violets. Chapitre 17,1.

Ce qu’est devenue Sue, partie 1. 

TORI 

Nous étions dans la salle à manger du château, Oswin et moi sirotons notre verre de champagne tandis que les autres élèves faisaient de même, entre amis, éparpillés ici et là. En effet, Enki nous avait proposé de faire une petite fête avant notre retour. Tout le monde avait accepté, bien évidemment. La plupart des élèves adoraient Enki, certain avait même développé un véritable fanatisme, notre Rohan était drôle et charismatique, il fallait avouer que c’était compréhensible lorsqu’on le côtoyait un tant soit peu. Il avait organisé quelque chose d’incroyable ce soir-là, un buffet à volonté longeait le mur de droite tandis qu’une statue en verre magnifiait le milieu de la salle. Il y avait de la musique et des jeux de lumière amusants. 

— Il est vraiment craquant, ça ne m’étonne pas que les ados l’adorent.

 Plus loin, sur l’estrade, une horde d’élèves entourait Enki. Je ne sais pas ce qu’ils se disaient mais vu le sourire qu’il arborait, cela n’avait rien à avoir avec de la politique. Il ne nous avait jamais vraiment parlé de politique d’ailleurs, et tout ce qui avait affaire avec ce sujet. La visite guidée avait été très pédagogique, le guide en question avait récité son texte à la perfection, sans pour autant entrer dans des détails compliqués. Quant à Enki, il était curieux à vrai dire, pour ne pas dire mystérieux.

— Tu ne trouves pas ça étrange qu’il ne parle jamais de sa profession ? Demandai-je alors à Oswin.

— Je ne sais pas, mais lorsqu’il nous a présenté la salle de torture, c’était tout aussi une présentation de ses valeurs politiques. Soit il se donne un petit côté mystérieux à la noix, soit il tente de faire passer un message de manière implicite.

 Une forme de manipulation qui a déjà fait ses preuves.

— Il voulait dénoncer la discrimination des Démons ?

— Exact, ce n’est pas pour rien que nous sommes invité ici. C’est une sortie scolaire tout a fait banale et pourtant, Madalena sera longtemps surveillée par le Conseil après ça, il en est de même pour Enki. Mais ça semble leur tenir à cœur.

 Je hochais la tête, du même avis que mon amie. Notre directrice redoutait beaucoup le Conseil, quitte à supprimer des documents sur les Démons dans sa propre école ou à ne pas divulguer trop d’information sur les événements dans l’enceinte d’Ecclésia, elle se faisait discrète. J’avais sans doute sous-estimé Madalena qui tentait comme elle pouvait de changer les choses, mais de manière subtile. S’allier avec Enki était encore une idée de sa part, quoi de mieux que d’éduquer des enfants pour prévenir un futur meilleur. J’espérais cependant à plus de communication de sa part, pourquoi me mettre en retrait alors que j’étais bien plus que concerné par ses enjeux. Pourquoi ne m’avait-elle pas mis dans la confidence suite à mes questions ?

 Cependant, cette sortie scolaire me permettait de rencontrer le Rohan du Canada. Madalena m’avait probablement emmené ici pour cette raison, pour que j’en apprenne plus grâce à lui ? Était-elle désolée de ne pas pouvoir m’éclaircir autant qu’elle le voulait ? Je ne savais pas, mais mon intuition m’indiquer cette hypothèse.

— J’aimerais lui parler, moi aussi, soufflais-je, découragée par le monde qui ne quittait plus Enki.

— Tu n’es pas censé être télépathe…

 Mon regard se tourna vers Oswin.

— T’es maligne, toi.

— Ça m’arrive.

 J’y avais pensé, mais l’idée d’entrer dans l’esprit d’un Psychic puissant m’effrayait. J’avais déjà tenté de lui envoyer un message télépathique mais il n’avait pas sourcillé, comme s’il ne l’avait jamais reçu. Ce qui était possible, je n’étais pas une experte. Mais retenter ma chance me mettait quelque peu mal à l’aise. Après tous, je n’étais qu’une élève banale parmi tant d’autres.

 Je quittais Oswin quelques minutes et me rapprochais de la foule. Bien évidemment, elle était impénétrable. Je trouvais un Sorcier, pas loin, qui zieutait sur le monde avec son verre en main, l’air pensif. Curieuse, je tentais timidement d’entrer dans son esprit, sans faire trop de vague mais il me sentit instantanément et je me cognais contre un énorme mur. Je sursautais presque, n’en n’ayant jamais vu un aussi puissant.

    Il me chercha des yeux et me repéra facilement. Gênée, je me mis à boire le reste de mon verre en évitant son regard. Il apparut rapidement devant moi, le visage fermé.

— Je ne te gêne pas ?

— Désolée, j’ai été curieuse, c’était déplacé, répondis-je, mal à l’aise.

 J’étais véritablement honteuse, il m’arrivait d’entrer dans les esprits par pure envie de défi, ce qui n’était pas respectueux pour ces personnes, c’était pourtant bien la première fois que l’on me remarquait. J’avais déjà vu ce Sorcier, il était différent des autres à Ecclésia. En effet, il avait coloré ses cheveux en vert foncé et un eye-liner de cette même couleur magnifiait ses yeux bruns. Il avait un style à part, et surtout au sein du monde surnaturel. Son allure rappelait l’univers Humain. Il était plutôt beau, mais je le voyais souvent seul, personne ne l’accompagnait pour manger ou pour se balader.

— Que voulais-tu savoir ?

 Sa question me prit de court, il ne m’en voulait pas ?

— Comment tu t’appelles ?

 Il se mit à sourire sournoisement. Je fronçais les sourcils.

— Amael, et toi tu es Tori. Tu es assez connu ici.

 Je haussais les épaules, malheureusement je ne savais pas si c’était pour une bonne ou une mauvaise raison.

— Oui, je sais… En vérité, tu semblais pensif, alors je me demandais à quoi tu pouvais réfléchir, avouai-je alors.

— J’ai aussi appris que tu étais orpheline.

 Cela commençait à devenir bizarre, la conversion changea à son avantage. Je commençais à comprendre pourquoi il s’était avancé vers moi.

— Je suis désolé, je le suis aussi. J’ai appris la vérité à la rentrée. Étrange comme sentiment, au final cela ne m’avait pas vraiment étonné, continua-t-il, sans une once d’empathie. Pas toi ?

 Je savais qu’il disait la vérité, pourtant je ne sentais aucune émotion le traverser. Comme s’il récitait un texte qu’il n’avait pas écrit.

— Peut-être. Tu es puissant, tu apprends vite, ne puis-je m’empêcher d’ajouter.

 C’était la vérité, au final nous étions dans le même cas de figure mais Amael était un génie, il avait souvent les meilleurs notes.

— Oui, et j’ai aussi beaucoup appris sur cet homme. Je pense que c’est ce que tu veux savoir ?

 Je pouffais, Amael était sûr de lui, c’en était presque détestable. Il avait l’air d’avoir un coup d’avance, à se demander qui était le Psychic entre nous deux.

— Je t’écoute.

— Enki Bailey, né en 1915, de parents inconnus et probablement morts. Sa sœur, Sue Bailey est tout ce qui lui restait. Ils étaient très complices, il adorait sa petite sœur. Ils ont tous deux étudiés à Ecclésia, des élèves brillants, bien évidemment. Il se présente après la mort du dernier Rohan du Canada et peu après sa sortie de l’école, et gagne facilement le cœur des Canadiens.

— Que devient Sue ?

— C’est un mystère de plus qui entoure notre Rohan. Après ces études, elle voyage beaucoup, et s’aventure dans des endroits de plus en plus hostiles. Dans son dossier, elle est décédée en 2002, tué par un Démon. Il est dit qu’elle aurait découvert l’emplacement de Rowenam.

 Je jetais un coup d’œil vers Enki, il s’était éloigné des élèves qui semblaient déçu de son départ. Tandis qu’il se dirigeait vers un serveur, nos regards se croisèrent alors.

— Et étrangement, il ne semble pas vouloir venger sa sœur bien aimée, ajouta Amael.

 Je me tournais vers le Sorcier, il gardait ce sourire rempli de malice, c’était dérangeant. J’avais l’impression de rater un élément important.

— Il y a tellement de faux-semblants dans ce monde que ça ne m’étonnerait pas que tout cela ait été orchestré contre le Rohan. Ce n’est pas comme s’il était apprécié.

— Tu as sûrement raison ! Je te laisse, je ne suis pas très fervent de ces veillés, je vais dormir.

 Encore avec le sourire, Amael disparut aussitôt, j’eus seulement le temps de lui faire un signe d’au revoir. Par réflexe, mes yeux se mirent à chercher Enki, mais il avait tout aussi disparu que le Sorcier.

 La soirée se passa ensuite sans encombre. Oswin et moi avions essayé de sympathiser avec quelques première année, mais force est de constater que la méfiance réside dans les esprits. Nous n’avions été victimes d’aucune discrimination. Pourtant, je ressentais leur peur comme si c’était la mienne. Présenter mes yeux faisait toujours le même effet. Néanmoins, j’étais heureuse de reconnaître qu’on ne m’insultait plus.

 La salle à manger était presque vide et la musique s’entendait de moins en moins, comme pour inviter les derniers à rejoindre leur chambre. Il se faisait tard et Oswin et moi décidâmes d’en faire autant. C’est en m’installant dans mon lit qu’une idée me vint. Encore une de mes merveilleuses idées, je n’en avais pas souvent mais celle-ci était bien trop tentante. J’attendis quelques minutes pour que la respiration d’Oswin soit plus lente, signe qu’elle était tombée dans le sommeil. Je revêtais des habits confortables pour sortir discrètement de la chambre. Lors de la visite d’Enki, il nous avait montré une immense bibliothèque qui faisait de l’ombre à celle d’Ecclésia. Malheureusement, avec toutes nos activités, je n’avais pas pu m’y rendre. C’était le moment ou jamais.