Un Noël maussade, partie 2.
TORI
« L’enfant descendait sur la pointe des pieds, faisant grincer le bois des escaliers sous chacun de ses pas. La lune était haute dans le ciel, elle le savait, bien qu’elle ne la voyait plus depuis plusieurs nuits. En effet, ses parents lui interdisaient de sortir, mais cela la chagrinait car elle voulait retourner à l’école et revoir son meilleur ami. C’était pourtant impossible, son père surveillait cette maison jour et nuit. Et aujourd’hui, Clarisse ne trouvait pas le sommeil, elle était pourtant si fatiguée. Alors qu’elle descendit la dernière marche, une feuille en papier se mit à flotter jusqu’à elle. Clarisse était encore jeune mais ses parents lui avaient appris à lire et à écrire. Il fallait dire que Clarisse apprenait vite, elle excellait à l’école. La feuille se déplia pour laisser apparaître un message :
« Il est interdit de descendre au rez-de-chaussée après minuit, jeune fille. »
Clarisse se mit à sourire, elle se demandait parfois à quel moment cet homme dormait. Elle le savait proche, l’enfant ignora le mot et se mit à courir vers la lui, dans la cuisine. Jacob Guera était un Démon connu à Rowenam, il participait souvent aux élections de son secteur, sans jamais être élu. Les habitants du village n’appréciaient pas ses idées, les trouvant dangereuses mais Jacob préférait le terme « innovatrices ». C’était ainsi qu’il travaillait sans relâche, à la recherche de moyen pour convaincre les habitants de ce village de pêcheurs. Clarisse ne comprenait pas les réels enjeux de cette ambition, elle était bien trop jeune.
― Je ne sais pas dormir, quand est-ce que maman arrive ?
Son père ne releva pas la tête, noyé dans ses documents, il s’était assis sur le bar de la cuisine et semblait inquiet. Sa jambe droite ne pouvant rester en place. Suite à la question de sa fille, il zieuta sur l’horloge en fronçant les sourcils.
― Elle ne devrait pas tarder, imagine son humeur lorsqu’elle ne te verra pas dans ton lit, répond-t-il sans réelle conviction.
Clarisse pensa à son lapin, oubliée dans son lit. Elle connaissait l’endroit exact et usa de sa télékinésie pour le faire descendre jusqu’à l’emmener dans la cuisine. Malgré l’attention portée sur ses travaux, Jacob observa sa fille. Il ne savait pas quoi penser, Clarisse était très avancée pour son âge, excellait dans de nombreux domaines et maîtrisait ses dons comme si elle avait vécu cent ans.
― Tu progresses, mon Cœur, continue de t’entraîner, dit Jacob en omettant le fait que Clarisse se débrouillait mieux que n’importe quel enfant de son âge.
― Pourquoi je ne peux plus sortir ? Et la vérité, cette fois-ci, Clarisse se mit à gronder son père en tapant du pied.
Il était vrai que l’enfant n’avait jamais eu d’explication claire, sa mère lui avait d’abord expliquait que l’école donnait des vacances aux meilleurs élèves, ce qui était louche car Clarisse ne pouvait même pas jouer dans le jardin, ni sortir voir Thomas. L’enfant voulait connaître la vérité, aider à résoudre un problème, afin qu’elle puisse enfin trouver le sommeil dans cette équation dont elle n’avait aucun d’indice.
Jacob ignorait la marche à suivre avec Clarisse. Sa femme, Sue, lui avait explicitement interdit de révéler la véritable raison de ce confinement forcée. Sue était une femme incroyable et aussi très précise dans ce qu’elle entreprenait. Elle représentait tout ce que Jacob voulait devenir, compétitif, optimiste, meneur et charismatique. Sue était faite pour régner sur le monde, et elle le faisait merveilleusement bien sur son petit monde. Elle était apparue comme une bouée de sauvetage, un rocher auquel Jacob pouvait s’accrocher le temps que la tempête se calme. Mais il fallait se rendre à l’évidence, l’inquiétude de la perdre était vivace. Chaque nuit, elle partait en reconnaissance afin d’obtenir des informations sur leur future fuite. Car oui, ils devaient fuir. Ils étaient en danger, Clarisse était en danger.
― Nous sommes les adultes ici, jeune fille, ne pense pas que nos paroles soient vaines. Si tu es cachée ici, c’est qu’il y a une bonne raison, que tu comprendras lorsque tu seras plus grande.
L’esprit fin de l’enfant ne fit qu’un tour.
― Cachée de qui ?
Jacob souffla en lâchant son stylo. Il devenait anxieux, Clarisse tentait de rentrer dans l’esprit de son père. Telle une génie du mal, si les réponses ne venaient pas à elle, elle se gênait pour aller les chercher.
― Arrêtes de poser des questions, Clarisse.
― Mais je veux savoir !
― Non, tu n’es pas prête !
Clarisse bouillonnait, elle allait répliquer jusqu’à ce que tout explose. Jacob vit soudainement le temps ralentir, les lèvres de l’enfant s’ouvraient, prêtent à montrer sa colère, mais un bruit énorme ne lui laissa pas le temps de continuer. Une seconde passa avant que les murs ne se brisent, Jacob sauta sur sa fille propulsée dans les airs sous l’onde de choc. La maison des Guera venait d’être détruite. »
J’ouvrais les yeux. Ma maison. Explosée. Je n’avais pas péri ? C’était étrange lorsque mes souvenirs remontaient à la surface, mais cet épisode de mon passé me déstabilisait. J’avais l’impression d’assister à ma mort, comme si Clarisse n’existait plus, Jacob m’avait sauvé ? Était-il mort dans cet accident ? Qui l’avait déclenché ?
Mes souvenirs revenaient rapidement à la surface et s’enchaînaient, comme des bulles d’airs qui s’empressait vers la délivrance. Je n’en avais parlé à personne. Ces précieux rêves représentaient ma vie à Rowenam, lorsque je n’étais qu’une jeune enfant. Je semblais brillante, têtue, et capricieuse. Certaines choses n’avaient pas changé aujourd’hui, mais je me rendais compte que mes pouvoirs étaient beaucoup plus malléables à cette époque. Je me revoyais accomplir des choses dont j’étais incapable à Ecclésia, comme si ma puissance restait terrée au fond de moi, pour une raison que j’ignorais. Je me souvenais de ma maison et de ma chambre. Elle était située dans un petit village éloigné de la capitale, dont mon père rêvait d’en être le maire, sans succès. Les habitants étaient de simples pêcheurs assez âgés, les enfants étaient peu nombreux, nous représentions un petit comité. Jacob Guera n’était donc pas très apprécié, déjà pour son mariage mais aussi pour ces idées.
Je devinais, aujourd’hui, la raison de mon confinement, j’avais été cachée. Cependant, j’ignorais le danger que j’encourais. Mes souvenirs revenaient dans un ordre assez aléatoire et je peinais à reconstituer le puzzle. J’aimerais pouvoir déplacer les différentes pièces pour organiser tous ces moments, mais j’avais parfois l’impression que mon cerveau allait exploser. Comme s’il avait été en apnée durant toutes ces années. Revenu à la surface, il réapprend à respirer convenablement, la gorge en feu, cherchant désespérément de l’air. Il fallait du temps.
En réfléchissant, il était évident que j’avais besoin d’aide, mais cela m’inconfortais d’embêter Basil avec mes états d’âmes, surtout après avoir refusé son aide. Puis, ils avaient leurs propres problèmes, Basil, Oswin ou Clara, je me devais de les aider à mon tour, en m’oubliant un peu plus.
J’avais discuté avec Oswin, elle m’avait alors avoué le harcèlement qu’elle subissait depuis la rentrée. Comment Cédric la suivait toute la journée, faisait en sorte d’être dans son groupe de classe, de déposer des messages un peu partout où elle pouvait passer son regard, et les menaces. Cela avait débuté avec des mots, jusqu’à ce qu’il agisse avec des maléfices, et enfin l’usage de son père pour nuire à la famille d’Oswin. J’étais heureuse de la savoir protéger aujourd’hui notamment grâce à Aiden. Mais je savais qu’elle avait fait de son mieux pour éviter que son père en pâtisse. Malheureusement, cela n’avait pu être évité. Oswin avait respiré un grand coup avant de sourire, ironiquement, elle se sentait dorénavant en sécurité.
« Je sais que maintenant, il n’a plus rien pour me faire chanter, je lui ai souvent rendu la monnaie de sa pièce, mais je n’y mettais pas toute ma rage. »
Dorénavant, elle le pouvait.
Les vacances commençaient à devenir longues de mon point de vue, je m’ennuyais pas mal. Je savais mes parents rentrés de France depuis quelques jours, je décidai alors de leur poster des lettres pour leur raconter mon Noël maussade. Je culpabilisais à l’idée de me plaindre auprès de mes amis, mais ce n’était pas le cas auprès de mes parents. Je leur contais alors la soirée du Réveillon, comment un homme harcelait mon amie et l’injustice qu’elle subissait. Puis je leur envoyais également mes notes de ce trimestre. Je me doutais que ce n’était pas simple à déchiffrer pour eux, mais je me sentais fière de leur montrer des bonnes notes. Je descendais de bonne heure, les couloirs étaient vides et le levé du soleil restait caché par la grisaille des nuages. La Vampire de l’accueil ne changeait jamais de place, son fauteuil visé sur le sol, son visage derrière le journal d’aujourd’hui. Je pus lire la première page qui montrait la photo de notre Rohan du Canada, auprès d’autres hommes qui semblaient plus vieux que lui, je devinai alors que c’étaient des membres du Conseil. « La chasse aux Démons n’est pas l’ultime recours » disait-il devant l’Assemblée du Conseil. La dame de l’accueil posa soudainement son journal sur sa table, m’ayant repéré. Je sursautais avant de me munir de mon sourire poli.
― Bonjour madame ! J’ai des lettres à poster aujourd’hui.
Je lui tendais la pile d’enveloppes et elle souffla avant de se retourner pour fouiller dans les courriers reçus pour les élèves. Elle me tendit mon dû avant de me prendre les miennes entres mes mains.
― Merci madame, passez un bon dimanche !
Elle marmonna un « merci » puis se concentra dans sa lecture. Je passais en revue les lettres que mes parents m’avaient envoyées dès leur retour à Chicago et celle de Camille. Étonnement, je vis une troisième lettre se faufiler parmi celles de mes proches. Je lisais l’expéditeur :
« BAILEY Enki, QUEBEC, Québec, Canada. »
J’entrais dans la Salle Principale déserte pour m’installer dans un des canapés. Je pensais à Basil qui m’avait conseillé de ne pas m’entretenir avec lui le temps que la situation se calme. Le monde Surnaturel était en effervescence. Unis contre les Démons et débutants une chasse à l’homme qui n’avait aucune restriction, appelant à la haine et à la violence. J’étais une cible facile avec mes yeux, sortir d’ici était impensable.
J’étais redevenu Clarisse, obligée de me cacher du monde car ses habitants me haïssaient. J’avais peur, bien évidemment. J’ignorais comment les autres allaient réagir. Lorsque tous les élèves reviendront, seront-ils menaçant envers moi ? Je savais que notre génération n’était pas si aveuglée que les plus anciennes, pourtant j’étais terrorisée. Des gens comme Cédric n’allaient pas hésiter à se jeter sur moi, pour me ridiculiser, voir pire, m’emmener en justice comme si j’étais une criminelle.
Ce n’était pas moi la criminelle, ici. C’étaient eux.
D’une main tremblante, j’ouvrais l’enveloppe lentement. C’était une lettre toute simple, sans cachets ni adresse précise. Ce n’était pas le Rohan du Canada qui m’écrivait, il s’agissait juste d’Enki.
« Bonjour Tori,
J’ai réfléchi à ce que tu m’as dit, et à ce que Sue croyait. J’ai toujours su qu’elle avait raison, c’était une tête de mule qui voulait fabriquer le monde à sa façon, elle pensait pouvoir détenir n’importe quelle faculté car elle croyait être bien entourée mais aussi car elle en avait la force. Je pense que Sue était capable de porter le monde à bout de bras, je le sais. Et lorsque je t’ai vu, j’ai vu Sue et ses yeux pétillants de jeunesse et d’espoir. Tu lui ressembles beaucoup.
Nous vivons des siècles et pourtant, tout s’accélère et je me sens impuissant. Je suis désolée mais tu seras ma rédemption envers Sue, je ne te laisserais pas seule pour accomplir ce dont tu aspires. Elle était forte, et j’étais lâche. Je ne ferais pas la même erreur. Après tous, mon devoir et de protéger chaque Surnaturels sur mes terres.
Je viendrai à Hamilton mi-janvier, j’espère te voir pour en discuter avec toi. Prends soin de toi, le monde est dangereux.
Enki Bailey. »
Oui, Enki. Je ressemblais beaucoup à ma mère.
Un passage très dense où on apprend beaucoup de choses, j’ai un peu mieux situé les personnages.
Il semble que Tori soit beaucoup plus puissante que ce qu’elle pensait et elle est destinée à devenir ce que sa mère était.
J’écris souvent densément, j’espère que ça n’affecte pas trop la lecture…? On peut penser ça oui, imagine la pression sur ses épaules, à voir si elle en est capable 🙂
La densité pour moi est une qualité.