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Lorsque Gwendoline et Erwann franchissent la porte du bar, laissant le rideau de fer s’abaisser derrière eux, l’air frais et humide de la nuit leur fait du bien. Anesthésiés par l’ambiance de l’établissement surchauffé, ils apprécient de respirer à nouveau et prennent de concert une grande goulée d’air pur.
La pluie a cessé mais son odeur persiste et embaume l’atmosphère de la ville assoupie. Déambulant dans la rue éclairée, deux passants discutant bruyamment manquent de leur rentrer dedans. D’un mouvement aussi soudain que vif, Erwann la tire vers lui pour l’écarter de leur chemin. Gwendoline se surprend à vouloir se blottir contre lui, mais s’immobilise au dernier moment. Leurs regards se croisent avant qu’ils ne reprennent leur marche nocturne silencieusement.
En se dirigeant vers la voiture, la jeune femme se meut au ralenti et retient un bâillement dans le creux de sa main, espérant que son chevalier servant ne s’est pas aperçu de son coup de barre.
– Fatiguée ? demande celui-ci, en lui ouvrant la portière.
– Un peu, reconnaît-elle à demi-mot. Je ne serai pas contre l’idée qu’on me télé-transporte directement jusqu’à mon lit pour me laisser tomber comme une masse la tête dans l’oreiller.
– Je comprends, lui répond-il avec un clin d’œil.
Elle n’ose pas expliquer à Erwann qu’elle n’est plus une couche-tard, préférant se lever de bonne heure pour profiter de sa journée. Elle n’a plus l’habitude de ces horaires-là. Qu’il est loin le temps où elle était un oiseau de nuit. Elle se sent épuisée par cette longue et intense journée.
– Je te ramène à ta voiture, dit-il avec un sourire compatissant.
– J’ai l’habitude de me lever tôt, tu sais…, explique-t-elle pour le rassurer. Je ne traine pas souvent le soir comme ça…
Elle aime se lever aux aurores et méditer au saut du lit. Si elle n’a pas un moment de solitude le matin, avant de se préparer pour emmener sa fille à l’école, elle ne se sent pas aussi bien pour attaquer sa journée.
Pour cela, elle privilégie les soirées calmes, entre lecture et écriture dans son journal intime, avant d’éteindre peu de temps après avoir couché sa fille. Sans ses sept heures de sommeil, son humeur n’est plus la même.
– J’avais cru comprendre. Jérémy avait l’air surpris de te trouver là, dit Erwann en lui ouvrant la portière.
– Oui, je ne m’attendais pas à tomber sur lui, non plus, ajoute-t-elle en riant. Lui et moi, nous étions très différents. Diamétralement opposés, pour dire la vérité…
Erwann sourit à cette remarque, se retenant de lui demander ce qui les avait rapprochés. En repensant à Alice, son ex-femme, il sait bien que l’on vit parfois avec quelqu’un avec qui on n’a plus grand-chose en commun.
Dans le silence de l’habitacle, Gwendoline plonge dans ses pensées. Elle pourrait lui faire la liste de toutes les raisons qui l’ont conduit à cette conclusion. Jérémy et elle n’étaient pas bien assortis. Il était un oiseau de nuit aimant la fête et être entouré de gens et de bruit.
Elle ne jure que par la méditation, la lecture et le silence.
Lorsqu’elle évoque son style de vie quasi monacale, son entourage se moque gentiment d’elle. Nourriture saine, jamais de télé le soir avant de se coucher, voilà bien une façon de vivre qui ne tente pas ses amis. Trop de contraintes, ont-ils l’habitude d’argumenter.
– Jérémy et moi n’avions pas la même définition de ce que les gens appellent « profiter de la vie », reprend-elle en mimant les guillemets.
Les gens. Elle a beau leur expliquer que cette façon de faire lui réussit, ces derniers restent dubitatifs. Pourtant, ce qu’elle apprécie par-dessus tout, c’est se connaître mieux. Si elle a pris ses bonnes habitudes, c’est pour se réserver du temps pour apprendre de nouvelles choses, se cultiver, s’améliorer intellectuellement et progresser spirituellement.
– Si pour lui, profiter de la vie, c’est se mettre minable au lieu de passer une bonne soirée entre amis, ce n’est pas non plus ma vision des choses, intervient Erwann les yeux sur la route.
Évidemment, Erwann a l’air différent. Plus posé et mature que les hommes qu’elle a rencontré dans le passé. Pas d’alcool et apparemment pas de cigarettes.
Tout le contraire de son ex.
Après les nombreux revers de fortune qu’elle a connu en amour, elle commence à désespérer de trouver quelqu’un qui lui ressemble. Erwann semble prometteur, pour autant, elle reste sur ses gardes et vigilante. Il faut qu’elle temporise un peu son enthousiasme pour ne pas s’emballer comme elle l’a fait avec Jérémy.
– Je crois que Jérémy n’a pas d’autre ambition dans la vie, en effet.
Elle se retient d’ajouter que Jérémy n’a pas d’autres ambitions dans la vie que celle d’avoir une bite plus longue. Ce serait peut-être trop pour une seule soirée.
– Si on veut donner un sens à sa vie, il faut faire les choses bien. Se bouger, travailler, avancer. Apprendre de ses erreurs et continuer. Recommencer. Sans cesse recommencer. Ne jamais abandonner. C’est pour moi la seule façon d’y arriver.
Erwann semble être un passionné qui nourrit, grâce à la photographie, une certaine ambition professionnelle. Elle aime cet état d’esprit, cette quête de reconnaissance, cette envie d’exister à travers son art. Elle admire les gens qui se donnent les moyens d’atteindre leurs objectifs, au prix parfois de certains sacrifices.
– Tu dois te demander ce que je faisais avec lui… dit-elle en se tournant vers lui, regrettant presque aussitôt d’en avoir trop dit.
– Parfois, on est avec quelqu’un parce qu’on a besoin de comprendre ce qu’on ne veut plus jamais. Et ça aussi, ça permet d’avancer…