La confrérie

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Gora disait toujours qu’il faisait tout cela pour nous, nous aurions dû être plus heureuses alors, mais la petite et moi ne l’étions pas. J’avais rencontré Gora alors que nous étions encore jeunes, à peine adolescents. Son père était mort depuis quelques années, il vivait donc seul avec sa mère. Gora avait trois ans de plus que moi, mais au-delà du fait que nous sortions ensemble, nous étions de très bons amis. Il était en terminal lorsqu’il m’avait abordé. J’étais assise sur un des bancs publics devant le lycée d’état de Port-Gentil, je n’étais pas pressée de rentrer à la maison, je vivais avec mon père et j’étais certaine qu’il n’était pas encore là.

J’habitais avec mon père et sa nouvelle copine, ma mère étant partie depuis plusieurs années, elle vivait avec un autre homme et semblait m’avoir complètement effacée de sa vie. Mon père lui, travaillait sur un site pétrolier et n’était là qu’un mois sur deux, comme sa petite copine qui disparaissait le lendemain de son départ et réapparaissait le jour de son retour. J’étais donc seule chez moi un mois sur deux. C’était le jour où mon père devait revenir, mais je n’étais pas d’humeur à faire l’hypocrite avec sa copine, surtout que mon père était désormais au courant de son petit manège. Ses heures chez nous étaient donc comptées alors, il ne servait plus à rien de faire semblant.

Des groupes d’élèves du lycée technique passaient devant moi en rentrant chez eux à pieds, c’étaient de sacré marcheurs ces gars-là. Et il en faisait partie. Il discutait avec un de ses amis et un autre prit le sac de celui avec lequel il parlait et le jeta parterre devant moi, c’est Gora qui vint ramasser le sac, en levant les yeux vers moi il en oublia son ami :

– Wow, bonjour miss, dit-il en me regardant

– Salut,

– Tu ne sembles pas pressée de rentrer, tu viens marcher un peu avec nous ? S’enquit-il

– Vous allez dans quelle direction ?

– Bac aviation, le bout du monde, fit-il en souriant, et toi ?

– Je vais à la balise, derrière le marché,

– Si tu veux, on t’escorte avant de rentrer chez nous, proposa-t-il en jetant un coup d’œil aux autres qui lui firent signe qu’ils étaient d’accord

J’acceptais avec plaisir, nous allions marcher en prenant notre temps et j’espérais arrivée après de la dispute, que je pressentais entre mon père et sa petite amie. Gora me présenta ses amis, Tsingalt et Mouss, ils étaient tous les deux de Libreville et n’étaient venu là que pour aller au lycée technique. Tous les trois étaient des gars plutôt sympas, alors cette marche fut agréable :

– Dommage que tu sois déjà arrivée chez toi, fit Gora en me retenant par le bras, on pourrait se revoir, j’y tiens vraiment,

– Ecoute, je ne suis pas sûr que mon père soit d’accord pour que je fréquente des grands du lycée technique…

– Je pourrais lui demander, coupa Gora, si je le rassure, il voudra bien,

– Tu viendrais voir mon père pour pouvoir…

– Passer du temps avec toi, ici ou ailleurs c’est toi qui vois,

Ce jour-là, je su que ce type ne me lâcherait pas de sitôt. La suite me donna raison. Gora avait 20 ans, j’en avais 17 à l’époque, il était en terminale au lycée technique j’étais en première au lycée d’état. Nos parents étaient célibataires et n’avaient pas de gros moyens. Après avoir obtenu son bac en fin d’année Gora commença à travailler avec des entrepreneurs dont il avait fait la connaissance pendant son cursus, il avait une formation en électricité bâtiment, il trouvait donc facilement des petits boulots.

C’est pendant mon année de terminal que les choses se compliquèrent pour mon père, il y avait eu un problème sur le site sur lequel il travaillait et, il avait été blessé, alors la majeur partie de mes frais scolaires, c’est Gora qui les assumait. Mais mon chéri n’ayant pas de gros moyens, je dû me résigner à faire une croix sur des études universitaires après mon bac. L’entreprise pour laquelle bossait mon père, avait fini par se décider à l’envoyer se faire opérer à l’étranger, mais entre l’opération et la rééducation il allait en avoir pour plusieurs mois presque un an là-bas.

Gora proposa à mon père de me prendre avec lui, chez sa mère. Mon père avait fait construire une chambre américaine pour moi derrière notre maison, et avait tout d’abords pensé m’y laisser et mettre la maison en location. Au final Gora pût le convaincre, les deux bâtiments seraient donc mis en location ce serait un sacré coup de main pour moi. Mais ce qui avait été décidé entre les deux hommes s’avéra plus compliqué à vivre. La mère de Gora avait dit « oui », mais ce n’était pas de gaité de cœur, et je fini par m’en rendre compte. Mon calvaire commença environ moins d’un mois après le départ de mon père.

Gora était tout le temps stressé, à chaque fois qu’il devait aller bosser, au final avec des amis qui étaient eux aussi dans le bâtiment, il fit construire une douche pour nous ainsi qu’une terrasse en supprimant la fenêtre de la chambre que nous occupions. Nous avions désormais un espace plus grand à notre disposition et moi je pouvais passer mes journées à lire dans la chambre sans avoir besoin de croiser le chemin de ma « belle-mère ». Le séjour de mon père fut plus court que ce que nous avions calculé, heureusement pour moi. Un matin après le départ de Gora pour son boulot, sa mère vint frapper à la porte de notre chambre, elle ne savait pas encore que mon père était rentré depuis quelques jours déjà et que j’avais prévu d’aller le voir le lendemain :

– Mademoiselle, je suis fatiguée de cette comédie, mon fils ne t’a pas épousée alors, ton père est là ho, ton père n’est pas là ho, je m’en fiche, tu sors de chez moi, j’espère que j’ai été assez clair, dit-elle en me fixant

Je n’avais pas l’intention de lui répondre, mon père ne m’avait pas élevée comme ça, dès qu’elle eut terminé de parler je refermais la porte sur elle, cela eut l’effet de la mettre encore plus en colère. Elle se mit à tambouriner sur la porte violemment en m’insultant et répétant qu’elle ne voulait pas de moi chez elle etc… etc… pendant qu’elle faisait tout ce raffut, je rangeais mes affaires tranquillement. Mais mal lui en prit car Gora la trouva en train de faire tout ce boucan, toute seule :

– Tu sais maman, lui dit-il simplement, si depuis la route on t’entend, je pense qu’elle aussi t’a entendu, tu peux arrêter de faire tout ce bruit maintenant,

Elle sursauta en entendant la voix de son fils, il se tenait debout à quelques centimètres d’elle, le regard dur. Il avança vers la porte et je crois qu’elle s’écarta, car lorsqu’il entra elle n’était plus là :

– Je suis désolé ma belle, fit Gora en se passant les mains dans les cheveux après avoir pris place sur le lit près de moi, je vais te ramener demain chez toi je suis désolé pour tout ça

– Tu n’as pas de raison de t’en vouloir tu sais, et puis papa est de retour alors…

– Je sais mais, j’aurais tellement voulu que tout ça soit le début de notre vie ensemble, tu comprends, je me faisais déjà tous plein d’idées sur nous deux et voilà que…

Il dit ça en me prenant dans ses bras. Cette nuit-là aucun de nous ne pût dormir, on fit le tour de nos années lycée, et puis on se mit à parler projet d’avenir :

– Ecoutes-moi ma belle, je vais devoir bosser dur pour partir d’ici et me trouver un endroit dans lequel on puisse suffire tous les deux ensuite une fois que ma situation ce sera améliorée de façon suffisante tu pourras faire les études que tu voudras, je paierais pour ça,

– Tu n’es pas…

– Je sais, coupa-t-il, mais je le ferais pour toi, juste parce que je t’aime, ensuite les choses iront mieux tu verras

Il en était surement convaincu, néanmoins je restais inquiète. Ce que je ne savais pas encore c’est que Gora avait prévu de me laisser chez moi et de disparaitre de ma vie, d’une certaine façon. Il avait décidé de se concentrer sur les objectifs qu’il s’était fixé en étant focalisé uniquement sur eux et rien d’autre. Les premières semaines lorsqu’il avait cessé de répondre à mes coups de fil et décidé de ne pas passer me voir non plus je pris peur. C’est mon père qui me rassurait tout le temps en me disant que le jeune, c’est ainsi qu’il appelait Gora, avait besoin de prouver à sa mère qu’il n’avait pas l’intention de rentrer en conflit avec elle, mais qu’en même temps, il ne renoncerait pas à moi. Il disait aussi qu’il me fallait être patiente.

Toutefois mon pic de stress grimpa en flèche, lorsque je découvris que j’étais enceinte et que mon cher et tendre continuait d’être injoignable. Au début le problème ce fut de le dire à mon père et puis tout se passa bien, et six mois plus tard j’accouchais d’Akeng, ma petite princesse, c’est mon père qui lui donna son nom, il m’expliqua que dans notre langue, le fang, cela signifiait le talent. Et puis le temps passa. J’étais tellement occupée avec la petite, que je n’avais pas vraiment le luxe de le voir passer, mon père avait repris le chemin des chantiers, un mois sur deux, j’avais quand même fais des économies pendant que j’étais avec Gora, chez sa mère, alors mon père pu commencer une autre chambre américaine et grâce à son retour au boulot il put la finir pour le premier anniversaire d’Akeng. En plus de m’occuper d’elle, je m’occupais aussi maintenant de gérer les locataires et ce n’était pas une sinécure.

Les choses n’allaient pas trop mal pour nous et puis un jour, avec l’aide d’un ami de Gora que j’avais connu lorsqu’ils étaient tous au lycée technique, je fis la connaissance d’une jeune femme qui allait à Dubaï régulièrement. Lors d’un de ses voyages elle me rapporta plein de jolies choses, surtout de la vaisselle et des couverts etc…. Il y en avait pour, disait-elle, 200.000 cfa, j’avais du mal à y croire, à cause de la qualité et surtout de la quantité des pièces. C’était mon premier pas dans le monde des affaires. Je ne sais toujours pas pourquoi cette fille m’avait aidé, mais encore aujourd’hui, je ne sais pas quoi lui offrir pour la remercier.

Elle m’avait proposé de considérer cette marchandise comme un prêt, et j’avais une année, pour lui rembourser les 200.000 cfa, c’était une super occasion. La majeure partie de mes clientes étaient les épouses des collègues de mon père, ce qui rendait plus facile le recouvrement. Cette mademoiselle Poaty, elle allait à Dubaï quatre fois dans l’année, et elle était toujours ok pour me ramener tout ce que je voulais. Il faut dire qu’elle était mariée à un riche type des émirats, je ne saurais vous dire comment ces deux-là s’étaient rencontrés, je ne le sais pas moi-même.

Donc quatre fois par an elle allait passer un mois entier avec son amoureux, et à son retour elle rapportait tout un tas de choses qu’elle offrait à ses amies ou à ses frangines, en tout cas au départ c’était ça. Et puis après m’avoir vu faire, elle décida de s’ouvrir un magasin en me disant qu’il valait mieux pour elle se préparer au pire, car « avec les hommes on ne sait jamais ! ». Je suppose que c’est parce que c’était moi qui lui avais donné cette idée que ce fut à moi qu’elle confia le magasin. Et en plus, je pouvais y exposer ma marchandise. Il faut dire que j’étais bien contente, cela me faisait un revenu supplémentaire.

C’est un jour que j’étais au magasin avec la petite que je fis la connaissance de Ndoum, un gars un peu particulier, sympas mais avec une aura perturbante, et malgré que j’avais toujours refusé de sortir avec lui, il y passait aussi souvent que le lui permettait son emploi du temps. Il avait tout le temps un truc à offrir à Akeng. Au début elle aussi avait un peu peur de lui mais avec le temps, elle s’habitua à le voir. Certains des clients en étaient même arrivés à penser qu’il était son père. Au final, nous étions devenu très proches mais j’avais beaucoup de mal à sauter le pas. Il finit par faire son deuil d’une relation avec moi et pourtant, il continuait de passer nous voir au magasin régulièrement.

Je pense qu’il s’était vraiment pris d’affection pour la petite, et elle aussi avait fini par s’attacher à lui. Nous étions donc souvent ensemble tous les trois, je pense que c’est ça qui m’empêcha de nouer une relation avec un autre homme pendant les années durant lesquelles Gora et moi sommes restés séparés. Et puis un jour, que nous étions allés faire des courses avec Ndoum, au supermarché du bord de mer, Gora était dans le supermarché avec sa mère. En nous apercevant il s’approcha de moi, je sursautais en entendait sa voix :

– Salut ma belle !

– Gora, ça fait tellement longtemps, fis-je, Ndoum je te présente Gora c’est un très bon ami mais ça faisait longtemps que je n’avais pas eu de ses nouvelles

Ndoum lui serra la main et souleva la petite, elle salua elle aussi Gora, puis Ndoum se tourna vers moi, je pense qu’il avait vu la ressemblance entre elle et Gora :

– Je vais aller chercher des friandises avec Akeng tu nous y retrouve dès que tu as fini, me dit Ndoum

– D’accord je fais au plus vite, dis-je, alors dis-moi comment tu vas Gora ?

– Je crois que je vais me trouver mal, répondit-il

– Pourquoi ? lui demandais-je un peu surprise

– Je suis choqué, mais ce n’est pas de ta faute, c’est moi, je n’aurais pas dû rester si longtemps sans donner de nouvelle de moi, je suis…

– Gora de quoi tu parles ? Lui dis-je étonnée

– De ton mec et de la gamine,

Je mis un petit moment à comprendre de quoi il me parlait, et puis je le fixais, son air triste alors qu’il avait d’abord paru heureux de me revoir :

– Tu parles de Ndoum et Akeng, fis-je en soupirant, alors tu ne l’as pas bien regardée n’est-ce pas ?

– Regardé qui ? Questionna Gora

– Ta fille, idiot, écoute on en parlera quand tu auras du temps pour nous, dis-je en m’éloignant

Gora me rattrapa et me retint par le bras, sous les regards curieux des autres clients :

– Tu veux dire qu’on a un enfant, mais… pourquoi tu ne m’as rien dit, je…

– Ohhh arrêtes de faire ça,

– Faire quoi ?

– Qui est-ce qui a ignoré mes appels pendant plus d’un an, on parle à une personne qui veut vous parler monsieur

– Tu sais que ce n’est pas ça…

– Ah oui ? et de quoi ça avait l’air dis-moi ? et là je te croise par hasard, ce qui signifie que tu n’avais pas encore l’intention de revenir

– Ce n’est pas ce que tu crois, je suis…

– Je ne veux pas le savoir Gora, toi au moins tu n’es pas interdit de séjours chez moi, alors le jour où tu voudras t’expliquer…

Je pris congé après avoir dit ça. Il resta debout le regard posé sur moi avant de retourner se tenir aux côtés de sa mère, dans la queue devant l’une des caisses. Elle pensa certainement lui remonter le moral, en lui disant un truc bien piquant sur moi mais Gora n’était pas d’humeur, je le vit de loin se passer la main sur le visage :

– Tu ne vas pas pleurer pour une fille qui t’a quitté pour un autre homme, ce n’est pas la seule femme sur terre, fit sa mère en me jetant un regard en biais

– Juste histoire de te nettoyer la mémoire maman, c’est toi qui la mise à la porte et c’est à cause de toi que je ne l’ai pas revu tout ce temps, et c’est à cause de toi que ma propre fille me regarde comme un inconnu

– Ta fille ? S’étonna sa mère

– Oui maman, MA fille, lorsque TU l’a mise à la porte de TA maison maman, elle était enceinte de MOI, il dit ça en criant presque puis sortit du supermarché laissant sa mère seule à la caisse devant la caissière et les autres clients qui la fixaient maintenant d’un air mauvais

Deux des clientes debout dans la queue derrière la mère de Gora, semblaient très perturbées par la conversation que Gora avait eu avec sa mère avant de sortir l’attendre à l’extérieur du magasin, elles fixaient la vieille dame d’un air mauvais, et lorsque celle-ci sortit rejoindre son fils, les langues se délièrent :

– Chiiip ! Belle-mère sorcière va, fit la première

– Je te dis, comme si c’est elle qui allait épouser son enfant, elle ne se rend même pas compte que le pauvre garçon est tout malheureux, fit l’autre

– Ah mes chéries, dit la caissière, elles sont nombreuses comme ça, lorsque je suis allé accompagner mon fils épouser sa petite amie, l’une de ses tantes m’a dit « tu es bien hein madame, sinon moi, je ne les garde pas chez moi »

– Carrément ! S’exclama la première jeune femme

– Laisse, je lui ai dit que si mon fils veut une femme alors je la veux aussi, elle n’aura de problème avec moi que si elle ne prend pas soin de lui et si c’est mon fils qui déconnes alors c’est lui qui aura des problèmes avec moi, pauvre garçon…

Elles continuèrent encore un peu le temps de payer leurs achats puis elles prirent congé de la caissière. J’étais décidément mal tombée avec la mienne. Et franchement je commençais à me dire qu’attendre cet homme-là, était peut-être une perte de temps, cette femme et moi ne serions jamais rien l’une pour l’autre, et je ne me voyais pas lui confier ma petite princesse, grand-mère ou pas.

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