Le Corps – Partie 14 b

5 mins

Le Corps – Partie 14b

Acte 2 – Bloc 5 – Beat 14 – Midpoint – Rebond de l’intrigue

1 096 mots

     Cette fois ça ne passait pas. J’avais trop souvent occulté ces petits bouts de phrases qui s’échappaient comme des lucioles dans la nuit. « Skylar ! Pourquoi est-ce de votre faute ? Parlez ! »

     Vector nous interrompit. « Boss ! En bonne petite ange gardienne, la môme se sent responsable de sa protégée. Voilà tout.

— Je crois au contraire qu’elle nous cache quelque chose, » répondis-je.  

      Je ramassai l’angelot par la chevelure. « De quel droit es-tu l’ange gardien d’une créature sans âme ? Réponds ! » 

     Vector me frappa sans prévenir. « Personne ne touche à mon ange de corps sans me passer dessus ! » Les Séraphins s’engouffrèrent entre nous. Coincée dans l’embouteillage, Skylar roula dans les scories.

     Le sang me brûlait les veines. Je me dégageai de la masse pour hurler ma rage. « La supposée ange gardien de Mary Grimmins ne pouvait ignorer que nous allions redonner sa femme à l’Ange noir. Grâce à elle, nous venons de retourner la clé du pouvoir total à cette ordure sans même qu’il n’ait eu à se déplacer. 

    Le costaud me ramassa par le collet, son poing brandit pour m’ouvrir le visage. « On est pas des agents de l’ennemi, » hurla Vector. Les Séraphins tentèrent de nous séparer à nouveau. L’empoignade dégénéra en une épreuve de force.

   Skylar s’agrippa à mon pantalon. « Arrêtez ! Je vous en supplie ! Je ne voulais pas sortir des enfers ! On m’y a forcé ! » 

   C’en était trop. Je bousculai Vector et admonestai une droite au hasard. Andraël roula au sol. Les anges Fardaël et Diesël me ramassèrent avant que je puisse buter la môme qui se retrouva prise dans une forêt de jambes. « Arrêtez ! Il a raison ! Je suis une traître ! »

    Notre entrée aux enfer se faisait par la grande porte.

    Je me retournai vers Mary Grimmins, larguée à quelques mètres dans le brouillard. Le corps enceint dans son étau de fonte, la Reine des enfers s’échinait sur son boulet pour se rapprocher de nous. Elle tendit un bras dans ma direction comme pour s’agripper à ma ceinture. « Attendez, lança-t-elle.

— Vous avez bien comploté toutes les deux ! Quels sortes de monstres êtes-vous ? répondis-je.

— O. je t’en supplie, écoute-moi ! répondit-elle à bout de souffle, alors qu’elle poursuivait à coups d’efforts redoublés pour se rapprocher. Skylar sait à propos de mon néant, de l’absence de contraste dans mon être, enfin, je parle de l’appel au vide, de ce qui manque dans le non-espace de mon intérieur. »

    Je compris que même ici, Grimmins demeurait un mulet incapable de prononcer le mot “âme”, encore moins d’en saisir le concept. Le mystère de son innocence était aussi épais que les brouillards de cet enfer. « Je crains que notre angelot n’ai le sens de l’honneur trop élevé, » finit-elle par dire.

   Mais Skylar poursuivit ses aveux. « Je suis une âme jugée, une jetée aux enfers.

— T’es une damnée ? » demanda Vector. 

     Le costaud se prit la tête entre les bras. Cette question le dépassait. « De toute façon Boss, dit-il, titubant dans la masse de brume, la rumeur veut que votre place au Bas-Ciel, c’est qu’un échange de faveurs. Les chaudrons sont remplis d’innocents à cause des planqués dans vot’genre. Mon ange est une victime. Elle s’est trouvée une combine pour sortir, y’a pas de mal à ça… 

— Non ! C’est faux ! répondit Skylar. Mes dix-sept ans sur terre ont été un feu roulant d’erreurs et de catastrophes. J’ai mérité mon sort ! »

     La môme s’interrompit pour gémir, le visage plongé dans ses mains. Grimmins interrompit les sanglots de l’ange. « O. ! Je crois avoir eu une vie dans le passé. Avoir été complète, assemblée avec le non-vide, avec le truc matériel et immatériel…

— Abrégez Grimmins.

— Je suis ici à la place de Skylar. Je n’ai aucune mémoire des faits, mais je devais nécessairement ignorer que le sacrifice d’une innocente donnait de tels pouvoirs au diable. »

     La tension générale se relâcha. « Mais seule une mère ferait une chose pareille ! répondis-je atterré.

— Je n’en sais rien, dit-elle. Dans une semaine, tu verras. Ta mémoire du Bas-Ciel commencera à s’effriter, tout comme celle de ton vivant. Les fourneaux de l’Ange noir sont un lieu de confusion, un lieu où le ressentiment et la discorde se renforcent mutuellement. »

     Skylar releva ses yeux vers moi. Cet ange offrait un regard d’une beauté à fendre l’âme. « Sauf pour nos péchés. Ceux-là nous sont rappelés à chaque séance d’expiation. J’ai tué JimPaskiel votre attaché de presse, Élaziël votre conseiller stratégique et deux autres membres de votre staff Sylvanorial. Je ne me rappelle pas qui ils étaient de leur vivant, mais je sais que ces quatre-là m’aimaient, que j’étais tout pour eux. Ça me détruit chaque fois que j’y pense. 

— Môme ! Tu ne savais pas pour le mulet, hein ? … la Reine du diable et tout ça, demanda Vector, saoul de douleur.

— Ça ne change rien, répondit Skylar. Parce qu’avec le retour aux enfers de ma protégée, je dois rester ici pour veiller sur elle… »

    Je n’en revenais pas. C’était à mon tour de vaciller. La tête voulait m’éclater. 

« Mais Skylar, nom de dieux ! Tu n’as pas à protéger la femelle en chef du Maître de ton enfer ! Ici, tu n’es qu’une damnée sans pouvoir ! »

     Grimmins réussit à m’agripper par la ceinture, toute chaîne tendue. Les yeux levés, sa bouche à demi ouverte, elle me décocha une salve que je n’attendais pas. « O. ! C’est à se demander si tu ne serais pas impliqué dans l’affaire. » 

     Je n’eus pas le temps de me ressaisir que Vector me tirait à contrepied vers lui. « Colonel, il faut appeler les secours. Votre présence rameute l’ennemi. Les griffons s’attroupent ! » 

    Dans ce brouillard aux effluves d’acide sulfurique, nos larmes nous brûlaient les yeux, les visages apparaissaient déformés. Je fronçai les sourcils. « Sergent Victor Riker ? Quatorzième brigade, bataillon des Zéphyrains… Vous êtes mort à mes côtés, rappelez-vous ! » 

Image du Pen WikiPen

     Le flottement s’étirait, long comme un siècle. Et puis, une frappe en oblique me broya la joue. « Engence de pute ! Tu adorais te montrer le cul aux caméras ! À cause de toi, mes enfants sont orphelins. » Les autres me reconnurent, ils étaient tous du même platoon.

    Il fallut le cri des harpies pour interrompre mon lynchage. Ces diablesses ailées emplissaient le brouillard au son de la dérision. Les griffons qui accouraient dans la plaine en contrebas répondirent par des grognements et des bruits de sabots. Des javelots se mirent à pleuvoir. « Tous derrière la dune ! Feu à volonté ! » ordonnais-je. 

    Les M16 crépitèrent. Nous étions cernés.

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3 Commentaires
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P. Maryse
2 années il y a

Que de révélations ! Comment vont ils tous sortir de cet enfer ? En sortiront ils tous intacts d’ailleurs ?

P. Maryse
2 années il y a

Bonne idée…Le risque est réel !

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