Les Crapules de la Cabane – Chapitre 13

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                                Chapitre 13 : Les choses sérieuses

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Installés à la table de la salle à manger, chacun un verre de picrate sous le nez, je jetai un coup d’œil discret à mes partenaires. Je devais trouver le moyen d’aborder le sujet qui nous intéressait en toute subtilité. Mais avant tout, afin de démarrer la conversation correctement, je voulais présenter mes condoléances à Dory et lui témoigner un peu de compassion concernant la mort de son crétin de fils. Mes intentions furent une fois de plus contrecarrées par la spontanéité déplacée de Taz.

— Il parait que vous avez fait de la taule parce que vous vendiez de la drogue, c’est vrai ? l’interrogea-t-il sans chercher à ménager l’ego de notre hôte.

Il ne remarqua ni nos regards désapprobateurs, ni l’étonnement de la vieille dame. J’intervins et enchainai aussitôt avec quelques politesses avant qu’elle n’eut le temps de répondre.

— On est vraiment désolé pour votre fils, Madame Pe… Dory. C’était un type bien. Tout le monde aimait Lenny.

L’air grave, le regard compatissant, je hochais la tête pour donner du poids à mes paroles mensongères. La retraitée, à la chevelure de sorcière, s’amusa de mes propos. Son ricanement rocailleux résonnait dans tout l’appartement, d’un écho diabolique. Ça me glaçait le sang. Elle ressemblait à ces méchantes magiciennes qui foutaient la trouille dans les dessins-animés de mon enfance.

— Mon fils, un type bien ? Tu déconnes, ou quoi ? se moqua-t-elle entre deux respirations chuintantes. Lenny n’avait rien d’un type bien, c’était un loser ! Un parasite ! Un imbécile !

Ça faisait beaucoup de mots peu élogieux pour décrire sa progéniture. J’avais toujours entendu dire que l’amour d’un parent pour son enfant était inconditionnel. Néanmoins, j’avais constaté à de nombreuses reprises que ce concept était peu répandu. Ma propre mère ne m’avait pas aimé, pas assez du moins. Celles de mes amis non plus, à croire que c’était une constante chez les mouflets issus de la zone.

Déstabilisé par sa réaction, j’ignorais comment mentionner le véritable motif de notre visite sans paraître trop cavalier. Je tripotais mon verre nerveusement, et cherchais de l’aide dans le regard de mes amis dont le soutien s’avérait inexistant. J’étais seul sur ce coup. Bande de lâches !

— Je vois, paix à son âme quand même, qu’il repose tranquille au pays des nuages, cherchai-je à lui rendre hommage en faisant un signe de croix hasardeux sur ma poitrine.

— Il est mieux là où il est, affirma Taz dans une tentative de soutien maladroite. Il parait qu’il y a plein de putes au Paradis. Il s’amusera plus que de son vivant.

— S’il arrivait déjà pas à pécho ici, il n’y a pas de raisons qu’il ait plus de succès avec les nanas, là-haut, le contredit Angus.

Mohan s’insurgea, épuisé par le manque de culture de Taz et surpris que l’érudit du groupe n’ait pas relevé sa énième bourde.

— C’est pas des putes, c’est des vierges, dugland !

Angus secoua la tête, dépité à son tour par le manque de connaissances de l’un, comme de l’autre.

— Mais non ! Ça, c’est dans l’Islam, bande de couillons ! Alors, à moins que Lenny n’ait été musulman, il baisera pas plus au Royaume des Cieux !

— Mais putain, on s’en cogne de vos histoires de religions ! Et on parle pas de la vie sexuelle d’un mec mort, avec sa mère à côté en plus ! C’est pas poli ! m’égosillai-je pour fermer une parenthèse totalement inutile.

— T’inquiètes pas pour moi, petit. Je suis consciente que mon Lenny ne plaisait pas beaucoup à la gente féminine.

Quel euphémisme. Je pouffais de rire intérieurement. Avec sa bedaine si imposante qu’il ne voyait plus ses pieds, son manque d’hygiène particulièrement odorant, et la moitié de ses chicots qui avait foutu le camp, il ne brillait pas dans le domaine de la séduction, le pauvre Lenny.

— Je suis sûr qu’il avait des qualités cachées, insistai-je.

— Non, crois-moi, il n’en avait aucune.

Vieille, mais toujours lucide, la mégère. Inutile de poursuivre les courbettes, Dory n’était pas effondrée par le décès de son fils, et ce n’était pas en flattant son défunt rejeton que je parviendrais à tisser un lien quelconque avec elle.

— Dis donc toi, sois mignon, va chercher mes médicaments à la cuisine.

Elle était presque agréable, malgré le timbre profondément râpeux de sa voix. Privilège qu’elle semblait réserver à Taz, désireuse de ménager sa sensibilité, convaincue qu’il était atteint d’une forme de déficience mentale.

— Ils sont où ? demanda Taz en disparaissant à la cuisine.

— Avec les courses que vous m’avez apportées, mon bichon.

Mon bichon ? Je suis sûr que de toute sa vie, elle ne s’était jamais adressée à son propre fils avec tant d’affection. Taz réapparut, l’air ennuyé.

— Mais on a déjà tout rangé, il y avait pas de médocs dans les sacs.

— Ah non ? Merde ! C’est que j’en ai besoin, je dois les prendre à heure fixe pour mon arythmie.

Et zut. Les médicaments se trouvaient probablement dans le sac que j’avais lancé sur Fred. Tant pis.

— On ira vous les chercher tout à l’heure, Dory, promis-je, impatient d’entrer dans le vif du sujet.

Un problème se posait. Retourner à l’épicerie pour se ravitailler en médicaments, reviendrait à reconnaître que nous avions échoué. Olivia n’en serait pas surprise, et j’étais déterminé à lui prouver qu’elle se trompait sur nous.

— C’est gentil, les garçons. Mais vous ne tarderez pas, hein ? Parce que sans ça, je risque la crise cardiaque, nous fit-elle remarquer avant de se rincer d’une grande gorgée de rouge.

Si elle levait le pied sur la picole, le cœur de la vieille bique ne serait certainement pas aussi fragile.

– Vous ne buvez pas ?

Nous n’étions pas de grands amateurs de vin. On aimait surtout la bière et le rhum. J’agitai mon verre pour faire tournoyer le liquide pourpre et grimaçai en inhalant les effluves âcres qui s’en dégageaient. J’y trempai mes lèvres sans conviction et ingérai à contrecœur le breuvage médiocre. Dégueulasse.

— Dîtes-moi Dory, je veux pas être indiscret, mais… Ce bruit qui court à votre sujet, à propos de la prison et du trafic de drogues, c’est du vent, pas vrai ? demandai-je enfin d’un ton candide.

– Ah non, c’est la pure vérité. Toute ma vie, j’ai trempé là-dedans ! Et j’étais douée ! J’ai commencé avec mon petit-ami de l’époque, qui était dealer. Il avait vingt-cinq ans et moi dix-sept, évoqua-t-elle dans un élan de nostalgie, le regard perdu au plafond. J’ai commencé tout en bas de l’échelle, de la petite distribution à la négociation avec les fournisseurs, en passant par la fabrication dans les labos. En peu de temps, on s’est fait une place dans le milieu, et on a gravi les échelons.

Je fixais Dory et hochais la tête par moments, afin de feindre de l’intérêt à son histoire. Je n’avais pas fait le déplacement pour écouter une vieille dame me raconter sa vie et c’est tant bien que mal que je retenais un bâillement qui ne demandait qu’à sortir, tandis qu’elle poursuivait son récit.

— On avait ramassé une petite fortune au fil des années, mais on a tout perdu quand on s’est fait doubler par Ganesh ! Ce sale chien nous a tout pris !

Ganesh ? Malgré moi, j’avais loupé un morceau de la biographie de Dory. Ma capacité de concentration s’amenuisait dés lors que la conversation ne m’intéressait pas.

– Mince alors, c’est trop triste ça, intervint Angus sans parvenir à transmettre la moindre once de compassion dans ses mots.

– Ouais, vraiment, elle fend le cœur votre histoire, Dory, terminai-je rapidement. Et sinon, quand vous bossiez dans les labos, vous coupiez quoi comme drogues ? De la cocaïne ?

— Principalement, oui.

Accoudé à la table, réfrénant péniblement mon impatience, je ne lâchais pas la bonne femme des yeux, et attendais une suite logique qui ne vint jamais.

— Et ? Vous faisiez comment, pour la couper ?

— Oh, c’était pas sorcier ! On mélangeait ça avec du paracétamol, un peu de sucre, et le tour était joué !

Je sentis sur moi le regard lourd de reproches de la part de Taz. On n’était pas si loin de son idée de couper la cocaïne avec de la farine.

— Elle est bizarre ta question… Pourquoi tu veux savoir ça ?

Ses petits yeux de fouine se plissèrent de doutes en se posant sur moi. Je devais trouver une excuse crédible rapidement, afin d’éviter les soupçons. Hors de questions d’impliquer Dory dans notre affaire !

— C’est parce qu’on a trouvé de la cocaïne et qu’on sait pas comment…

— Ta gueule, Taz, tu fais chier !

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2 Commentaires
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DeJavel O.
2 années il y a

Ce qui est bien c’est que dans cet échange, c’est que tous les personnages se précisent, on voit leur personnalités et ils répondent avec (le peu) qu’ils ont. Taz est toujours aussi craquant. Souhaitons que Dory ne crève pas d’une crise cardiaque. Je sens que tu nous réserves des surprises !

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