Chapitre 15 : Divergence
Quelques insultes plus tard, mon poing sur le nez de Mohan et une certaine agitation collective, on avait fini par tombé d’accord. Entre Dory et Tony, ce dernier nous semblait le moins fiable des deux. Nous ne l’avions jamais vu auparavant et il pouvait aisément disparaître avec la marchandise. Donc, une seule brique pour lui, les deux autres pour la mère de Lenny.
De retour chez moi, la tension restait palpable et peinait à retomber. Mohan m’avait sérieusement asticoté, Angus doutait du potentiel de mon plan, et Taz… Il m’avait saoulé avec ses questions débiles. Notre business n’avait pas encore démarré, que les choses se compliquaient déjà. J’avais imaginé un soutien sans failles de la part de mes acolytes, convaincu que notre équipe saurait gérer l’adversité de cette délicate entreprise, mais je m’étais fourvoyé. La solidarité que j’avais espérée n’était pas au rendez-vous, et j’avais les nerfs à vif. Ambiance pesante qui avait contaminé l’ensemble de la bande. On était tous à cran. Un mot plus haut que l’autre, et ça tournerait au pugilat !
— On en prend une chacun, on n’a qu’à les planquer sous nos fringues, proposai-je en lançant une brique à Angus et l’autre à Mohan, qui appuyait sur son nez ensanglanté avec un mouchoir.
— Et moi ? demanda Taz en farfouillant dans les placards de ma cuisine.
— Toi ? Ben… Tu fermeras la marche, pour assurer nos arrières.
— Ok. Mais d’abord, j’me fais un sandwich.
Taz et ses troubles alimentaires compulsifs. S’il n’avait pas été à l’origine de notre plan, je ne l’aurais même pas fait participer à ce projet. C’était un véritable boulet à nos pieds à tous. A chaque contrariété, il fallait improviser une pause pique-nique. Ça avait toujours été comme ça, aussi loin que je me souvienne. Mais jusque là, on composait volontiers avec sa singularité, parce que c’était Taz, et qu’on était lié comme les doigts de la main, depuis tout petit. C’était pas rien, ça comptait beaucoup pour moi, pour nous tous.
Une fois de plus, nous capitulions devant les besoins primaires irrépressibles de l’anxieux chronique de la bande. On n’avait pas vraiment le choix. Impossible pour lui d’être opérationnel sans combler ses fringales inopinées. Non pas qu’il soit beaucoup plus utile une fois rassasié, mais ça nous permettait de maintenir une apathie plutôt constante chez lui. C’était toujours plus facile à gérer que lorsqu’il se mettait à paniquer.
Je profitai de cette pause imprévue pour dissimuler au mieux le paquet de cocaïne que j’avais coincée dans mon pantalon. Mon t-shirt par-dessus, et le tour était joué.
— Ce serait peut-être pas mal de miser sur un peu plus de discrétion, quand même…
Je tournai la tête vers Angus et le rejoignis sur le canapé.
— C’est-à-dire ? C’est nickel, on voit rien du tout. Regarde, lui fis-je remarquer en tirant sur mon t-shirt.
— J’parles pas de la coke.
— Tu parles de quoi, alors ?
— De ton t-shirt débile !
Déjà en temps normal, entre mes tatouages, et les baskets jaunes de Taz, nous ne passions pas inaperçus. Ajouté à ça, cet immonde t-shirt rose que je portais, avec une tête de chat sur le devant, tâché de sauce tomate, on attirait d’autant plus l’attention. Angus avait raison, encore une fois.
Je grognai et me levai pour disparaître dans ma chambre, afin de trouver une tenue moins tape-à-l’œil. Je réapparus, un sweat gris sur le dos, et secouai la tête en constatant que Taz était en train de piller mon frigo. Ouvrant les bras, je fis un tour sur moi-même dans le but de narguer Angus avec ma tenue convenable.
— Non, mais t’es pas sérieux, Harlem ?! rouspéta le barbu.
— Qu’est-ce qu’il y a encore ? C’est gris, on peut pas faire plus neutre.
— Neutre ?! Tu plaisantes ?! T’as vu l’inscription au dos ?
Confus, je le fixai et clignai des yeux frénétiquement.
— Il y a écrit « God fuck the Queen », pauv’ tâche… ronchonna Mohan, affalé sur un fauteuil, toujours occupé à éponger le sang qui coulait de son pif.
Je râlai et disparus à nouveau. Je percevais un boucan d’enfer en provenance de la cuisine pendant que je me changeais pour la deuxième fois. De retour au salon, ouvert sur la kitchenette, j’évaluai l’étendue des dégâts après le passage du demeuré boulimique.
— Putain, mais pourquoi t’as sorti tout ça ?! Comment t’arrives à foutre un boxon pareil, à toi tout seul ?!
— J’voulais des œufs dans mon sandwich. Il fallait bien que je les fasse cuire, j’allais pas les bouffer crus !
— Et t’avais besoin de vider les placards pour ça ?! Pourquoi il y a une passoire, là ?! m’agaçai-je en attrapant un tamis qui trainait sur le plan de travail.
— Je crois pas que ce soit une passoire, supposa Mohan depuis son fauteuil.
— C’est un tamis, bande de bouffons… souffla Angus, en plongeant son visage entre ses mains.
Taz mordit dans son sandwich à pleines dents, avant de me répondre, la bouche pleine.
— C’était déjà posé là, j’sais pas d’où ça sort.
— Non, c’était pas déjà posé là ! D’ailleurs… J’ai jamais vu ce truc de ma vie, d’où tu sors ce machin ?
— J’te dis que j’en sais rien ! C’était déjà là !
Je balançai l’ustensile inconnu dans l’évier et pris la direction de la porte avant de m’immobiliser dans le salon, contenant difficilement mon agacement et mon impatience.
— Bon, alors ?! Bougez vos culs, on a une livraison sur le feu, j’vous rappelle ! Dory nous attend !
D’un commun accord, tous me suivirent, sans entrain aucun. On avait perdu l’enthousiasme du début, et on s’était laissé gagner par un sentiment de nervosité collectif. Les quelques obstacles rencontrés jusque là, mêlés à nos prises de becs habituelles, nous rendaient irritables. D’ordinaire, notre dissidence était le ciment qui nous gardait unis. Nous nous serrions les coudes, comme de fidèles renégats, soudés, à la vie à la mort. En cas d’échec dans nos petites magouilles, nous parvenions toujours à nous rabibocher. On s’insultait, on se tapait dessus et on se réfugiait à la Cabane pour fêter nos réconciliations autour d’un verre. Cette fois c’était différent, je percevais un malaise plus grand que les précédents.
Le fantasme de notre gloire prochaine, la perception d’un pactole encore imperceptible et l’obsession du succès de notre projet, déclenchait en nous une forme d’animosité contreproductive. Je devais trouver le moyen de calmer cette ambiance destructrice, avant qu’elle ne nous mène droit dans le mur.
— Si ça se trouve, elle était déjà dans un placard quand t’as emménagé, déclara Taz en nous emboîtant le pas, les crocs plantés dans son sandwich aux œufs.
Je fermai la porte derrière nous et bloquai sur sa supposition, sans comprendre le sujet de la discussion.
— Hein ? De quoi tu parles ?
— De la passoire.
— On t’a dit que c’était pas une passoire, espèce d’attardé !
— J’suis pas attardé ! Ma mère disait que j’étais spécial, ajouta Taz d’un ton fier.
— Ouais, mais ta mère, c’était une folledingue.
— Elle était pas folledingue !
Voilà que la tension monte entre les membres du clan ! Et en plus, ils exécutent un plan assez peu convaincant, celui de se donner à des… crapules de bas niveau. Le désastre se pointe à l’horizon. Comme je commence à les aimer, j’me dis que ce sera dommage de les voir abîmés, mais quoi ? On définit un drame quand le protagoniste est en conflit avec lui même ou avec ses proches et une comédie quand le protagoniste est en conflit avec le monde extérieur. Là ! On est en pleine comédie et je me mare à chaque ligne ! Merci Shi Loh ! Mdr
(Je ris encore de God f*** the Queen mdr…)
Tension partie de pas grand chose en plus, haha !
Merci à toi ! J’ai toujours hâte de découvrir tes commentaires.
Ravie de t’avoir fait rire 😉 La suite tout à l’heure, je suis inspirée mdr.