Alors Hortense a obéit. Aux vacances de printemps, elle est partie. Dans le train, elle a regardé toutes ses familles exitées et impatientes. Certaines à deux, d’autres à quatre ou six, elle s’est dit qu’être un “humain” ne voulait rien dire sinon que l’on possède des poumons et marche sur deux jambes. À ses collègues, elle n’avait su justifier son départ. Même, elle n’avait pu le dire. Car, était-ce un départ ou un retour ? Où se trouvait sa maison ? Certains lui avaient proposé une petite fête, pour se détendre, parce qu’elle en avait besoin, tous d’ailleurs. Hortense avait décliné les offres les unes après les autres, promettant de penser à eux.
Dans le train, elle sentait se réveiller en elle le doux parfum d’un vêtement laissé au placard. Le bruit du train de Normandie apaisait les dernières craintes. Depuis combien de temps n’avait-elle pas vu un champ ? La légèreté d’un mois d’avril brillait dans les champ d’avoine qui défilaient devant elle. Hortense gardait un oeil ouvert contre ce paysage en somnolent. La peur de le voir à nouveau disparaître lui arrachait tout sommeil. Pourtant c’est elle qui avait voulu partir, quitter définitivement cette région. Quelques voisins s’occupaient de l’entretient, bénévolement. Ils coupaient les haies, ouvraient un volet, faisaient suivre le courrier. Hortense n’envoyait pas une seule lettre de remerciement. Fatigue, égoïsme, oubli, l’esprit à bon dos quand il s’agit d’excuse.
À ses côtés, une vieille dame lisait un vieux journal, le même que Mireille emportait partout. Elle avait les cheveux d’un blanc angélique, une sorte de soie lisse et brillante. Hortense regardait par à coups, tantôt cette femme tantôt dehors. Dans le ciel azur, on croyait découvrir les premiers reflets de la mer. Elle s’endormit.
Il lui fallu tous les efforts du monde pour parvenir à se lever du siege. Elle attendit patiemment la départ des autres voyageurs, et dans un silence de plomb, elle sortit à son tour. Il pleuvait désormais, le quai grouillait d’enfants agités. Hortense y vit un destin acharné sur sa condition de professeure et sourit. Elle ne devait pas avoir bien plus qu’eux à ce moment-là. Et comme un bambin impatient, elle se précipita hors de la gare. Il lui fallu bien deux heures pour rejoindre sa petite maison. Sur le chemin, elle chassa toutes sortes de pensées et se concentra sur les odeurs. Fleurs, voitures, pluie, elle les répertoria en fonction de leurs origines et réapprit doucement à reconnaître les marques de chez elle. Elle salua chaque tournant et se félicita de sa mémoire. En dehors des quelques doutes, elle savait parfaitement quel chemin suivre et ne se trompa pas. Quand elle apperçut au loin une petite maisonnée au toit d’ardoise, Hortense pressa le pas.
Elle passa les deux semaines au village, à lire des romans ou se promener. Elle organisa un petit dîner avec ses voisins et découvrit ainsi les joies de la reconnaissance. Les quelques élus, d’abord surpris par l’initiative, reconnurent vite le caractère changeant et imprévisible d’Hortense et cessèrent de se montrer distants. Ils acceptèrent de l’accompagner au cimetière et passèrent une journée entière à laver la tombe familiale. Hortense en profita pour raconter sa vie parisienne. Elle expliqua comment fonctionnait le métro, les grèves, les forces de l’ordre dans les rues, et il fallu presque lui demander de se taire. Quand Hortense ne bavardait pas, elle réclamait qu’on lui raconte tel ou tel évènement, et les habitants durent tour à tour répéter l’Histoire du village. Non sans plaisir, ils virent la petite maison briller le soir, à travers la fenêtre. Hortense y triait des documents ou rangeait la bibliothèque. Si elle refusait de rentrer dans la chambre parentale, elle ne se fit pas prier pour celle de ses grand-parents et y dormit une nuit. Le lendemain, il fallu partir. Elle distribua des poignées de mains et les aurevoirs furent si long qu’elle failli rater son train. Devant les visages tristes, elle se retient de promettre de revenir et garda le silence. Elle réserva les larmes pour le trajet et alors qu’elle sentit monter les sanglots, elle courrut aux toilettes et y resta cachée longtemps. Hortense trouva dans ses pleurs un certain reconfort. À même pas trente ans, elle venait de comprendre que Paris n’était plus sa maison.
« Hortense y triait des documents ou rangeait la bibliothèque. »
« …elle venait de comprendre que Paris n’était plus sa maison. »
Est-ce là, la clé ? Ce constat lui fera-t-il prendre la route de l’Inde ?
C’est ce que nous saurons bientôt. Nous restons au poste ! Cette Hortense pleine de tensions internes cherche bravement à s’épanouir. Nous la suivons avec beaucoup de plaisir.