Chapitre 1
Cons comme des bites
Ce qui est bien lorsque l’on a un frère, c’est qu’on a à nos côtés quelqu’un, qui quoiqu’il arrive, partagera nos peines et nos joies. Nos rires et nos pleurs. Quelqu’un qui a défaut d’être tout le temps sur la même longueur d’onde, vivra les mêmes combats, les mêmes chamboulements familiaux et les mêmes plaisirs puérils et enfantins. Du moins j’ai la chance de partager ça avec le miens. De nos plus mémorables batailles de neiges, à nos bastons les plus virulentes, lorsqu’il gagnait au jeux vidéo. De la naissance de nos futurs enfants, jusqu’à l’enterrement de nos parents. On partage tout. Jalousie, rêves, colère, fierté, amour… famille. C’est un condensé de souvenirs et d’émotions fractionnées qui à jamais, resteront immuables. C’est ça avoir un frère. Pour nous, c’est à l’adolescence que les choses commencèrent à changer. On a comme qui dirait, commencé à développer un certain goût pour le désordre et l’adrénaline. Une passion commune qui nous a mené à rencontrer un certain nombre de problèmes. Une adolescence rythmée par le bruit des motos cross, des bombes de tags ou encore du verre brisé d’un cocktail molotov… C’est avec deux amis à moi, frères également, mais jumeaux, qu’on a commencé à trainer. Eux, c’était Yann et Axel. Axel était dans ma classe depuis la seconde. Rital gominé passionné de l’Italie, on est devenu pote dès qu’il a su que ma mère était italienne. On ne s’est plus jamais lâché dès lors. On était des frate. J’ai ensuite rencontré son frère, Yann. Sa copie conforme. On avait tous les trois 19 ans à lorsqu’on a commencé à vadrouiller ensemble. Mon frère, Jeremy, en avait 15. Depuis tout petit il trainait avec mes potes, faute de jeunes de son âge dans le village où l’on vivait. Puis, faut dire que mes parents ne voulaient pas que je le laisse tout seul non plus. Donc, il nous collait aux basques en permanence. Ce qui a fait de lui, en grandissant, l’exact opposé d’une baltringue. Un mec moins gamin que les enfants de son âge. Un garçon devenu trop tôt ado. Pourtant, on était Axel, Yann, moi et mon frère, plus immature les uns que les autres. On zonait, on faisait les cons. Jusqu’au jour où, avec les jumeaux, on a eu le permis. Ce qui eut pour effet d’étendre notre périmètre d’action. Je me souviens que rarement dans ma vie, je ne m’étais sentis aussi libre que lors de nos virées. Une caisse, aucune contrainte. C’était la règle. On dormait un soir chaque mois, à tour de rôle tantôt chez eux, tantôt chez nous. L’occasion parfaite pour se retrouver et accomplir nos méfaits. Un soir, c’était saccage de bagnoles isolées en pleine campagne, à grand coups de batte de base-ball. Un autre, jet d’œufs en plein pare-brise de voiture roulant dans la file inverse à la nôtre. Parfois, c’était se rendre sur les rails du TGV, et jeter un cocktail molotov sur les voix, cinq secondes avant le passage d’un train. Puis, s’exalter de le voir traverser les flammes à toute vitesse. Telle une infernale locomotive, sortant tout droit de l’enfer. Ça se finissait toujours pareil : S’enfuir vite. Très vite. Avant que les conséquences de nos actes ne nous rattrapent. Heureusement qu’on était rapide. Les problèmes n’ont jamais croisé notre route. Enfin, presque jamais…
Y’a bien un soir. Un soir où ça a merdé. C’est ce soir-là, que je vais détailler dans ce récit.
On avait mangé comme des Porcs. Un bon Macdo bien gras. Les fast food et la mal bouffe, s’en était presque devenu un rituel pour nous. C’était d’ailleurs assez drôle de constater que chacun avait sa façon de le consommer. Axel, lui, dézinguait son Big Mac tranche par tranche. D’abord le pain, puis la couche de légumes, puis le steak, puis le pain… et ainsi de suite. Jusqu’au deuxième Big Mac. J’ai jamais compris où était le plaisir à manger un hamburger comme ça. Peut-être que pour lui, plus c’était long, plus c’était bon. Yann, lui, il incorporait ses frites au sandwich. Entre le steak et le pain. On ne peut pas faire plus fast. Repas express engloutie en 3 énormes bouchées. Y’a pas à dire, bien qu’ils soient jumeaux, et quasiment totalement identique physiquement, ces deux-là étaient très différents dans leurs comportements. Y’a toujours un jumeau qu’à le dessus sur l’autre. Un leader. Pour eux, c’était Yann. Axel avait un côté plus introverti. C’est surement pour ça que c’était lui mon meilleur ami. Je n’ai jamais été trop fan des mecs qui se la jouent dominant et grande gueule. Encore moins de ceux qui se la racontent. Ce n’était pas le cas de Yann, mais bon. Je me sentais plus à l’aise avec Axel. Bref. Moi, que ce soit Macdo, Burger King ou Kebab, l’ordre reste toujours le même : D’abord les frites (tant qu’elles sont chaudes et avant qu’elles ne ramollissent) puis, le sandwich. Jérém, mon frère lui, c’était l’inverse. Après un Macdo, en général, on se grillait un pétard avec mon frangin. « Le digespliff » qu’on appelait ça. Mais les jumeaux ne fumaient pas. Du coup, nous non plus. On voulait rester en phase. Préserver l’osmose du groupe, sans le diviser. Puis en général, pour le genre de missions qu’on se donnait (on appelait nos virées, les missions…) valait mieux rester pleinement lucide. Les jumeaux, c’était deux Golgoth. Bien massif, peu sculpté, mais vraiment baraqués. Yann, un poil plus qu’Axel. Moi et mon frère on avait une allure athlétique, loin d’être frêle, mais loin de paraitre aussi monstrueux. Quoique pour seulement 15 ans, mon frérot était déjà bien grand. Bref, on était quatre jeunes hommes, en parfaite santé et en pleine possession de leurs moyens. Qui plus est, avec le ventre plein. L’heure était venue de se lancer un défi.
Ce soir-là, on savait parfaitement ce qu’on allait faire, nous évitant ainsi la fameuse discussion : le débat du programme de la soirée. Ça tournait généralement autour du feu, des pétards, des bombes de peinture ou des œufs. Y’avait aussi les bombes d’acide (acide chloridrique, aluminium, le tout dans une bouteille en plastique, du plus rigide qui soit, puis attendre la réaction chimique jusqu’à ce que la bouteille gonfle et explose extrêmement bruyamment). Disons que ça remplaçait les pétards quand on n’en avait pas. Mais tout ça, pour nous, ce n’était que des outils. Après le choix de notre instrument, venait généralement celui de la cible : Une ex ? Un vieil ennemi ? La société (donc, un mec lambda, qui mangerait notre méfait de plein fouet et de façon totalement fortuite) ? Non. Ce soir, c’était bien différent.
A cinq minutes de là où on habitait, se trouvait une vieille usine de métallurgie. Elle avait bien 130 ans et était désaffectée depuis les années 60 ; soit 50 bonnes années. Des usines comme on en voyait souvent dans les campagnes françaises. 50 ans de squat, de teufs en tous genres et de conneries innommables. Voilà ce qu’étaient devenus ces usines. Mais celle-ci avait vu sa seconde vie festive s’arrêter, lorsqu’il y’a 12 ans, une fille y perdu la vie. On ne retrouva que sa main gauche, encore baguée. Une histoire à faire froid dans le dos. Une histoire dont tous ceux qui vivaient là, savaient qu’elle était vraie. Les rumeurs racontaient que cette usine était hantée. Et c’était exactement ce qu’il nous fallait ce soir-là. Un défi de plus. Et pas des moindres. Un défi capable de nous faire sentir vivant, capable de nous retourner. On en parlait depuis des semaines. On avait donc eu le temps de se préparer en conséquence.
Feux de bengale, lampes torches, couteaux (au cas où…) et même le flingue que Yann avait dégoté quelques semaines plus tôt. Je n’y connais rien en flingue, donc aucune idée du modèle que c’était, mais pour l’avoir essayé sur une vieille épave et sur des panneaux, je savais qu’il fonctionnait très bien. On était bien équipé.