Chapitre 3
-1
Une couche de crasse et de poussière recouvrait les marches. L’odeur de pisse commençait à s’atténuer, pour laisser la place à une autre. Plus humide. Plus vicieuse. Un goût de champignon et de moisissure imprimait l’air. C’était si persistant qu’on avait presque l’impression de savourer cette drôle de poêlée.
« JE SAIS PAS TROP LES GARS » cette phrase retentit si fort, tant la pression était pesante, qu’on aurait dit qu’Axel venait d’hurler. Pourtant, il chuchotait presque. Je me stoppe et il me rentre dedans. En me retournant je lui éclaire la tronche et vois qu’il semble inquiet. Il a toujours été le plus sensible de la bande. Yann le rassure d’un ton presque ironique, puis on continu. Jerem craque un autre feu de bengale. Celui de l’étage supérieur vient de s’éteindre, puis de toute façon on ne voyait presque plus sa lumière à ce niveau. Cette pièce, plus petite que la précédente, car cloisonnée, paraissait étouffante. Non. Elle l’était. On manquait d’air ici. Y’avait effectivement de la moisissure au coin des murs. Sous nos pieds, du verre brisé craquait à chaque pas ; et quand on n’entendait pas ce bruit de verre, c’était notre propre cœur que l’on entendait battre. Ou du moins, on en avait l’impression. BOOM BOOM. BOOM BOOM. BOOM BOOM. Je reconnais qu’à ce moment-là, moi aussi j’ai pensé : Je sais pas trop les gars. Cependant, il était hors de question de montrer le moindre signe de faiblesse. On était là pour se sentir vivant ; et quoi de mieux pour ça, que d’entendre le tambour de son palpitant ?
Le problème de cette pièce par rapport à l’autre, c’est qu’on n’avait aucune vu d’ensemble. C’était oppressant. On ne savait tout bonnement pas ce qui nous attendait derrière ces murs. Au fond de la salle, face à nous, y’avait une porte. En métal rouge. Ou rouillée. Je ne saurais le dire. A demi ouverte, elle donne, fatalement, sur une autre pièce. Surement du même genre. Tout le long, y’avait des étagères avec des merdes sans noms dessus. C’était en vrac. Y’avait surement rien à tirer de ce bordel. Puis, on n’avait pas vraiment envie d’y foutre les mains pour fouiller ce merdier et se dégueulasser les paluches. A pas de loup, on se dirige vers la porte. C’est Yann qui mène la danse. Je lui colle au train, suivit d’Axel, lui-même suivit par mon frère. On n’est plus un bloc. Plutôt une file. Dit comme ça, une file ça parait tout de suite plus fragile qu’un bloc. A l’image de notre courage, qui semble s’effriter davantage à chaque pas que l’on fait. Yann tire la porte. Elle n’est pas rouge, mais bien oxydée. Elle grince et semble lourde. Il éclaire l’intérieure de la pièce suivante. Une salle avec pleins de casiers cette fois. Une sorte de vestiaire. Yann et moi on ouvre par curiosité deux ou trois casiers. Dans les miens, y’a rien dedans. A part une paire de pompes de sécu toute moisie et poussiéreuse. Pas étonnant, les fêtards qui trainaient là autrefois ont déjà dû ramasser tous les trucs intéressants. Yann se marre.
« Putains les gars, regardez ça ! » Il sort d’un casier, du bout des doigts, une espèce de magazine. En l’éclairant avec sa lampes torche, on voit qu’il s’agit d’une revue porno. En continuant de rire, il lâche « Putain, c’est qu’elles ont la chatte bien poilue en plus ! Je sais pas vous les gars, mais moi, ça m’excite ! » Chose à quoi je réponds « Putain t’es con. Arrête tes conneries. »
N’empêche, ce con veut pas lâcher son catalogue. « Souvenir » qu’il dit. Il le fout dans mon sac à dos. Y’a déjà son flingue et toutes les autres merdes dedans. Commence à être lourd ce sac.
Trêve de plaisanterie, on reprend notre exploration. Dans cette pièce, après les casiers, y’avait deux portes. Une sur le mur de gauche, et une sur le mur de droite. « Je vais voir celle de gauche » dit mon frère. « J’te suis » dit Axel. Restait celle de droite. J’y vais avec Yann. On ouvre la porte, qui cette fois-ci, était complétement fermée. Des douches. Sans cloisons, en mode open-space. J’ai pensé : salut les collègues, voici mon chibre ! Sympa l’ambiance au boulot à l’époque. L’endroit rêvé pour négocier une augmentation salariale auprès de son supérieur. Suffisait de ramasser la savonnette au bon moment. On ne fait par meilleur argumentaire. Sérieusement, niveau intimité salariale, on ne faisait pas pire. Yann tourne un robinet. Sans résultat. Pas étonnant, ça doit faire une paye qu’ils ont coupé l’eau. Y’a rien à voir ici. On part de l’autre côté rejoindre Axel et mon frère. Leur porte donne sur un couloir jonché d’autres portes. On s’y engouffre. Première porte à droite : des chiottes. Dégueulasse et en partie cassés. Inintéressant. En face, première porte à gauche : un bureau. Déjà plus intéressant. Des ranges documents, un lampadaire, des plannings en format A3 collés aux murs, deux sièges face à un grand fauteuil… Et au centre de la pièce, le bureau. Ça avait tout l’air d’être celui du responsable des lieux. Dessus, une tasse à café à moitié remplie de poussière, ère entre une vieille machine à écrire délabrée et un téléphone à cadran tout aussi rincé. Juste à côté, y’a un porte document en aluminium. Dedans, des plans, des listes d’on ne sait quoi… bref, pas grand-chose. Sur le bureau, y’a aussi un vieux journal. Ça c’est cool. Un morceau d’actualité Française passée. Janvier 1962. Le gros titre : Attentat O.A.S. contre le parti communiste à Paris. Jamais entendu parler de ça. Y’a d’autres articles, mais pas le temps de faire une pause lecture. Cette fois-ci, c’est moi qui embarque un petit souvenir. Je mets le journal dans le sac. Je remarque un cadre derrière la machine à écrire. Une photo de famille. Je retire la poussière qui la recouvre du revers de la main. Un petit malin s’était amusé à dessiner une moustache d’Hitler au marqueur sur chaque membre de la petite famille. Ça m’arrache un sourire. C’était puéril, mais efficace comme blague. Y’avait plus rien à voir ici. On se casse. On se retrouve de nouveau dans le couloir. Le silence est d’or. Personne ne parle. On n’entend que nos respirations et le bruit de nos pas. Je me tourne vers mon frère, voir si tout va bien. Je l’éclaire. Il a l’air relax. Curieux. Comme à son habitude. Ici, c’était surement lui le plus détendu. Il me fait un clin d’œil, mais putain dans son dos j’ai l’impression de voir une masse bouger. « MERDE ! » là, c’est moi qui gueule. Dans ce couloir, ça resonne pas. Aucun écho comme y’en avait en haut. Juste un cri sourd et étouffé. Je sursaute. Mon cœur ne fait qu’un bon. Un frisson me traverse de long en large. « Quoi ?! » qu’ils gueulent à l’unisson. J’ai bien l’impression que j’ai fait flipper les autres. « Y’avait comme une ombre ! Mais s’en était pas une ! J’ai cru voir un truc contre le mur au niveau de la porte ! derrière Jerem !! Je…Je sais pas… » Jerem y pointe sa lampes torche, mais rien. Evidemment, le truc, si tant est qu’il y en ait eu un, s’est barré. Axel n’est vraiment pas rassuré. Il est à deux doigts de dire « Allez les gars, venez on se tire d’ici. » Mais il se tait. On respire. Difficilement. Puis, on se reprend. On progresse donc, de nouveau, dans ce corridor sombre, humide et étroit. Je tremble encore. On arrive à la deuxième porte à droite. D’autres chiottes. Pour femmes cette fois-ci. Sans intérêt. On passe à celle d’en face. Deuxième porte à gauche. La dernière. Une pièce plus vaste se trouve derrière. Surement un lieu de stockage. Des barres de fer par terre, des charriots… Et tout au fond, un énorme ascenseur technique. Fait pour transporter d’importantes charges. Ça confirme la théorie de la pièce de stockage. On ne l’avait pas remarqué tout à l’heure, mais cet ascenseur mène forcément au rez-de-chaussée. Bref. La grille de l’ascenseur semble condamnée, puis il n’est pas à ce niveau, donc aucun intérêt. Mais y’a un escalier de l’autre côté de la pièce. Droit et qui descend. Selon ma logique, l’étage où nous nous trouvons est une sorte d’étage technique. Vestiaire, douches, bureau, stockage. Celui du dessus devait servir d’accueil, de secrétariat et de départ des produits par camion, d’où l’intérêt du grand espace. Donc logiquement, l’étage d’en dessous de celui où nous nous trouvons, n’est autre que l’atelier de production. On sera vite fixé. Personne ne dit rien, mais on va vers l’escalier. On descend.