Ouvre-moi ton cœur et j’y bâtirai l’enfer.

Enfin vous revoilà.

Je pensais que vous m’aviez oublié.

Êtes-vous calmé à présent ? Vous m’avez traité de monstre. Cela ne s’oublie pas. Je n’oublie jamais ce qu’on me dit.

C’est tout de même vous, qui m’avez tiré de chez moi, à l’aube, pour me traîner ici.

Vous ne m’avez même pas laissé nourrir cette pauvre Mina. J’espère qu’elle va bien. Je le souhaite aussi pour vous.

Mais, passons outre. Où en étions-nous ?

Ha, oui. Vous me pensez coupable de choses terribles. De qui voulez-vous parler maintenant ?

…

Laissez-moi réfléchir.

Oui… Anita.

Une brave femme pourtant. La première fois qu’elle a appelé, elle m’a juste dit qu’elle se sentait seule. Ils sont nombreux dans son cas.

Vous savez inspecteur… Pardon… Officier. Je me demande pourquoi on vous refuse cette promotion. Celui qui nous observe de l’autre côté du miroir est-il vraiment plus méritant que vous ?

Oui, je sais. Je digresse. Votre crédibilité se joue dans cette pièce. Vous êtes pressés. Nous le sommes tous. Vous, pour votre dossier, moi, pour Mina.

Anita donc…

J’allais dire que vous et moi nous ressemblions.

Ne prenez pas cet air dégouté, je vous prie.

Vous souhaitez protéger la population  des monstres… “comme moi”, dites vous… Cette bassesse ne vous honore pas.

Moi, j’aide aussi mon prochain. J’écoute les tourments de leurs cœurs quand les autres y restent sourds.

Anita est une femme trahie. Humiliée par un homme qui avait promis d’être à ses côtés dans toutes les difficultés. Les vœux du mariage n’ont donc aucune valeur ? Il n’aurait jamais accepté le divorce. 

Je l’ai écoutée. Son mal-être était palpable. Je pense que j’ai réussi à lui redonner l’espoir et le sourire.

…

Bien sûr que non. En temps normal, nous restons anonymes. Mais, je confesse que, de temps à autres, il m’arrive de donner mon numéro personnel.

N’aideriez-vous pas au-delà du raisonnable ?

Ces gens sont perdus. Et je ne fais pas confiance à mes collègues. Certains sont très bons. Mais d’autres… Il ne faudrait pas que ces âmes tourmentées tombent sur la mauvaise personne, n’est-ce pas ?

Les mots sont une nourriture pour l’âme. Il faut les choisir avec soin.

Qui sait ce qu’il pourrait se passer, sinon…

Vous m’apprenez donc que cette brave femme a poignardé son mari à mort.

Trente deux fois, oui.

Vous saviez que c’est la durée  de leur mariage ? 

Jusqu’à ce que la mort nous sépare, n’est-ce pas ?

Tiens donc… Vous dites qu’elle répétait cette phrase en boucle en souriant ? Je ne suis pas sûr que ayez le droit de me donner ce genre de détail, mais merci.

Vous voyez, je vous ai dit qu’elle avait retrouvé le sourire.

C’est déplacé ? Peut-être, je ne connaissais cet homme qu’à travers les mots de son épouse. Difficile d’être compatissant. Ne seriez-vous pas soulagé si une voiture me renversait en sortant d’ici ?

Peut-être même seriez-vous au volant…

Macabre plaisanterie, pardonnez-moi.

Mais me soupçonnez-vous d’avoir tué cet homme ?

Non, bien sûr, vous n’êtes pas idiot. Vous me soupçonnez de bien pire. Vous pensez que je l’ai influencée. Vous pensez que ma voix s’est frayée un chemin pour se muer en main spectrale guidant la sienne…

La sienne, et bien d’autres, oui.

Je vois que vous avez beaucoup de dossier. Et je suis sûr que j’ai parlé à chacune des personnes coincées dans ces pages. Vous êtes un bon officier. Vous ne devez pas avoir compté votre temps pour enquêter.

J’espère ne pas avoir empiété sur votre vie personnelle… Pardon. Je suis peut-être trop intrusif.

C’est plus fort que moi, je m’intéresse aux gens.

Mais si vous n’avez rien d’autre, je pense pouvoir y aller. Vous ne pouvez pas me reprocher d’avoir écouté ces gens. Ils m’appellent, je réponds. 

Me pensez-vous assez talentueux pour convaincre des personnes qui ne connaissent même pas mon visage de prendre des vies aussi facilement ?

Je ne suis qu’une voix au bout du fil… Ces gens s’ouvrent à moi, m’invite dans leur intimité. Je les aide de mon mieux.

Vous souhaitez tout de même parler de ce jeune homme ? Soit, mais vite, Mina doit m’attendre.

Mickael est un gentil garçon. 

Sa vie n’a pas été simple. Sa mère est morte en lui donnant naissance. Son père, a fini par se remarier. Mais la vie s’acharne. Une fatigue passagère, un arrêt non marqué… l’accident…

Sans autre famille biologique, Mickael reste avec sa belle-mère. Le temps faisant, elle retrouve un mari. Et un enfant né.

Voila Mickael devenu un etranger dans son propre foyer, sous son propre toit. Lui qui n’a de lien génétique avec aucune de ces personnes.

N’ont-ils pas su créer un lien affectif suffisamment fort pour surpasser celui du sang ?

Lors de nos derniers contacts, ce sont les disputent qui l’angoissaient le plus. Malgré ses craintes, celle de tout perdre encore une fois était la plus forte…

J’ai longuement écouté Mickael me parler de ses tourments. Des nuits entières parfois. Nous avons discuté.

Je lui ai conseillé de devenir le cœur de ce foyer, d’entretenir la flamme pour le maintenir chaleureux.

Et vous dites qu’il a incendié sa demeure pendant que sa “famille” dormait  ?

Quelle tristesse…

Mais encore une fois, en quoi serais-je responsable de ses actes ?

…

Bien, je pense que nous pouvons en rester là ? Vous savez où me trouver si vous avez d’autres question, je ne compte pas partir.

Mais prenez du temps pour vous. Vous êtes marié, n’est-ce pas ? Je n’aimerai pas avoir à parler à votre femme si la solitude l’étreint…

Je vais prendre congé, si vous le voulez bien…. “pour l’instant”, oui. Je n’en doute pas.

Ne soyez pas aigri, je vous prie. Nous faisons tous de notre mieux. Appelez-moi à l’occasion, nous pourrons discuter.

Bien, au revoir officier. Ce fut un plaisir. Mais Mina doit vraiment s’impatienter.

…

…

…

Mina ? Désolé de vous avoir fait attendre.

Je vous écoute.