Comme tous les matins, le commissaire Lavisse va à pied au commissariat. La soixantaine alerte, taille moyenne, son éternel cigarillo au bec, allumé dehors, éteint au commissariat. Et l’air grognon. L’air grognon aussi éternel que son cigarillo, personne ne l’a jamais vu rire, un sourire parfois mais c’est rare. Le brigadier de permanence l’avait informé de la voiture tombée dans le canal et il avait chargé son adjoint de s’en occuper.
L’inspecteur Teurgoule, son nouvel adjoint depuis six mois. Le courant n’était pas passé entre eux et ne passe toujours pas. Jeune flic sorti de l’école, rouleur de mécanique, c’est sa première affectation et il se prend pour Sherlock Holmes. A part les vols de mobylettes et les querelles de voisinage, rien d’exceptionnel. Et pour une fois qu’il se passe quelque chose hors du commun dans cette petite ville de province, Lavisse a refilé l’affaire à son adjoint, la formation sur le tas c’est primordial dans ce métier. Et pour être franc, à six mois de la retraite, il a décidé de se mettre en roue libre.
__ “Alors Teurgoule, cette voiture dans le canal, on en est où ?”
__ ” C’est à dire que nous sommes au tout début de l’enquête et que les différents indices et constatations relevés sur le site ne permettent pas d’envisager une quelconque hypothèse favorable à une conclusion rapide.”
Et voila, il est reparti à parler comme un dictionnaire, un bel emballage sur du vide, un habillage pour dire qu’il est perdu.
__ “Les faits Teurgoule, du concret !”
__ “Aujourd’hui, lundi quinze avril, à cinq heures quarante, un appel anonyme est parvenu au standard nous informant d’une voiture tombée dans le canal près du café éponyme.”
__ ” Café éponyme” pense le commissaire, “continue à jouer à maître Capello et je te mets à l’amende d’une tournée de café-cognac.”
__ “Des moyens adéquats ont été immédiatement mis en oeuvre pour extraire le véhicule du canal et le point positif est que nous avons pu identifier la victime noyée à l’intérieur couchée sur la banquette arrière.”
__ ” Qui est-ce ?”
__ “Robert Lavigne”
__ ” Sûr ?”
__ “Oui patron, on a retrouvé ses papiers dans ses poches mais on a quand même envoyé ses empreintes au labo. Vous le connaissez ?”
__ ” Oui, c’est de l’histoire ancienne. Et le bornage du téléphone ?”
__ ” C’est en cours. Pour la voiture il y a un détail insolite et même pittoresque, c’est une 404.”
__ “Quoi ?”
__ ” Oui, une 404 Peugeot. On recherche le propriétaire, c’est peut-être une voiture volée. De plus pendant les opérations de treuillage, nous avons interpellé un individu au nom de René Lebrun.”
__ “Tiens, Lebrun, ça faisait longtemps.”
__ ” Vous le connaissez ?”
__ “Tout le monde le connait au commissariat, un ivrogne, braillard mais totalement inoffensif”.
__ “Oui c’est ça, il est actuellement en cellule de dégrisement.”
__ “Conclusion Teurgoule ?”
__ “Hé bien, c’est à dire, vu l’état actuel des investigations…”
__ “Ouais, ça va, tu es dans le flou et moi aussi, mais ce qui me tracasse c’est le retour de Lavigne, même mort.”
__ ” Vous pouvez me parler de …”
Toc, toc toc
__” Entrez !”
__ ” Bonjour monsieur le commissaire, c’est le rapport du médecin légiste, du labo et du garage.”
__ ” Merci, ça se passe bien en bas ?”
__ ” Oui, tout va bien, j’y retourne.”
__ ” Bon, on commence par la voiture : constructeur : Peugeot, modèle : 404, couleur blanche. Il s’agit d’une voiture modifiée, les numéros châssis et moteur ne correspondent pas. Le châssis est de 1961 et le moteur à injection date de 1968. La plaque minéralogique est fausse, elle correspond à une Citroën Xantia appartenant à monsieur Gérard Lafalaise. Bon, une voiture bricolée sans immatriculation.
Que dit le toubib : examen du corps : cyanose marquée par submersion- asphyxie et présence d’eau dans les poumons. Le corps à séjourné au moins 12 heures dans l’eau. De plus présence d’une plaie récente sans fracture au dessus de la tête provoquée par un objet contondant. Présence dans le cuir chevelu au niveau de la plaie de terre cuite et de sable pouvant provenir d’une brique. La présence d’une grande quantité d’eau dans les poumons indique que la victime était consciente au moment de la noyade et que le coup porté à la tête ne peut être la cause du décès. Remarque : une cicatrice de 12 centimètres à la jambe droite. Bon, un noyé, on le savait déjà.
Bon, les empreintes : les empreintes présentées à l’analyse ce jour ne correspondent à aucune empreinte enregistrée dans notre base de données du fichier national des empreintes digitales. »
__ « Quoi ? C’est quoi ce mic mac ? Passe-moi la photo du noyé.»
__ « Voila patron. C’est bien Robert Lavigne ? »
__ « Oui, c’est lui, malgré son séjour dans l’eau il est reconnaissable ».
__ « C’est peut être son jumeau ? »
__ « Non il était fils unique.
En résumé, on a un coup de fil anonyme, une voiture bricolée avec des fausses plaques et le pire un noyé anonyme avec des papiers d’identité. File tout de suite à l’identification et dis leur que je veux savoir le plus vite possible à qui appartiennent ces empreintes. Dis au garage de décortiquer la 404 et tu recherches son propriétaire et après tu files au canal pour une enquête de voisinage. Pendant ce temps là je vais informer le divisionnaire et après j’irai voir ce monsieur Lafalaise. »
A suivre…