Fragment 5 – Attention !! 612 mots
Ce matin-là, la Maison bleue fourmillait d’activités. Angel.Eanor marchait le cœur chamboulé en direction des quartiers du Président des Archipels-unis. Il était urgent de distribuer les documents sur la table ovale avant la réunion du matin. Le président Trompe allait présenter son cabinet remanié aux crieurs des News.
Vêtue d’un tailleur réglementaire et d’une jupe étroite qui lui moulait la taille, la Caporale avançait à pas serrés, juchée en talons de huit. Le poste de contrôle du périmètre intérieur ne la laissa pas passer sans les sifflets habituels, surtout lorsqu’elle déposa la pile de dossier tenue contre sa poitrine. Elle dû en imposer pour reprendre son badge aux mains d’un planton un peu trop fanfaron. Le tout se termina dans une explosion de rires flicards, toujours aussi benêts. Routine habituelle.
Le périmètre sécurisé de l’Aile Est de la Maison bleue était encombré de dignitaires et de membres du personnel autorisé. Les crieurs allaient bientôt être admis. La Caporale s’immobilisa pour saluer des officiers de haut rang, dont quelques-uns lui rendirent son salut, ce qui était exceptionnel vu la différence de grade. Le visage d’Angel ne laissait personne indifférent, à cause sans doute de ces yeux d’une profondeur liquide et de cette douce mélancolie qui habitait ses traits. Ce cocktail explosif attirait les hommes et rendait les femmes folles de jalousie. À ses propres yeux cependant, la fantassin de pont ne se voyait qu’à peine plus séduisante qu’un cafard. Avoir été la fille de Galaté avait laissé des traces de canif sur le cœur.
Au détour d’une coursive, l’agent de détection cérébrale lui décocha un regard ciblé. Angel frissonna en se rappelant pour la centième fois la règle d’or: Tout psyché pris en délit de sonde mentale était amené sans délai en cage iso-électrique. Les romans d’aventure pour inter-cérébraux abondaient de ce genre de scènes d’horreur. La rumeur voulait que ceux qui avaient le malheur d’y être interrogés hantaient les tavernes jusqu’à leur mort.
La Caporale pensa qu’elle devait avoir transpiré de quelques gouttelettes psychiques. Elle se resserra l’esprit et se fondit à contre-courant dans un cortège de dignitaires. L’un après l’autre, les nouveaux Secrétaires défilèrent en jouant du coude. La rencontre du Conseiller aux moyens internes et à la liaison extérieure, nulle autre que le Padre Festus.In.Tempus lui glaça le sang. « Celui-là est à surveiller plus que le Président, » s’était-elle dite, écœurée de se faire ramasser les fesses par cet ignoble chapelet de jointures.
Angel ne put s’empêcher de se rappeler que sa Mentor, le docteur Eurythma.Liebed s’était opposée à cette mission qu’elle appelait “une improvisation dangereuse” précisément à cause de certaines faiblesses, celles-là normales chez une psychée surdouée, mais au contrôle de soi encore incomplet.
C’était sans compter la désapprobation de son éminence à mon sujet. J’appris plus tard qu’elle me considérait comme un foreur de fosses marines perturbé, un officier issu d’une lignée douteuse, celle des Lettrés de l’archipel de l’Adage, éduqué incomplètement et de talent psychique moyen. L’éminente chercheuse de l’Université Philum.Laudae croyait que rien ne valait une bonne déception amoureuse pour s’endurcir. Ses coups de sondes eurent cependant l’heur de lui saper le moral : la fusion psycho-corporelle entre ma personne et celle de la Caporale .Eanor progressait sans fléchir.
La môme prépara la salle en disposant les éclisses aux noms des dignitaires. Elle rafraîchit l’aspect de quelques fleurs sans oublier d’en savourer le parfum et rectifia les tentures. Le leader des Archipels-Unis entra dans la pièce comme une ombre en complet noir. « Oh ! Monsieur le président… » Angel replaça sa jupe, à jamais incapable de cacher son trouble. Tous savent que Trompe adorait ce genre de réaction. « Mon p’tit miel, toujours la première au boulot. »
Angel leva les yeux. Elle allait jouer son va-tout et surtout, elle allait le regretter.