Si tu te réveilles mal, rendors toi ! Car qui dit réveil pourri dit forcement journée pourrie.
Cent mille tambours s’en donnent à cœur joie dans ma tête. C’est la fête au village et mon pauvre cerveau sert de percussion au ménestrel de service qui, par mon plus grand malheur, est devenu mon bourreau. Je ne sais pas ce que j’ai fait hier pour être torturé comme ça, mais ça ne devait pas être joli, joli. Je n’ai jamais été aussi mal de toute ma courte vie. C’est la pire cuite qu’il m’ait été donné de subir. Je jure que plus jamais je ne boirais comme ça.
J’ai du mal à ouvrir les yeux. Je ne sais même pas si avec l’aide de deux cure-dents, ils resteraient ouverts. Je vais les laisser fermés. C’est mieux comme ça.
Je ne me sens pas bien du tout. Mon ventre me fait un mal de chien. J’ai l’impression d’être transpercée par un tisonnier incandescent. Mes boyaux me brûlent et la douleur pulse au rythme des battements de mon cœur. Je ne sais pas si je vais mourir ou vomir. Les deux peut-être.
Plus jamais de ma vie la moindre goutte d’alcool ne franchira mes lèvres. Fini les liqueurs et autres délices distillés, finis les tournées des tavernes et autres fêtes bien arrosées, fini les célébrations qui finissent la bouche ouverte sous le robinet percé dans le fût du plus fin des élixirs ambrés, frais et mousseux, fini les soirées entre amis à jouer à des jeux où lever le coude est le gage du perdant et surtout fini les lendemains quand le réveille nous donne l’impression de revenir d’entre le mort avec parfois un inconnu à nos côtés. Pitié faite qu’il n’y a pas un inconnu à côté de moi. J’en implore tous les dieux, n’importe lequel pas de mâle non identifié dans mon lit. Je promets qui si je suis seul à partir de maintenant, je festoierai à l’eau.
Réfléchir me fait mal, me réveiller me fait mal, bouger me fait mal, ouvrir les yeux me fait mal, respirer me fait mal, mourir me fait mal.
Je vais vomir. J’ai vraiment besoin de vomir. J’essaie de bouger pour me mettre sur le côté et ne pas m’étouffer dans mes remontées gastriques, mais ma douleur abdominale me fait comprendre à quel point passer à l’acte serait une très mauvaise idée. Respire Alyana, respire.
Un grognement sort, malgré moi du plus profond de mon être. J’ai la gorge en feu comme si mes cordes vocales n’avaient pas été utilisées depuis une éternité.
Une caresse douce et légère frôle mon visage, ça me fait du bien. Cette caresse est magique, car elle m’apaise facilement. Elle me ramène dans mon enfance directement dans les bras de ma mère, quand elle me consolait après m’être fait un gros bobo. Vous vous souvenez, de ce bobo terrible qui vous laissait prédire que vous alliez vous vider de votre sang et perdre la partie de votre corps concerné ? Nous l’avons tous vécu, et nous en sommes tous encore traumatisés. Il n’y avait que le bisou magique qui pouvait le guérir. Le fameux bisou magique que seuls les adultes avaient en possession. Il ne me manque plus que la berceuse de mon enfance et son super pouvoir pour m’endormir quand j’étais malade.
“Mon bébé, mon doux bébé ne pleure pas.
Ne t’inquiète pas, je suis là près de toi.
Je veille sur toi.
Mon bébé, mon doux bébé, tu es mon amour, tu es ma vie.
Tu es mon jour et tu es ma nuit,
je t’aime à la folie.
Mon bébé, mon doux bébé ne pleure pas ne t’inquiète pas.
Maman et papa sont là nous te tenons dans le giron de nos bras”
Voilà, c’est exactement celle-là. Simple, rapide et efficace. Maintenant, je peux trépasser en paix.
-Tu crois qu’elle se réveille pour de vrai ou c’est une fausse alerte?
-Les guérisseurs nous ont dit qu’elle devrait se réveiller d’un instant à l’autre. Le sort de guérison qu’ils lui ont jeté devait la laisser inconsciente pendant une semaine. Le temps que tous les dommages physiques qu’elle a subis se cicatrisent correctement.
Ce sont les voix de mes parents que j’entends. Je ne comprends pas du tout ce qu’ils racontent. Mais ce qui me rassure, c’est qu’ils ne parlent pas d’une présence parasite à mes côtés. Merci au dieu qui a répondu à ma prière. Je suis seule dans mon lit et heureusement. La dernière fois que j’ai été surprise avec un homme dans ma chambre… Non, je ne veux plus penser à cette période très sombre de ma vie. J’en frissonne encore de terreur. Je grogne une deuxième fois.
-C’est fou comment elle peut être gracieuse quand elle se réveille, et ce, depuis sa naissance. Cette fille est née en grognant. Tu t’en souviens ? Dès les premiers instants de sa vie, elle n’a rien fait comme les autres.
-Oui, elle est unique en son genre.
-Ah ba ça, pour être unique, elle est unique ! Plus unique qu’elle, ça n’existe pas.
Un son sourd se fait entendre tout de suite suivi par un hoquet de surprise.
-Aie ! Amour de ma vie, Lumière de mes nuits, aurais-tu l’amabilité d’arrêter de lever la main sur moi. C’est très douloureux.
-Ce n’était qu’une petite caresse dynamique, mon chéri. Ne me dis pas que le fier guerrier que j’ai épousé, serait en vérité qu’une chochotte fragile ?
Et voilà, c’est reparti pour un tour. De vrais ados ces deux-là. Tout le temps à se chamailler. Mon père adore chercher des noises à ma mère pour soi- disant pimenter leurs réconciliations. Comme s’ ils avaient besoin d’excuses pour ça. Quand leurs regards se fondent l’un dans l’autre, toute l’intensité de leur amour pourrait illuminer le plus obscure des cœurs. J’aimerais qu’un jour, un homme puisse me contempler de la même façon que mon père admire ma mère. Mais bon, je n’ai pas le même don que ma génitrice, celui de savoir choisir son mec. La déplorable histoire de mes amours en est la preuve. Je crois que je suis jalouse du bonheur conjugal de mes parents, même si pour moi il représente mon idéal.
-Trouvez-vous une chambre, mais par pitié taisez-vous, j’ai assez de musiciens déchaînés dans ma tête pour y ajouter vos escarmouches et réconciliations en plus.
Ma voix est rauque et douloureuse. Ma gorge est en feu. J’ouvre les yeux difficilement et mets un très long moment pour que ma vision s’éclaircisse. Un verre d’eau se tient juste sous mon nez.
Bénis sois mon sauveur. Je l’attrape maladroitement et tente tant bien que mal à le faire parvenir jusqu’à mes lèvres.
-Attends, ma chérie, je vais t’aider.
Ma mère pose sa main sur la mienne et m’aide à boire. L’incendie dans ma bouche se refroidit. Je réclame encore plusieurs verres d’eau pour apaiser les irritations et me remettre les idées en place. Une fois désaltérée et les idées un peu plus claires, je m’assois dans le lit. Un lit que je ne connais pas, dans une pièce que je ne connais pas. J’observe mes parents en attente de réponses. Je les vois hausser leur sourcilles devant mon mutisme, eux aussi sont en attente d’éclaircissements. Que s’est-il passé ? Tel est la question. Car pour moi, à part un vide aussi profond que la plus insondable des abysses, je n’ai aucune explication du pourquoi et du comment, je me retrouve dans ce lieu inconnu.
Mon ventre est toujours aussi douloureux et la position assise n’aide pas. Pour couronner le tout, il me démange comme si je venais de le frotter avec des orties. Je repousse les draps et remonte l’espèce d’immonde chemise de nuit que je porte. Qui encore à notre époque porte ce genre de sac à patates à fleurs ? Même ma grand-mère n’en voudrait pas. Il ne me manque plus que le bonnet et je suis prête pour l’hospice.
Une fois l’horrible chose remontée assez haut, j’ai une superbe vue sur une énorme cicatrice rougeâtre qui part du haut de mon nombril jusqu’au bas de mon sternum. Putain de bordel de merde ! C’est quoi ça ? Je regarde mes parents complètement estomaquée.
-Je peux savoir ce qui se passe ici ? Et je peux savoir pourquoi mon ventre ressemble à une dinde qu’on viendrait de farcir et recoudre ?
Mon père explose de rire. Je ferme les yeux de dépit face à l’immaturité paternel. Dire qu’il est le souverain d’un puissant royaume et qu’il commande une armée de redoutables dragons. J’entends un autre bruit sourd succédé tout de suite après par un autre hoquet.
-Aie ! C’est extrêmement douloureux. L’arrière de la tête est un point très sensible, tu le sais, Amour de ma vie ?
-Bien sûr mon chéri, pourquoi crois tu que je vise cet endroit plus qu’un autre ?
-Parce que l’autre endroit sensible, tu en as…..
Troisième bruit sourd, troisième hoquet !
Ils sont désespérants, mais c’est comme ça que je les aime. Ma mère vient s’asseoir à côté de moi tandis que mon père prend place à mes pieds.
-Tu n’as plus aucun souvenir ?
-Non, c’est le vide complet dans ma tête.
-Ce sont les effets du sort de guérison. Ils devraient se dissiper d’ici peu. Il faut que tu te concentres un peu et cela devrait revenir. Tu es restée inconsciente pendant une semaine pour laisser à ton corps le temps de se soigner. Pour nous, cela a duré plusieurs jours, mais pour toi, tout cela s’est passé hier. Fait le vide dans ta tête. Focalise-toi sur ta respiration et remémore toi la journée d’hier. Fait la défier comme si tu la vivais une deuxième fois. Commence à partir de la première action que tu as faite et dont tu te souviens.
S’il y a un bien quelque chose que je déteste le plus, c’est bien la méditation. Faire le vide dans sa tête ! Je ne sais pas qui est le crétin qui s’est imaginé une seconde que l’on pouvait mettre son cerveau en pause, mais celui-là, sa matière grise, il ne devait pas l’utiliser tous les jours. Sérieusement, chez moi au grenier, c’est le bordel complet. On ne peut même pas y mettre un pied devant l’autre. Pire que la chambre d’une bordélique et pire que ma chambre !
Quand on me demande de faire le vide en moi, je me retrouve toujours à prendre le thé avec moi-même. L’image parfaite d’un rassemblement de vieilles commères installées sur un banc au milieu de la place centrale du village.
Oui, nous sommes plusieurs, là-dedans et alors tant que c’est moi qui commande, il n’y a pas de problème, non ? Depuis toute petite, je me suis toujours retrouvée à parler toute seule à voix haute ou à moi-même. J’ai besoin de m’adresser à un cercle d’experts en quête d’attention, de conseils ou de solutions à mes problèmes.
Attention, je vous vois venir avec vos gros sabots, non, je ne suis pas folle. Je sais très bien que vous représentez de multiples facettes de ma personnalité. Des amis imaginaires d’une petite fille qui s’est retrouvée trop tôt dans un monde d’adulte, a eu besoin de créer pour ne pas se sentir trop seule. Je sais aussi que vous auriez dû disparaître avec la puberté, la mise en place de liens sociaux avec des personnes réelles et tout ce qui va avec, mais vous êtes tellement chouettes que j’ai eu envie de vous garder. On forme une belle équipe, non ? Comme le disait un grand sage, capitaine pirate de son vivant :« Les fous savent pas qu’ils sont fous. J’sais que j’suis pas fou donc j’suis pas fou, c’est fou non ?* ».
Enfin bref, ne nous attardons pas sur mon intégrité intellectuelle. Il y a une question existentielle qui attend une réponse de ma part. Quelle est la première chose que j’ai faite et dont je me souviens ? Plus facile à dire qu’à faire. Réfléchis, ma grande, réfléchis. Déjà, la première chose à faire est de tuer ces satanés troubadours de malheur qui ont fait de mon cerveau une véritable cacophonie. Oui, ils sont plusieurs, autant de bruit, ne peut venir d’un seul homme.
Pour s’ouvrir à la méditation, il faut visualiser. Alors, visualisons. J’imagine mon cerveau transformé en place de village avec en son centre, une ribambelle de korrigans** espiègles qui jouent avec une véritable fanfare. Des korrigans ? Visualisez des petits êtres hauts comme trois pommes avec une tête de vieil homme barbu et des pieds de bouc, jouant avec toutes sortes d’instruments de musique possible et inimaginable. Voilà ce que j’ai dans ma cervelle. Pourquoi des korrigans ? Parce que ces petites abominations du Petit Peuple sont de véritables garnements. Un concentré de farces et attrapes en tout genre. Leur but dans la vie, c’est de rendre les autres complètement chèvre. Chèvre, pieds de bouc, vous avez compris le rapprochement ? D’accord, j’ai compris, je sors !
Heureusement pour moi, pour les effaroucher, il suffit de les renvoyer dans leurs langues. Comment je sais cela ? Quand on est de statut royal, il y a des codes diplomatiques à connaître. Et quand on parlemente avec le Petit Peuple, il y a beaucoup de codes à assimiler pour se protéger. Pour ce qui est de toute la famille des gnomes, il faut connaître leurs langues respectives pour ne pas devenir leurs proies. Donc je crie la formule magique au nez des nuisibles.
-greu bro adbe kenov grallu pulo*** !
Je les vois disparaître en courant dans tous les sens, abandonnant leurs instruments de malheurs dans leur précipitation. Le chaos sonore vient de laisser place à la mélodie plus discrète de leur cavalcade de retrait. C’est déjà une bonne chose de fait pour pouvoir cogiter en paix.
Remémorons-nous la journée d’hier qui a eu lieu, il y a une semaine. Le plus simple, c’est de commencer par le plus important : Qu’est ce que j’ai mangé au petit-déjeuner ? La nourriture et moi, c’est une véritable histoire d’amour et de passion. C’est bon, je l’ai ! Mon estomac a sa propre mémoire et il est infaillible sur ce qu’il a ingurgité !
J’ai mangé des crêpes au chocolat à mon petit-déjeuner. Ma tante venait d’en faire pour toute une armée, car les premières qualifications pour le championnat des arènes du sud venaient de commencer. Et la tradition veut que pour ce premier jour, on mange des crêpes au repas le plus important de la journée. J’ai pitancé comme une ogresse : crêpes, tartes aux pommes, fraises à la chantilly, gâteau au chocolat, viennoiseries, jus de fruits fraîchement pressés, omelette à la châtaigne, charcuterie de premier choix et plateaux de fromages les plus odorants du pays, je m’en suis donnée à cœur joie. Une véritable orgie culinaire. Franny, ma tantine préférée, est la meilleure cuisinière de tous les royaumes réunis. C’est mon héroïne, ma déesse des petites douceurs sucrées et salées qui fait du bien à mon moral. Pour ce qui est de mon corps, un peu moins. Mais mon oncle, qui n’est autre que mon maître d’arme, veille toujours à ce que la quantité avalée soit éliminée. Deux fois ! Un vrai despote.
Je suis une combattante. Une redoutable guerrière, championne pour la deuxième année consécutive des arènes du sud. J’ai été élevée par mon oncle, le frère de ma mère et sa femme. Il est le plus grand maître d’armes du cercle des arènes du sud. Il détient l’un des plus prestigieux palmarès de l’ensemble des Cercles.
Laissez-moi vous expliquer depuis le début.
J’appartiens au peuple des Dragons de Feu et mon père en est le souverain. Nous sommes des métamorphes. C’est-à-dire que nous avons la possibilité de nous transformer en dragon quand bon nous semble. Nous naissons humains et à notre premier anniversaire notre corps commence à muter. Il n’est pas rare de croiser de jeunes enfants avec une tête, des pattes, une oreille, un œil de dragon. Ce n’est pas très joli à voir, mais c’est comme ça. C’est au deuxième anniversaire que le corps de l’enfant peut se métamorphoser dans sa totalité. Et à la troisième bougie le petit dragon contrôle parfaitement la transformation et les pouvoirs qui vont avec. Le hic dans l’histoire et il y en a toujours un, c’est moi !
Je suis latente. Impossible de faire ressortir le dragon qui est en moi. Plus le temps passait et plus je restais moi-même, petite fille adorable mais humaine. Ce qui a bien sûr posé beaucoup d’inquiétudes à mes parents, mais aussi, beaucoup de problèmes. Je suis devenu le point faible du roi. Une petite chose fragile si facile à éliminer pour une bande de gros lézards hostile à la couronne. Et surtout, comment donner une chance à la pauvre handicapée que j’étais pour pouvoir convoler dignement. Comme si l’ensemble de la classe politique et l’autorité parentale allait choisir qui je devais épouser. Je suis peut-être une petite chose fragile, mais ça ne fait pas de moi quelqu’un de facile à manipuler.
Chez les Dragon, la femelle doit être forte, dangereuse et avoir du caractère. Pour ce qui est du caractère, j’ai ce qu’il faut en ma possession, mais le reste laissait à désirer. Alors il a été décidé de m’envoyer chez mon oncle pour qu’il fasse de moi la meilleure combattante qui soit. J’avais cinq ans et mon monde a alterné entre le village de Redon**** et le château de Feu. Je peux vous affirmer qu’aujourd’hui, je suis très appréciée chez mes congénères et que mon petit problème de métamorphose passe au second plan.
À 19 ans, je possède un petit palmarès dont je suis immensément fière. J’ai travaillé dur et j’ai failli mourir plus d’une fois, mais j’ai gagné ma place dans l’élite des guerriers.
Notre monde est composé d’un continent central, entouré du nord au sud et en passant par l’est, d’un océan. À l’ouest, une barrière de montagne infranchissable délimite la frontière avec les Terres de l’Oublie. Beaucoup de légendes terrorisantes décrivent des mondes d’horreurs et de désespoirs de l’autre côté de ces murailles naturelles qui nous protègent de la mort. Tous ceux qui ont voulu explorés ces contrés maudites ne sont jamais revenus. Pourtant, il y toujours un explorateur suicidaire pour tenter le coup, mais nous n’avons jamais eu de découvreurs héroïques pour nous conter leurs aventures.
Le continent est appelé Andadel. Il est divisé en quatre parties. Attention, ce n’est pas un gâteau que l’on a coupé en quatre parts égales. Tout est fait grâce à des frontières naturelles. Les royaumes du nord sont délimités par une immense forêt. Ces immenses contrées luxueuses et verdoyantes sont les terres d’Arkantal. Au sud, le plus grand fleuve du continent, marque les vallées de Lalanta. À l’est, se trouvent les plateaux de Youkonbou et à l’ouest les plaines de Fintorsel.
Chaque partie possède son “Cercle” d’arènes. Un Cercle est composé de 4 arènes qui ont à leur tête un Champion qui par le championnat des Finales devient le Maître du Cercle.
Le Cercle des arènes du sud est composé des arènes de Feu, de l’Air, de la Terre et de l’Eau. Celui du nord est constitué des arènes de Rubis, de Diamant, d’Emeraude et de Saphir. Pour celui de l’est, on trouve les arènes de Fer, de Bronze, d’Or et d’Argent et pour finir à l’ouest nous avons les arènes Blanche, Noire, Dorée et Argentée.
Donc, pour revenir à moi, je suis la Championne de l’arène de Feu et le Maître du Cercle du Sud.
Mais je me disperse dans mes pensées, revenons au plus important et sur le déroulement de ma fameuse journée. Donc, après ce copieux petit déjeuner, je me suis échauffée toute la matinée et ensuite j’ai rejoint les autres concurrents dans les cellules. Je ne parle pas des geôles sombres et glauques utilisées pour emprisonner et torturer des détenus dans les cachots. Il s’agit de grandes pièces où on y trouve des bancs et des rangements pour y déposer nos affaires. Une sorte d’immense vestiaire. Il y a eu quelques combats avant le mien, une petite dizaine, je dirais. Puis est venu mon tour enfin. La patience n’est pas vraiment une de mes qualités. Je rectifierais en disant plutôt que l’impatience est un de mes grands défauts. Nul n’est parfait.
Mon instinct me dit que tout vient de ce combat. Je me concentre et replonge dans l’arène pour revivre cet affrontement une deuxième fois.
Me voilà en plein cœur de l’action. Mon adversaire est une sorte de sanglier bipède. Montagne de muscles, au teint verdâtre, petit yeux globuleux noirs, un groin à la place du nez, mâchoire inférieure en avant avec les incisives qui dépassent et pour enjoliver l’ensemble, deux grandes canines qui remontent telles des défenses de sanglier juste en dessous des yeux. Il possède de grandes oreilles pointues, une longue chevelure qui lui descend aux genoux et rasée sur les côtés. Pour donner du style à l’ensemble une barbichette parsemée de perles et d’os, lui arrive au nombril. Un Orc dans toute sa splendeur.
Et celui-là est peut-être l’un des plus vicieux qu’il m’ait été donné de combattre. Ce petit malin est truffé d’armes. Une vraie armurerie ambulante. Je l’ai déjà délesté d’une hache, d’une épée, de trois poignards et d’une massue. Et il me menace d’un cimeterre qu’il a sorti de je ne sais où. Il enchaîne attaque sur attaque et ne me laisse pas le temps de me reprendre pour lancer de nouvelles hostilités. Il est pour le moment le maître du jeu et ça m’énerve.
Je suis recouverte de bleus, de bosses et de sang. J’ai plusieurs plaies sur les bras qui saignent abondamment et qui coulent sans interruption, rendant mes mains poisseuses et glissantes. J’ai du mal à bien tenir mes deux épées. Je suis en train de me faire démolir en beauté. Ma vision est trouble, mes pensées ne sont pas claires et mon corps est à l’agonie. Il faut que je me ressaisisse et en vitesse. Mon adversaire est dans le même état que moi. Je le vois secouer la tête régulièrement comme pour reprendre ses esprits et il vacille légèrement sur ses jambes. Il faut que je trouve sa faille rapidement.
Trop tard pour réfléchir, le phacochère humanoïde, s’élance sur moi comme un boulet de canon. Il n’est pas si vacillant que ça finalement. C’est son poing qui me percute en plein dans l’estomac. Je décolle et m’envole sur plusieurs pieds pour atterrir lourdement sur le sol. Tout l’air a quitté mes poumons et mon petit-déjeuner ressort par où il est entré. Je sens la terre trembler alors que je finis de vider mon estomac, je me relève légèrement et redresse la tête, si je ne trouve pas de quoi l’arrêter, la deuxième charge que je m’apprête à subir sera la dernière de ma vie.
C’est en me mettant à genoux pour me mettre debout, que je la voie. Cette jolie grosse, masse toute brillante et scintillante qui me chante “Prends moi, prends moi ! ”. Je l’avais complètement oubliée celle-là. C’est une des pièces de tout l’arsenal que j’ai semé dans l’arène au fur et à mesure que j’ai désarmé mon adversaire. Je tombe directement amoureuse d’elle. Je me lève pour la saisir de mes deux mains, tourne la tête pour juger la distance entre moi et l’autre connard et une fois qu’il se situe à la bonne porter, je soulève l’amour de ma vie avec le plus d’élan possible et je la fracasse contre son crâne.
L’onde de choc me fait lâcher mon arme. Je ne sens plus mes bras, je regarde par terre au cas où ils seraient tombés avec la masse. Non, ils sont toujours accrochés à mon corps. Au sol, le tas verdâtre que forme l’Orc, gît dans son sang. Il a une tête sacrément solide. Elle est encore intacte, j’aurais pourtant parié qu’elle aurait éclaté en plusieurs morceaux vu le volume et le poids de l’assommoir. Sa poitrine se soulève laborieusement, il est encore vivant le con ! Je lève mon pouce bien haut pour signaler qu’il a besoin de soin et ainsi déclarer ma victoire par KO. Une clameur éclate dans l’arène. J’entends le public crier, siffler et applaudir ma victoire. Je me dirige péniblement vers les jurés et m’incline devant eux comme le veut la tradition. J’ai gagné grâce à la chance et grâce à cette masse. J’en remercie le Combattant, protecteur des guerriers. Je veux cette massue pour l’épouser et faire des bébés avec.
Un mouvement dans la périphérie de mon champ de vision m’alerte que quelque chose se passe. Les cris alarmés dans l’arène me poussent à me retourner juste à temps pour accueillir l’épée que l’Orc m’enfonce dans le ventre. J’écarquille les yeux en grand et ouvre la bouche pour lui faire part de ce que je pense de sa façon de faire, mais aucun son ne sort. Un sourire triomphant éclaire ses traits porcins et ses yeux brillent de contentement. Il recule de quelques pas et je m’écroule à ses pieds.
Putain de bordel de merde ! Je ne m’y attendais pas à celle-là. Mais alors pas du tout. J’ai envie de me foutre des claques parfois, et là, j’ai vraiment atteint le sommet de la connerie. Depuis quand, on crie victoire avant que l’ennemie soit sortie de l’arène ? Non mais tu viens d’où ? De l’école des saltimbanques ? Tu ne fais pas dans le spectacle, ma chérie. Tu n’es pas comédienne, ni jongleuse et encore moins magicienne. Alors les pirouettes, les saluts, les sourires et mignonneries à la fin de la rigolade, ce n’est pour toi. Tu n’es pas au théâtre, mais dans une arène ! Tu sais l’endroit où les gentils petits guerriers et petites guerrières s’envoient des torgnoles et autres douceurs ensanglantées jusqu’à ce qu’il n’en reste plus qu’un. Si le mec n’est pas mort ou partie se faire soigner, il peu toujours se relever, espèce de petite débutante écervelée. Je ne sais pas ce qui me retiens de me donner un gros coup de pieds au cul pour m’inculquer les conséquences de ma regrettable erreur. Sérieusement, même un bleu ne ferais pas ce genre d’ineptie.
J’ai envie de hurler ma rage, mais aucun son ne sort de ma gorge. Je me déteste ! Mais l’autre embrocheur qui me fait face, je le déteste encore plus. Il ne perd rien pour attendre. Je vais le bouffer, le croquer, l’avaler, le gobichonner, le mâcher, le gober comme une vulgaire cacahuète. Enfin, je le ferais si je n’étais pas latente. Il serait bien dommage que j’oublie ce léger petit problème de transformation. Enfin, petit problème, petit problème, laissez moi en rire. Car à cet instant, je donnerais n’importe quoi pour pouvoir muter. Je suis prête à faire don d’un bras, d’un rein, de mon titre de princesse, de mon trésor, je serais prête à vendre ma mère. Non, pas ma mère, je me laisse trop emporter par ma frustration. Preuve flagrante de ma détresse. J’en appelle à toutes les divinités, je vous en supplie, par pitié, entendez ma prière. Je veux pouvoir devenir un dragon une seule fois, pas très longtemps, juste un instant pour me farcir le phacochère, s’il vous plaît.
Je me relève péniblement sur les genoux. Du sang s’échappe en plusieurs filets de ma plaie, mais ce n’est pas l’hémorragie non plus. Le plus bizarre dans tout ça, c’est que je ne ressent rien. Je n’ai plus aucune connexion avec mon corps. J’avais appris l’histoire d’un mec qui s’était fait trancher le bras pendant un combat et qui avait continué de se battre comme si rien n’était pendant un long moment. À présent, je comprends mieux comment il a fait pour ne pas ressentir son amputation. Quand tu n’as pas conscience de la douleur et de ton corps, tu continues comme si de rien n’était. C’est comme si, il y avait un vide en toi, comme si tu n’étais plus constitué de muscles et d’os. Tu n’es juste fait de rein. Ton être est devenu indépendant à ta volonté. C’est ton instinct de survie qui a pris le relais à ta conscience. Tu es devenu une simple marionnette. Tu ne contrôle plus rien, je ne contrôle plus rien. Je regarde impuissante mes mains saisir le pommeau de l’arme enfoncée dans mon ventre et l’extraire doucement. J’entends la voix de mon oncle dans ma tête qui me hurle les règles des premiers secours. Surtout celle qui stipule que lorsque l’on a une lame plantée dans son corps, il ne faut en aucun cas la retirer. Alors je peux savoir pourquoi mes imbéciles de mains viennent de faire ce qu’il ne faut pas faire justement ? Plus con, tu meurs. Et effectivement, je vais mourir les tripes à l’air.
Correction, si je me suis réveillée avec une jolie cicatrice à l’abdomen, c’est que je n’ai pas rendu l’âme. Ce qui, je dois le dire, est un bon point pour moi.
La suite est un peu floue. Je suis carrément dans une autre perspective. Vous avez déjà entendu parler de ces personnes qui ont vécu quelque chose d’atroce et qui affirme avoir vu cela de l’extérieur ? Eh bien, c’est exactement ce qui m’arrive. Je n’ai pas en mémoire le fait d’avoir éprouvé le reste de l’histoire. Non, j’ai le souvenir d’avoir assisté à la scène comme simple spectatrice. À croire que mon esprit s’est désolidarisé de mon corps pour observer mon agonie comme au théâtre. Vous imaginez la scène ? Installé peinard dans un fauteuil avec une tonne de friandises sous la main, à assister à une tragédie. Alors le rideau se lève, les trois coups se font entendre et… Action !
Je me vois relâcher l’épée à terre et relever la tête pour fixer l’orc avec un sourire ensanglanté plaqué sur mon visage. Je me mets à rire.
-T’es mort !
Mon adversaire m’observe d’un air condensant.
-c’est toi qui es en train de mourir, je te signale.
-Tu es mort, mais ça, tu ne le sais pas encore. Ce n’est pas grave, je te pardonne pour ton ignorance. Mais pour ce qui est du sale coup que tu viens de me faire, les juges dans ma caboche et moi-même avons délibérés et ordonnés ton exécution sur le champ. Par contre, si tu ne veux pas ressembler à une mouche écrasée sur le cul d’une vache, je reculerai un peu. Ce serait dommage que ta nécrologie te compare à un nuisible qui s’est pris pour une crêpe. Alors si j’étais toi, pour une mort un peu plus glorieuse, je reculerais un peu. Il va y avoir des étincelles et du lourd. Alors garde ta petite culotte et admire la bête, ma cocotte.
J’ai toujours eu cette phrase en aversion. Quand un mec te sort cette abomination, tu n’as qu’une envie, c’est de lui en coller une. Mais à ce moment même, je dois reconnaître qu’elle est plutôt marrante à sortir. Je ne sais pas à quelle bête, je fais référence, mais dans ce contexte et envoyé par une femme, ça lui donne un petit côté revanchard qui me plaît assez bien.
Attention, les amis, accrochez-vous bien, car ce qui est en train de se passer sous mes yeux, c’est de l’épique. Nous sommes au point crucial du drame. Le suspense est à son comble. Je suis à genoux, recouverte de sang, de terre et de poussière, la crinière en pagaille, me tenant le ventre pour éviter que mes boyaux se fassent la malle, rigolant comme un bossu et pour clore le spectacle, la peau qui ondule comme si de milliers de bestioles grouillaient là-dessous. Plus glamour, ça n’existe pas, c’est moi qui vous le dit. Un halo lumineux m’entoure et devient de plus en plus éblouissant. Cette enveloppe de lumière blanche, je la reconnais. C’est celle qui entoure les dragons avant leur transformation. Putain de bordel de merde, je me métamorphose ! Mon enfoiré de dragon s’éveille enfin. Je sais que je deviens vulgaire, mais là, le choc a mis mon correcteur d’injure hors service. Un éblouissement plus tard, je fais face au plus beau de tous les dragons que j’ai jamais vu. Je ne suis pas forcément objective, vu que c’est moi-même et que je l’attends depuis dix-neuf ans. Mais sacré bon sang qu’il est beau. Rectification. Que suis-je belle !
Immense et imposante. Deux mots qui décrivent à eux seuls, la créature qui se dresse devant moi. À l’œil, je dirais environs soixante-dix pieds de long, cinquante de hauteur et vingt-cinq de largeur. Pour une femelle, j’en impose. La moyenne est plus dans les soixante pieds de long, quarante de haut et cinq de large, pour un mâle, je précise. Donc je vous laisse imaginer dans quelle catégorie, je me situe. Ah ! Elle ne fait plus pitié l’handicapée de la transformation, l’invalide de la mutation, l’infirme de la métamorphose. On ne rigole plus maintenant. Vous faites moins les malins devant la grosse bête. Laissez-moi savourer ce moment de pur bonheur orgasmique. Sacré bon sang que ça fait du bien. Une vraie jouissance. J’imagine la tête de tous les détracteurs et autres abrutis de première qui m’ont pourri ma vie et celle de ma famille. Bing, dans les dents. Circulez, il n’y a plus rien à voir.Par contre, il est vrai que la magnifique bestiole que je suis est légèrement différente de ce à quoi elle devrait ressembler. Mais nous n’allons pas chipoter un petit problème de couleur. Ce n’est qu’une minuscule broutille. Pas de quoi fouetter un chat ou un dragon.Nous sommes d’accord, les dragons royaux sont blancs depuis le premier roi Dragon. Moi, je suis de la couleur d’une belle nuit lunaire. Surprise ! Pourquoi faire comme les autres ? Blanc, noir, jaune, rouge, vert, on s’en fout de la couleur. Ce n’est pas elle qui dicte ce que vous êtes. Vive la différence et vive les arcs-en-ciel. Non ? Je sais, c’est beau de rêver. Déjà qu’en étant latente, j’en ai chié, alors ne pas être de couleur royale, je vous laisse deviner la suite. Les gens sont d’une étroitesse d’esprit. Ils sont phobiques de tout ce qui sort du lot, des choses éloignées de leurs stéréotypes et de tout ce qui est à l’encontre de leurs normes. Leur monde est gris et terne, alors qu’il pourrait être tellement joli avec de la couleur et des paillettes. Regardez-moi ! Une vraie beauté. Je suis canon. Mes écailles sont d’un beau noir profond avec des reflets argentés. Des piques acérées recouvrent la totalité de mon épine dorsale jusqu’à l’extrémité de ma queue. Sur ma tête, deux grandes cornes s’élancent vers l’arrière. Ma gueule est fine mais néanmoins redoutable avec ces deux rangées de crocs pointus. J’ai un long cou que je tiens bien droit. Mes pattes sont robustes et possèdent des griffes affûtées comme des poignards. Une véritable machine de guerre, faite pour tous les combats.Bref, en résumé, je suis belle, redoutable, sexy et indéniablement unique. Ne m’en voulez pas pour cette autolâtrie, mais j’en ai tellement rêvé de ce gros lézard. Je l’ai fantasmé, idolâtré et de le voir là, magnifique et si réel que j’ai sombré dans la contemplation de moi-même. Pardonnez-moi, je ne le referai plus.Un mouvement dans mon champ de vision m’interpelle. Mon petit porcinet essaie de se faire la malle. Oh que non, ma petite cacahuète. Vu comment la grosse bête s’est raidie et a posé ses yeux sur toi, ta mise à mort est pour bientôt. D’un geste rapide et précis, le dragon saisit l’orc avec ses crocs et d’un mouvement gracieux le jette dans les airs pour le réceptionner dans sa gueule béante et le gober sec. Une cacahuète, comme je l’avais dit. Bien joué, ma grande ! Non mais on ne m’embroche pas à la traître, sans en subir les conséquences.
Un rugissement assourdissant se fait entendre. Mon dragon, les naseaux fumants, lève sa tête vers le ciel et crache un jet de feu surpuissant vers le ciel et sur l’ensemble des gradins. Heureusement, ceux-ci étaient quasiment déserts. Les spectateurs ont sûrement eu peur du monstre à écaille et ont pris la fuite. Ils ont dû pressentir le cracher de feu, ce qui est assez récurrent chez mon peuple. Un deuxième grognement se fait entendre, il est plus caverneux et plus rauque que le premier. Il m’étonne, car ce n’est pas un son que nous avons l’habitude d’entendre chez le peuple de feu. C’est plus un grondement du peuple de glace. Et là, ahurissement total de ma personne, un jet de glace impressionnant sort de ma gueule béante. Oui, je dis bien ma gueule, car je ne sais pas comment et quand, mais je suis redevenue moi-même. J’ai réintégré mon corps, enfin celui de dragon. Me voilà revenue à ma place.
Bon, ce n’est pas plus différent que d’habitude, mais il y a quelques petites choses qui ne sont plus pareilles. Comme ma vision, mon champ est beaucoup plus large, vous connaissez l’expression avoir les yeux derrière la tête ? C’est presque ça, plus besoin de se contorsionner pour regarder ce qui se passe dans le dos. Un léger mouvement sur le côté et j’ai la vue sur la globalité de ce qui m’entoure. L’ouïe et l’odorat sont super développés aussi. J’arrive à entendre la foule qui hurle de terreur à l’extérieur de l’arène. Je peux même différencier le sexe et l’âge des cris. Je peux sentir qu’un marchand de glace s’était installé et que le bac de glace chocolat s’est répandu par terre. Mélangé à la terre, ce n’est pas terrible, mais le parfum chocolaté qui chatouille mes narines ou mes naseaux, me donne l’eau à la bouche. Je passe ma langue sur mes lèvres et je ressens le tranchant de mes crocs. De bonnes grosses dents bien aiguisées et bien tranchantes. Le goût de fer qui se répand sur mes papilles et la petite douleur à la langue, m’apprend que je viens de me la couper dessus. Me voilà doté du fameux sourire “croc ” mignon qui fait que tu ne sais pas si tu dois t’extasier devant cette magnificence terrifiante ou être terrifié par cette image cauchemardesque. J’adore !
Je n’ai pas l’impression d’être sur quatre pattes. C’est comme si mes membres et ma colonne vertébrale ont naturellement imprégné ma nouvelle morphologie et que cette position est semblable à celle du debout pour un bipède. Par contre, mes ailes et ma queue me dérangent. Trouver un équilibre avec ces appendices encombrants, est un vrai jeu d’acrobatie. J’ai lu dans un livre que la queue d’un animal lui servait entre autres, de balancier pour sa stabilité. Je n’ai pas encore compris le fonctionnement de la chose, ni pour celui des ailes. Si j’arrive à me transformer, il va falloir que je me penche sur cette question anatomique et mécanique de mon nouveau corps.
Pour le moment, penchons-nous sur la question du pourquoi et comment un dragon de feu, c’est-à-dire moi, ait pu cracher un jet de glace qui n’est exclusivement possible que chez les dragons de glaces. Là, est la question !
Je pense qu’il est grand temps pour moi de retourner au présent pour interroger mes parents. J’ouvre les yeux et je me retrouve dans la chambre où je me suis réveillé quelques instants plus tôt. Mes parents sont toujours à mes côtés. C’est ma mère qui est la première à se rendre compte que je suis revenue de mon voyage dans le temps.
-Alors ? Tes souvenirs sont revenus .
-Oui.
Je les observe tous les deux, en quête de réponses. J’ai tellement de questions qui se bousculent dans ma tête que je ne sais pas par laquelle commencer. Finalement, c’est mon père qui se lance en premier. En même temps, venant de la commère la plus curieuse du royaume, cela ne m’étonne pas.
-Tu vas, enfin, pouvoir répondre à la question qui me ronge depuis une semaine. C’est quoi cette putain de glace que tu nous as craché ?
Rapide comme l’éclair, ma mère envoie une forte claque derrière le crâne de mon père.
-Aïe !
-Surveille ton langage, Roi !
Ma mère et sa maniaquerie des bonnes manières et du bon langage.
-Je ne sais pas. Je pensais que vous auriez des réponses. J’ai toujours souhaité pouvoir me transformer en dragon, mais finalement, je ne sais pas ce qui est le pire. Être latente ou être un D.N.I ?
-Un D.N.I ?
Mon père me dévisage d’un drôle d’air.
-Un dragon non identifié.
Nous explosons de rire tous les trois. Je pense que nous en avons besoin. Nous détendre un peu. Après tout ce bazar, pour rester poli. Le tyran est dans le coin. Je ne voudrais pas rajouter une commotion cérébrale à la liste de mes blessures. Ses tapes derrière le crâne sont redoutables et douloureuses.
Une fois nos rires taris, un silence s’installe. Nous sommes plongés dans nos réflexions, à la quête des réponses à nos multiples questions. C’est ma mère qui parle la première.
-Avec ton père, nous avons beaucoup réfléchi. Pendant ton coma, pas mal de choses se sont passés. En te soignant, un des maîtres guérisseur a décelé de la magie élémentale en toi. Si nous combinons ce qu’il a découvert et ce que nous avons ressenti lors de métamorphoses…
-Qu’avez-vous trouvé ?
-Ta magie draconique est particulière. Tu possèdes celle du feu ce qui est normal, même si elle est extrêmement puissante. Mais ton père a détecté celle de la glace, ce qui à l’origine devrait être impossible. C’est pourquoi sous les conseils avisés du maître soigneur et après avoir longuement discuté avec notre ami Cruzor, nous avons décidé de t’inscrire à l’école de magie pour que tu puisses apprendre à maîtriser tes magies et savoir d’où viennent tes particularités.
Hein ? Quoi ? Comment ? On se calme et on respire. Le parenticide est interdit. Inspire et expire doucement. Tu as juste mal compris ce que ta mère vient de dire.
-De quoi tu parles ? D’abord qui s’est Cruzor ? Et d’où ça sort cette histoire d’école .
Mon père, assis à mes pieds, les saisit doucement.
-Doucement petite terreur. Remballe tes jolis petits yeux assassins. Cruzor est un vieux dragon et aussi le directeur de l’école de magie. Ses connaissances sont immenses et il sera t’enseigner tout ce que tu dois savoir. De plus, toute personne possédant de la magie élémentale doit suivre un enseignement obligatoire pour apprendre à la maîtriser. Donc ma poulette, je suis dans le regret de t’annoncer que tu vas devoir rejoindre le chemin des bancs d’école.
Je suis complètement dépitée, désappointée, désabusée, désemparée, démoralisée, déroutée et bien d’autres choses qui commence par un « dé ». J’ai l’impression d’être punie injustement. Sans avoir eu droit à un procès équitable.
-Aucune négociation n’est possible ?
Je lance un regard désespéré à ma mère.
-Pitié, maman, dit oui !
-Je suis désolé ma chérie. Tu peux essayer toute ta panoplie du regard de chien battu et compagnie cela ne marchera pas.
Mon père se lève et plante ses yeux bleus dans les miens.
-la sentence est irrévocable. Vous avez été pesé, vous avez été mesuré, et on vous a jugé insuffisant *****.
Rapide comme l’éclair, la main de ma mère inflige sa propre loi.
-Aïe !
Mon père se frotte l’arrière de la tête.
-j’ai toujours voulu dire cette phrase. Et c’était pile le bon moment pour le faire. Je n’aurai plus jamais une occasion en or à se présenter comme ça.
-Papa, tu es vraiment le roi pour remuer le couteau dans la plaie.
-Je sais, c’est ce qui donne à mon charme un petit côté piquant. Et de nous deux ma poulette à la langue de vipère, je pense que tu es bien plus piquante que moi quand tu es inspirée.
Bon, ok, il n’a pas tort. Mais ce n’est pas très paternel comme attitude, je trouve. En même temps, c’est comme ça que je l’aime, avec son humour à grincer des dents. J’ai le même, donc je ne vais pas cracher dans la soupe et faire ma farouche.
Je crois que mon sort est scellé depuis belle lurette. Quand ma mère a tranché et qu’il n’y a plus possibilité de négocier, c’est que le sujet est clos définitivement et à jamais. Je n’ai plus qu’à me résigner.
-On y va quand dans votre école ?
-Nous y sommes déjà. Bienvenue dans ta nouvelle chambre, Poulette.
Mon père écarte les bras et embrasse la pièce où nous nous trouvons. Quels mots donner à ce que je ressens en ce moment même ? Désolation absolue, accablement extrême, affliction profonde, détresse infinie ? Pour que vous puissiez me comprendre, il faut que je vous décrive ladite chambre. Elle fait environ neuf pieds de long contre sept de large, même les placards à balais sont plus grands que ça. On y trouve un petit lit en bois gris avec des draps blancs grisâtres, et petit bureau gris, une petite armoire grise, un sol en bois gris, des murs gris, une petite fenêtre qui donne sur un mur de pierres grises et pour clore le tout des petits rideaux gris. Je crois bien que toutes les nuances de gris sont présentes dans cette pièce. Aussi désolant qu’un ciel pluvieux terne et morose. Je cours droit vers la dépression. Je ferme les yeux et lâche un soupir à fendre l’âme. Ma mère me caresse la joue.
-Tu verras, tu vas t’y faire. J’ai confiance en toi et en ton esprit d’adaptation. Tu l’as déjà fait quand tu es partie vivre chez ton oncle et tu y as survécu. Tu survivras ici aussi. Il est important que tu arrives à maîtriser toute cette magie qui éclot et se développe en toi. Nous nous reverrons bientôt. Cela va passer vite, je te le promets. Je t’aime plus que tout.
Mon père s’approche de moi et m’embrasse sur le dessus du crâne.
-Je t’aime aussi mon petit poulet. Montre leur de quel feu notre famille est faite. Mets-leur en plein la vue.
Je n’ai pas d’autre choix que de capituler. Ma défaite est là et bien consommée. Je me plie aux exigences de l’autorité parentale comme la brave fille que je suis. Je m’adresse à ma mère.
-Quand partez-vous ?
-Tout de suite. Maintenant, que tu es réveillée, nous allons pouvoir retourner au royaume de feu, il n’y a pas mal de choses à régler là-bas. Ta petite transformation en a secoué plus d’un et beaucoup veulent des réponses à leurs questions.
-Et comme nous n’avons aucune réponse à leur fournir, ces politicards de malheurs seraient bien capables de nous faire une insurrection. Sur ceux, mon petit poulet, ne fais pas trop de bêtises, repose-toi bien aujourd’hui et à très vite !
Et aussi vite que l’éclair, mes parents décampent de ma chambre comme deux fuyards s’échappent de la potence. Je reste abasourdie devant la porte close. Un nouveau chapitre de ma vie vient de s’ouvrir et la première phrase pourrait être : désespérée dans sa chambre désespérante, notre héroïne se laissait sombrer dans le désespoir.
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*Petit clin d’œil au capitaine Jack Sparrow de Pirates des Caraïbes. C’est l’un de mes personnages préférés.
** Les Korrigans sont des cousins des gnomes. Créature légendaire du folklore breton. Je suis fan de leurs bouilles et de leurs facéties.
*** J’ai demandé à mon cercle d’amis la traduction en breton de la phrase : rentrez chez vous créatures de malheur et ne revenez plus ici. Personne ne m’a répondu sauf un ami qui fait des one-man-show et dans toute sa splendeur comique m’a donné cette traduction Gastonniène (son nom de scène est Gaston.). Ça m’a fait rire, j’ai gardé.
**** Hommage à la ville qui m’a vue grandir.
***** Réplique culte ( pour moi) du film Chevalier avec le très regretter Heath Ledger.
J’adore !
merci beaucoup. 😉