Une nuit mouvementée, partie 2.
BASIL
Il était tard. Greg ronflait comme un ours tandis que j’attendais Aiden et Gabriel revenir de leur petite ballade nocturne.
Contrairement à certaines espèces, les Vampires et Loups-Garous avaient des besoins. Le besoin de laisser leur bête prendre l’air. Pour les Vampires, c’était différent. C’était un besoin de faire du mal, de sentir du sang frais. Ce contrôle devait être exercé dès le plus jeune âge pour être efficace cependant, certains Vampires n’y parvenaient jamais et c’était ainsi qu’ils pouvaient mal finir. À Ecclésia, il était disponible des litres de plasma, donc pas de quoi créer une crise générale mais Aiden était comme il était, et boire dans des briquettes n’était pas sa tasse de thé. Il préférait jouer avec la nourriture. Je ne pensais pas qu’il avait pu tuer un être Humain, mais j’avais le pressentiment qu’il devait en avoir transformé pas mal. Par le passé, il s’était vite laissé guider par cette pulsion qui poussait les Vampires à transformer ceux qu’il pensait en être dignes. C’était en partis lié à l’Histoire des Dieux, celle de Vishal :
« Au Commencement, Vishal créa les Vampires.
Assoiffé de conquêtes et de pouvoir, Il contrôlait une armée implacable et meurtrière qui détruisait des territoires entiers, sans peur. Cependant, le Dieu Elvedin, qui craignait que l’armée de Vishal décime le monde et Sa Mère Nature, versa une malédiction dans l’eau que buvaient les soldats. Ils tombèrent tous comme des mouches et Vishal hurla de désespoir face à ce génocide si rapide. Il décida alors de se venger, Il créa une espèce ayant soif de sang et de noirceur. Il leur ordonna de transformer le monde afin de prendre le dessus sur Elvedin et ainsi, se venger.”
Je prenais un objet au hasard pour le lancer sur Greg qui ronflait comme un buffle. Cependant, l’impact et le bruit ne le firent même pas bouger d’un poil. Maudit Loup.
Les heures passaient doucement, et ne trouvant pas le sommeil, je décidais de lire. Une heure, puis deux, puis trois. Mais toujours pas de nouvelles d’Aiden et Gabriel. Légèrement inquiet, je fermai les yeux et me concentrai sur le périmètre en dehors d’Ecclésia. Derrière le château, se trouvait une forêt qui faisait plusieurs centaines d’hectares et qui s’étendait au-delà d’Hamilton. Souvent, ils ne s’éloignaient pas plus d’un kilomètre alors repérer leur esprit m’était possible, cependant, je ne trouvais rien. Même pas Aiden, qui était pourtant plus perceptible qu’un Loup. Une soudaine inquiétude monta, une inquiétude que je n’avais pas ressentie depuis sept ans.
— Greg, l’appelais-je en mettant ma veste, prêt à partir à leur recherche.
Aucun mouvement. Je recommençais, plus fort.
— Grégoire !
— Laisse-moi tranquille, marmonna-t-il, la tête enfouie dans le coussin.
— Fais ce que tu veux mais moi, je pars à la recherche d’Aiden et de Gab, affirmais-je, ma main sur la poignée.
Greg ouvrit un œil et se redressa, plusieurs lignes de sommeil lui barraient la joue.
— Qu’est-ce que tu racontes ?
— Il va être deux heures du matin et Aiden et Gab ne sont toujours pas revenus. Je n’arrive pas à sentir leurs esprits autour d’Ecclésia, lui révélais-je, sans cacher mon inquiétude.
Ni une, ni deux, Greg se releva et enfila un Jean et un T-shirt. Nous nous dirigeâmes rapidement vers la sortie du château en esquivant aisément les surveillants qui faisaient les mêmes tours depuis des années. Nous marchions vite, dans un silence qui traduisait notre crainte. Arrivés dans les jardins, le froid automnal nous frappa de plein fouet.
Il y a quelques jours, des disparitions inquiétantes avaient été annoncé dans le pays, d’où notre crainte que les garçons en soient victimes, même si je savais qu’ils avaient plus d’un tour dans leur sac.
— Tu penses que ce sont les Démons ? Demanda Greg doucement alors que nous nous enfonçâmes dans la forêt.
Il faisait noir et seule la lune presque pleine nous offrait un mince filet de lumière.
Je soufflais en enjambant une souche d’arbre, Greg à mes talons. Nous empruntions le chemin habituel d’Aiden, mais je ne ressentais aucune présence pour l’instant.
— Je ne sais pas, admis-je sincèrement. Puis on ne sait pas d’où vienne ces agressions, ce n’est pas parce que le Conseil accuse les Démons que ce sont forcément eux.
Greg renifla amèrement.
— Ce n’est qu’une constatation, je ne vois pas qui d’autre pourrait attaquer des Surnaturels sans raison.
— T’as pas l’esprit très ouvert, continuais-je, neutre. Je pense surtout que le Conseil est assez fourbe pour contrôler les esprits de chacun, alors utilise ton cerveau.
— Tu es devenu pro défenseur des Démons depuis quand, toi ? S’étonna Greg en souriant.
Je fis volte-face.
— Tu insinue quoi là ?
— Rien ! Juste que la seule personne plutôt sympathique et à moitié Démon dans l’école se trouve être Tori. Je suis content que vous commencez à vous apprécier, Élise et moi commencions à penser que vous allez vous foutre sur la gueule toute l’année.
Je soufflais, mal à l’aise. Greg prenait l’habitude de me charrier depuis que j’aidais Tori à fermer son esprit, ça faisait donc presque un mois que je me tuais à la tâche pour qu’elle s’améliore doucement, et ça faisait rire le Loup qui me servait d’ami, dont le temps et la patience que je pouvait donner à la petite Demesse.
— Commences pas Greg, tu…
Soudain, une voix féminine s’éleva, brisant le calme de la forêt. Fugace, mais traduisant une souffrance vive. Je n’eus même pas le temps d’identifier la personne que Greg se Changea et détala au quart de tour entre les arbres sous sa forme de lupin. Sa peur vivace me prit alors aux tripes, il venait de reconnaître Élise.
Je tentais de rattraper Greg, mais le Loup était à la recherche d’une Louve qu’il aimait profondément, je n’existais plus pour lui dorénavant. Un seul but lui était donné et c’était de retrouver Élise. Alors que je courais à perdre haleine, et Greg par la même occasion, je décidais de me stopper, à bout de souffle. Je fermais les yeux, courir à l’aveugle était idiot.
— Réfléchis Basil, putain. Réfléchis.
J’ouvris mon esprit, mais comme à Ecclésia, je ne trouvais rien. Je serrais les poings, et pensais pour la deuxième fois de ma vie que j’étais bien trop faible, inutile. Je ne pouvais pas prendre l’allure de Greg et le lien qu’il avait avec Élise l’aidait à la retrouver, ils étaient des âmes-sœurs, leur dotant d’une conscience commune, cependant, dans mon cas, je n’avais rien.
— Il doit y avoir une solution, je m’arrachais presque les cheveux de mon crâne jusqu’à ce qu’une idée me vint comme un coup de fouet.
Parler à voix haute m’aidait pour ranger mes idées qui étaient secouées dans tous les sens avec ma panique et celle de Greg que je ressentais en double, comme quoi : être Psychic n’aidait en rien dans ce genre de situation. Nous devions apprendre à contrôler nos émotions et également celles des autres, c’est ce que l’on apprenait dès notre entrée au Centre afin de mener à bien les assassinats. Cependant, ces cours remontaient à loin, et je commençais à me dire que j’avais perdu en puissance durant mes années à Ecclésia.
— S’il y a Élise, Tori ne doit pas être loin, suggérais-je.
Tori n’aurait jamais laissé la Louve s’aventurer seule dans la forêt, bien trop têtue et altruiste. Je m’imaginais les fils, ceux de l’Univers. Il y en avait une vingtaine autour de moi, certains n’avaient rien avoir avec mes camarades et d’autre appartenaient à Greg, Aiden, Gab, Élise et probablement Tori. Ils étaient tous inaccessibles à ma portée, trop loin et trop fins cependant, celui de Tori me paraissait plus proche et épais. Je pouvais m’en servir comme connexion. Je ne l’avais jamais fait, mais je connaissais la théorie.
C’était dangereux, pourtant je n’avais pas le choix.
« Tori. » Pensais-je en envoyant ma pensée comme un écho retentissant à plusieurs kilomètres.
Je devais me dépêcher, Greg s’éloignait de plus en plus loin, de plus en plus vite, je perdais sa trace. J’agrippais le fil de Tori si fort qu’il se mit à vibrer et mon souffle se coupa lorsque j’entendis sa voix retentir dans mon esprit.
« Basil, il faut que tu viennes, vite ! »
Je ne me posais pas de question pour essayer de comprendre comment est-ce que l’on faisait ça, mais lui expliquais la situation.
« Il faut que tu m’aides, je ne peux pas le faire seul, donne moi ta position. »
Elle ne répondait plus, mais je vis les images floues de ce qu’elle voyait, comme des flashs. Il y avait du mouvement, et puis plus rien.
« Tori. »
Un ange passa.
— Tori !
Je paniquais réellement cette fois-ci. Je me sentais si idiot, inutile, c’était atroce. Il lui était arrivé quelque chose et étrangement, ça me mettait dans un état que j’avais oublié, une partie de moi-même qui, je pensais, n’était plus. Mon ventre se noua.
— Putain !
Je ne pouvais rien faire.
— Tu en fais du bruit, Psychic.
Je reconnus Oswin, qui était apparu de nulle part, et qui me tendait son coude. Après une hésitation de ma part, elle souffla et dit :
— Arrête de faire l’imbécile, je pensais les Psychics plus malins. Maintenant prend ma main, on va les sauver.
Je ne posais pas de question et fis ce qu’elle me demandait. Elle partit à une vitesse folle vers l’endroit que m’avait envoyé Tori, sa vitesse Vampirique me retourna l’estomac, mais je tenais bon. Arrivés au lieu-dit, elle me lâcha abruptement et je trébuchais sur la terre.
La première scène qui me vint fut Tori, qui était penchait sur un Gab mal en point. Il était évanouis, pas mort, je sentais sa conscience. Je m’approchais et vis les larmes de Tori, ses mains tremblaient sur son torse devenus rougeâtre de sang qui coulait comme de la lave. Elle faisait pression pour arrêter l’hémorragie de Gab où un trou béant se trouvait non loin de son cœur. Les émotions de tout le monde me martelaient le crâne : la peur, le stress, la colère, l’impuissance, la douleur, l’incompréhension. Tori devait ressentir la même chose.
— Que s’est-il passé ? Murmurais-je.
Je tournai sur moi-même et vis le décors, il y avait du sang sur le sol, des vêtements déchirés, un corps d’Homme inerte au loin, des herbes brûlées. Greg sortis des buissons avec Élise, elle boitait. Sa jambe gauche était totalement déchirée, on voyait l’os ressortir de son mollet. Son visage était crispé de douleur et Greg était blanc comme un linge.
Tori ne me lança aucun regard, elle pressa ses paupières et inspira profondément.
— On ne doit pas rester ici, Gab est gravement blessé, on doit l’amener à l’infirmerie, affirma-t-elle d’une voix forte, on aurait cru qu’il ne s’était rien passé.
La petite Demesse le prit sur son épaule avec beaucoup de difficulté et Gab se mit alors à gémir, sa blessure s’ouvrait de nouveau. Je me rendis compte que je n’avais pas bougé d’un poil.
— Ou étais-tu ? Me demanda Tori sur un ton de reproche et je fronçais les sourcils.
— Je vous cherchais.
Alors que je me rapprochais d’elle pour aider Gab, elle eut un mouvement de recul qui me surprit.
— Ce n’est pas sa faute, Tori, souffla Élise un peu plus loin.
La mâchoire de la petite Demesse se serra. Elle m’en voulait ?
— Oui. Je t’ai appelé et tu n’es pas venue. Tu étais le seul à pouvoir nous aider et tu n’es pas venu, Basil ! Regarde autour de toi ! Elle hurla ces mots qui firent écho dans la nuit.
Je fus muet quelques secondes avant de reprendre mes esprits.
— De quoi est-ce que tu parles ? Je t’ai répondu, c’est toi qui a coupé la connexion, espèce d’idiote !
— Tu te fous de ma gueule ? Ça fait des heures que je t’appelle, que je tire sur ce putain de fil comme tu l’as fait, mais tu n’étais pas là, finit-elle amèrement.
Je me pince l’arête du nez, laissant la culpabilité faire son travail. Je n’avais rien ressenti.
— J’étais trop loin, capitulais-je, c’était impossible que l’on puisse communiquer, si on a réussi tout à l’heure c’était un putain de miracle.
— Alors à quoi ça sert d’être un Surnaturel si on ne peut aider personne, baissa-t-elle la tête sur Gab qui était baigné de sueur, imprégnée d’une colère sourde.
— Fermez-là un peu et regardez ce que j’ai là.
Aiden apparut comme par magie et traîna un homme par le col qui semblait mal en point. Le Vampire semblait avoir reçu plusieurs coups, mais tenait encore debout.
— C’est le fils de pute qui a tiré sur Gab, affirma Aiden.
Il lança le corps sans vie sur un rocher, son gargouillement plaintif nous informa qu’il était encore en vie. Aiden s’accroupit face à lui, et lui empoigna les cheveux pour lui faire lever la tête. Je me rapprochais, l’homme avait les yeux fermés.
— Alors on va pas passer par quatre-chemins, tu vas me dire qui tu es et pour qui tu travailles, sinon je te tue, et ça sera pas indolore mec.
L’homme ne donna aucun signe de coopération et gardait les yeux clos. Aiden n’avait pas de patience, c’était connu, il donna un coup-de-poing sur sa joue et le bruit de l’os qui se brise contre la pierre résonna. Soudainement, un drôle de son sortie du corps de l’homme, qui s’apparentait à un rire. Ses yeux s’ouvrirent, faisant jaillir un violet étincelant.
— Tu crois pouvoir me faire peur, maudit Vampire. J’ai dix fois ton âge, ne me crois pas idiot, marmonna difficilement l’homme.
Aiden ricana et agrippa sa gorge puis planta ses ongles dans sa chair, un geyser de sang jailli de ses lèvres et un gargouillis sortis de sa gorge meurtrie. Il aura beaucoup de mal à parler dorénavant, mais Aiden s’en fichait pas mal. Il ne faisait jamais les choses à moitié.
— Je t’ai posé une question.
— Cla… Risse… Les Démons… Reviennent. Essaya-t-il de formuler mais il mourut sous la main d’Aiden, ses yeux rieurs figés dans le vide.
Je me rapprochais de Gab alors que Tori fixait le Démon et posa mes mains pour refermer ses blessures le temps de l’emmener à l’infirmerie.
— C’étaient des Démons ? Souffla Tori et elle attira mon attention.
Pour la première fois qu’elle rencontrait son peuple, celui-ci avait voulu sa mort.
— Ouais, et c’est bien la première fois que j’en vois un aussi coriace, affirma Aiden, ils étaient deux et ont réussi à nous foutre une raclée alors que nous étions quatre.
En effet, les Démons ne sortaient jamais de Rowenam, sous l’ordre du Roi. Alors rare était les fois où l’on voyait de véritables Démons se promener dans les villes.
— Clarisse ? Vous pensez que cette femme est celle qui a commandité tous ça ? Demanda Greg alors que je j’inspectais la gravité de la jambe d’Élise.
— C’est possible, mais ça m’étonne qu’il ait craché le morceau si facilement, ajouta Aiden en donnant un coup de pied au cadavre qui s’écrasa mollement au sol.
— Il voulait surtout nous annoncer que les Démons sont de sortis, grognais-je.
— Ce prénom me dit quelque chose, dit soudainement Tori.
Nous nous taisions tous alors, interloqués.
— Tu ne m’avais pas dit que tu ne connaissais rien du monde Surnaturel, il y a moins d’un mois de ça, commenta Oswin, assise en tailleurs, un peu en retrait.
— C’est le cas mais, je ne sais pas. Je l’ai probablement entendu à Chicago. Ce n’est pas important, se reprit Tori. Des centaines de personne doivent s’appeler ainsi.
Nous nous lançâmes un regard lourd de sens, tous les sept. La nuit allait être longue.
Ça devient sérieux, quelle maîtrise.
Je me demande où tu vas chercher tout ça.
On dirait du Anne Rice, mais en plus mouvementé.
Merci beaucoup !!! quel honneur ahah