Les Démons reviennent, partie 1.
TORI
Des grosses gouttes frappaient la vitre, il ne faisait que pleuvoir depuis des jours. Je n’aimais pas l’automne. C’était une saison inutile qui servait de liaison entre les deux meilleures. Chaque année, j’avais beaucoup de mal à sortir de ma tanière lors de ces averses alors aujourd’hui, j’étais heureuse d’être en internat pour ne pas devoir faire la route jusqu’au lycée, il me suffisait de descendre quelques étages et le tour était joué.
Je lisais avec attention une lettre que Camille m’avait envoyée. Elle me racontait sa rentrée à l’université et les personnes qu’elle y avait rencontré. Un sourire nostalgique naquit sur mes lèvres, Camille me manquait énormément, et même si j’avais fait des connaissances formidables à Ecclésia, je ressentais souvent le besoin de me confier à ma meilleure amie. Trop de choses se bousculaient dans ma vie et je ne savais plus ou donner de la tête.
Surtout, il m’arrivait de faire des rêves étranges où j’étais dans la peau d’une petite fille, me rappelant douloureusement le passé de Clara. Je ne voyais pas son visage, car j’étais elle, coincé dans son corps et je n’avais aucun contrôle, je subissais ce qu’il se passait, comme si c’était arrivé ou que c’était écrit. Cependant, cette petite fille n’avait rien à envier, elle vivait des choses affreuses, des choses que je voulais oublier pourtant chaque nuit, je me retrouvais dans son corps, impuissante. Cela commençait à me peser, je ne dormais presque plus, et je n’en avais parlé à personne, même pas à Gab.
Car oui, Gabriel et moi étions très proches, trop, je dirais même. Parfois, je voyais cette étincelle dans ses yeux qui se rapprochait plus à de l’amour qu’à de l’amitié. Je ne savais pas si c’était une bonne ou une mauvaise chose, après tous, Gabriel était un garçon adorable et attentionné. Puis, lorsque j’étais avec lui, je ressentais ce bien-être et cette insouciance que je perdais lorsque je m’éloignais. Était-ce ça l’amour ? Je n’en avais aucune idée. Je ne voulais pas me poser trop de questions. Juste : laisser faire les choses naturellement, nous n’étions pas pressés.
Je levais les yeux sur l’horloge de la chambre qui affichait huit heures moins de quart. J’avais passé mon après-midi avec ce cher Basil qui, autrefois avait le don de me mettre sur les nerfs, mais étonnamment, il devenait plus patient et plus pragmatique. Il avait compris que nos esprits ne pouvaient juste ne pas entrer en connexion. En effet, je savais dorénavant fermer mon esprit, sauf avec lui. Et vice-versa. Nous étions deux aimants et qu’importe notre résistance, nos esprits se rejoignaient sans cesse, c’était ainsi.
Oswin me sortit de ma rêverie en claquant pour la centième fois la porte de notre chambre.
— Il t’arrive d’être douce et délicate, Oswin ? Soufflais-je en tournant ma chaise de bureau vers elle.
La Vampire me lança un regard blasée tout en s’étalant à plat ventre sur son lit.
— Seulement en cas de danger mortel, dit-elle, la joue écrasée contre le coussin.
Notre relation s’était améliorée, enfin, nous communiquions plus souvent et Oswin s’ouvrait aux autres. Depuis l’attaque dans la forêt où nous l’avions suivi, elle venait manger avec nous et ne jouait plus les sourdes lorsque je lui posais une question. Étrangement, je ne savais pas si elle avait décidé de changer pour se faire des amis ou parce qu’elle s’entendait pas mal avec Aiden.
— Il faudra alors attendre que cette porte soit sur le sol pour que tu la fermes sans le faire savoir à tout le couloir ?
— Exact.
Je pouffai en levant les yeux au ciel. Pas étonnant qu’Aiden et Oswin ne se quittaient plus, ils n’étaient pas plus récupérables l’un que l’autre. Aiden, qui avait d’ailleurs réussi à éloigner le méchant Cédric. Il était un élève dont la plupart des premiers années évitaient, alors voir la jeune Vampire traîner avec lui avait agi comme une menace pour Cédric, l’approcher était un synonyme d’approcher Aiden, ce qui était dangereux. Oswin était alors entre de bonnes mains et protégée, enfin je l’espérais.
— Tu as passé une bonne journée ? Demandais-je alors que je ne l’avais qu’aperçu ce matin, lorsqu’elle avait quitté la chambre.
— Cette journée s’est résumée à écouter parler un Vampire qui est fan de sa propre personne, je t’avoue que ce n’était pas une partie de plaisir, maugréa Oswin en parlant de Aiden et je me mis à rire.
— Oh arrête, je suis sûr que tu étais pendu à ses lèvres, souriais-je.
Je reçus comme réponse son oreiller qu’elle m’envoya en pleine figure.
— Ferme-là toi.
La Vampire cacha son visage rougissant dans le matelas et je lui renvoyais la pareille, en éclatant de rire.
— Tu ne te concentres pas assez, râla Jack en soupirant.
— Arrêtez de me brusquer.
Mon professeur se mit à rire, doublant mon agacement. Il voulait que je créé de la glace autour d’un cure-dent. Un cure-dent ! Sois un minuscule bout de bois de cinq centimètres. En plus d’être inutile, c’était très difficile et je n’arrivais pas à me focaliser sur une si petite zone.
Je ne comptais plus les heures d’acharnement sur cette brindille et Jack qui me criait dessus toutes les trois minutes, me rendait à fleur de peau.
— Ça suffit maintenant, je ne veux plus le faire, admis-je, catégorique.
Jack fronça les sourcils, surpris.
— Pardon ?
— J’arrête.
— Et depuis quand est-ce que tu décides que tu dois t’arrêter ? Se moqua mon professeur qui ne semblait pas ravi de ma décision.
— Ça fait deux heures que l’on fait la même chose, je ne suis pas d’humeur à ça, vous n’aurez rien de moi, aujourd’hui, avouais-je sincèrement.
Jack vit mon trouble, car il abdiqua, ce qui était inhabituelle. Moi qui croyais qu’il allait m’envoyer sur les roses, au contraire, Jack croisa ses mains et me dit alors :
— Et tu es d’humeur à quoi, Tori ?
Je pinçais les lèvres, c’était ma chance.
— Pourriez-vous me parler des Démons ?
Mon professeur frotta son front ridé par les années, ses yeux étaient fermés. Je ne savais pas s’il réfléchissait à l’idée de me raconter leur histoire, où par ou commencer. Je n’étais jamais sûr de rien avec lui, il me soufflait le chaud et le froid et bien qu’il me paraissait parfois, fort sympathique, il arrivait qu’ensuite Jack devînt exécrable et hermétique à toutes mes paroles. Dans ces moments-là, je savais que la fin du cours avait sonné.
— C’est un vaste sujet, jeune fille. Que veux-tu savoir ?
Jack n’était pas idiot, il savait que j’avais une idée derrière la tête. Cependant, je ne savais pas si je pouvais lui faire confiance, après-tout, mon professeur a été envoyé par le Conseil. Qui me dit que chaque chose faite et dite dans cette salle n’était pas répétée là-bas. Je n’avais aucune idée, mais j’étais sûr d’une chose : cette phrase dit par le Démon.
« Les Démons reviennent. »
Et bien que j’avais une vague idée de ce que cela annonçait, je ne comprenais pas comment cette haine pour cette espèce s’était mise en place et surtout, qui était cette Clarisse. J’avais cherché dans les livres, sur Internet, j’avais même demandé à Basil, mais rien. J’avais des hypothèses, évidemment, mais personne avec qui les partager. J’avais l’impression que mes amis avaient envie d’oublier ce combat dans la forêt, ils n’en parlaient pas, comme un sujet maudit.
— Qu’est-ce que l’on veut dire par « les Démons reviennent » ?
— Qui est ce qui t’as dit ça ?
Je haussais les épaules.
— Je l’ai lu dans le journal, ce matin.
C’était faux bien évidemment, mais personne n’était au courant de ce qu’il s’était passé dans la forêt, à part Madalena et nous. C’était essentielle pour ne pas ramener le Conseil qui surveillerait le château sans intermittence, rendant Ecclésia dépendante de leur service et redevables. C’était ce que la directrice nous avait dit.
Jack se racla la gorge, dubitatif. Mon esprit était impénétrable dorénavant, il ne pouvait plus se fier à mes pensées. J’allais enfin en savoir plus.
Toujours le dénouement qui tue et qui donne envie de savoir la suite.
J’aime bien les petites intrigues amoureuses en parallèle et l’évolution d’Oswin.
Tu as l’art de multiplier les "fils" justement, comme la nostalgie de Tori. Bravo encore!