Une émotion assez forte.
TORI
J’aspirais à autre chose ces temps-ci, à un vent nouveau mais assez puissant pour balayer les coutumes en place. Je voulais montrer au monde ma bien-pensance et mon envie d’apaisement. Je n’allais pas attaquer, ni me défendre de manière déloyale. Car je savais que Basil ne ferait qu’une bouchée des personnes malveillantes à mon égard. Non, je n’aurais pas peur, j’étais animée par mon ambition, celle d’incarner la sécurité et la confiance. Si je désirais devenir politicienne, je me devais d’être irréprochable. Je comprenais l’inquiétude de mes amis, mais j’étais déterminée et prête à souffrir pour y arriver. On ne fait pas d’omelettes sans casser des œufs.
L’idée me trottait dans la tête depuis plusieurs jours, depuis Noël. Ce qui était arrivé à Oswin m’avait rendue folle de rage, je cherchais un moyen de la venger. J’ai d’abord pensé à plusieurs stratagèmes, plus violents les uns que les autres, je voulais faire du mal à Cédric comme il en avait fait à Oswin. Je voulais la venger et calmer cette colère dont j’ignorais l’issue. Puis j’ai croisé Aiden, j’ai voulu connaître son point de vue.
« ― Tu parles du Sorcier.
Le Vampire semblait peu étonné de ma demande. Il buvait un verre seul dans son coin lorsque je l’avais rejoint. Son regard s’était levé doucement sur ma personne, m’analysant doucement. J’étais rarement seule avec Aiden, nous étions souvent en groupe. Je ne le connaissais pas personnellement, je savais seulement qu’il ne me considérait plus comme un « sale Démon ». Nous n’avions que des ententes cordiales.
― Ce ne sont pas nos affaires, Tori.
Je fronçais les sourcils.
― Tu rigoles j’espère ? On parle d’Oswin là, tu ne vas pas rester sans rien faire !
― T’as raison, on parle d’Oswin mais est-ce que tu as vraiment parlé à Oswin ?
Je croisais les bras, la question était idiote.
― Bien sûr que oui.
Aiden secoua la tête, moqueur.
― Apparemment, non. Tu ne sais pas ce qu’elle veut, et ce dont elle a besoin. Mais moi, je sais.
― Arrête de faire le malin, tu as menacé Cédric, toi aussi tu voulais lui rendre la monnaie de sa pièce. Mais ce n’est pas bien méchant, je suis sûr que tu es capable de plus.
Il se mit à éclater de rire et je me sentis idiote le temps d’une seconde.
― Je sais ce que je fais, cela lui a permis d’être sage pendant un moment, c’était tout ce que je désirais. Il souffla lorsqu’il vit mon visage impassible. Ce mec l’a foutu dans la merde et elle se sent mal. Tu ne penses quand même pas que le frapper à mort résoudra tous ?
― Je rêve ou tu me proposes de garder ses actes impunis, tu as peur de lui ?
― J’ai peur de personne l’Humaine. Je suis juste plus malin, attaquer maintenant est risqué, patiente le temps qu’Oswin s’en remette, soit près d’elle et pousse-la vers l’avant.
Il leva son index, et continua :
― Puis, ensuite, tu pourras frapper. Je ne te parle pas d’un simple cassage de gueule, mais de quelque chose de plus évolué. Cédric est issu d’une grande famille, un bleu sur sa belle gueule t’enverras le meilleur Assassin de l’État. Il faut faire attention, et le traumatiser d’une façon irréversible, sans dévoiler ton identité.
Je m’éloignais, Aiden ressemblait beaucoup à Basil, ils étaient tous deux de magnifiques manipulateurs, des meurtriers compétents. J’y pensais parfois, j’avais des amis qui me terrorisaient, des amis qui pouvaient me tuer d’un coup de maître. Des purs produits d’une société individualiste. Pourtant je me sentais en sécurité, je n’avais pas peur pour moi en réalité, j’avais peur pour les autres.
― Tu me suggères de patienter ?
― Je te suggère de laisser cette histoire à d’autres personnes plus compétentes l’Humaine, et ne me sous-estime pas.
Il se mit à sourire, un sourire qui montrait ses deux canines pointus, carnassier, tandis que ses yeux brillaient d’un jaune répugnant. Son aura noire m’apparut, vibrante autour de lui. Elle promettait la mort et un frisson de dégoût me fit faire deux pas en arrière. Il avait un plan, et il voulait faire cavalier seul. »
C’était donc si simple pour Aiden, si habituel. Il savait comment agir et je n’avais pas son expérience, j’étais d’ores et déjà hors-jeu. Étrangement, après cette discussion avec le Vampire, je compris que ma colère n’était pas aussi destructrice que celle de millions de Surnaturelles qui vivaient dans ce monde. Ma vie était un long fleuve tranquille, j’avais la chance d’avoir cette innocence, je pouvais l’utiliser à bon escient. Brutaliser, menacer, détruire, manipuler, utiliser… C’étaient des termes dont je n’étais pas familière, voulais-je devenir comme eux ? Si je le devenais, quelle crédibilité j’aurai ? Comment pourrais-je clamer le pacifisme en ayant agi ainsi ? Ma colère s’était apaisée par la suite et j’avais décidé de ne plus régler mes problèmes par la violence.
J’avais hâte d’en parler à Enki, mais je savais à quel point il était occupé. Le Conseil devait lui donner du fil à retordre. Je lisais beaucoup sur la politique du Canada en ce moment et je m’étais rendu compte de l’immensité de l’iceberg immergé. Le Rohan n’avait aucun pouvoir, à part celui d’une figure d’exemple et de royauté. Similaire aux monarchies constitutionnelles. Le Conseil restait tout de même compliqué à atteindre pour les candidats, et assez secret. L’établissement siégeait à Québec et la majorité de ses membres étaient des hommes âgés de plusieurs siècles aux multiples privilèges. Son accessibilité n’était pas électorale, c’étaient souvent des membres pistonnés, dont les places étaient passées de père en fils.
Ces découvertes m’avaient parues folles à apprendre, comment les Surnaturels pouvaient-ils accepter cette situation, ne voulaient-ils pas recevoir de meilleurs traitements ? Mais ensuite, je me suis rappelé de leur système basé sur la terreur et l’ignorance. La plupart des familles abandonnaient, été tuées ou n’avaient pas les moyens d’emmener leurs enfants dans des écoles qui étaient coûteuses et assez rare, comme l’était Ecclésia. Il n’y avait aucun système scolaire et les mineurs n’étaient pas protégés par l’État. Les enfants n’avaient pas d’éducation politique pour se battre pour leurs droits, ils ne connaissaient que la survie.
Basil était de cet acabit, bien qu’ayant vécu avec sa sœur, le monde dans lequel il avait appris à vivre lui était hostile et incompréhensible, de quoi le détester à tout jamais.
Basil se détestait également mais j’aimais imaginer qu’il appréciait notre compagnie un minimum. Je sentais constamment cette rage bouillir au fond de lui, comme un rocher s’écrasant dans un lac calme, c’était fugace mais présent. Je l’appréciais, c’était notamment grâce à lui que j’avais pu comprendre les rudiments de ce monde, c’était celui qui avait toujours été honnête avec moi.
Je me rendais à mon prochain cours, celui de Jack. Je ne l’avais plus vue depuis deux semaines. Il était grognon mais me rendait de nombreux services, alors j’appréciais parfois sa compagnie. Heureusement pour moi, il semblait dans ses beaux jours et sa patience était moins limitée, pour le moment.
― Dis moi gamine, as-tu déjà entendu parlé des émotions maîtresses des Psychics ?
― Oui, par ma professeure.
― Parfait ! Connais-tu la tienne ?
Je fronçais les sourcils.
― Non. Je n’en vois pas l’utilité.
― Conneries !
Je sursautais avant de souffler, Jack redevenait exécrable en élevant la voix.
― L’utiliser n’est pas une partie de plaisir pour tout le monde, je te l’accorde. Elle est l’origine des traumatismes et la cause de tous nos mots, nous, les Psychics. Néanmoins, elle permet de faire de grandes choses.
― Ou voulez-vous en venir ? Demandais-je en perdant patience.
Jack pouvait être une vraie pipelette.
― C’est un mal pour un bien, l’utiliser te permettra d’être plus puissante dans le Psychisme. Je suis curieux de voir si cette émotion peut intervenir dans tes pouvoirs de Démon, parce qu’il s’agit d’une caractéristique exclusivement Psychic.
― Si c’est le cas, mon émotion maîtresse n’aura rien à voir avec ce cours, répondis-je, catégorique.
― Arrête de faire ta tête de mule et essaie.
Je soufflais de nouveau. Jack voulait que je fasse des étincelles. Mes pouvoirs de glace ne lui suffisaient pas, il voulait voir plus. Honnêtement, je ne pensais pas que l’émotion maîtresse puisse interagir avec ma glace, enfin, je l’espérais. J’avais le pressentiment que cela ne me causerait que des ennuis.
― Comment je m’y prends ? Je demande en capitulant.
― Il faut que tu te remémores tes traumatismes. Oui, oui, c’est idiot mais c’est ainsi, il leva les yeux aux ciels en voyant mon regard stupéfait.
― Pourquoi est ce que la magie implique toujours des choses horribles ? Pensais-je tout haut.
― La magie à un prix et n’apporte rien de bon.
― Vous pensez que nous serions meilleurs sans pouvoirs ?
― Nous serions simplement Humains. Quel ennuie.
J’observais Jack le temps d’une seconde, ses cheveux gris étaient en bataille, il était assez petit mais son buste s’imposait, les traits de son visage étaient durs et marqués par des événements que je n’osais imaginer. Je ressentais une réelle solitude autour de lui, elle s’accrochait au Psychic et était toujours plus ou moins présente. Jack éveillait grandement ma curiosité, mais je ne pouvais lui poser trop de questions sans qu’il ne s’énerve ou ne change de sujet.
Ces paroles me touchèrent, sans pouvoirs, nous serions simplement des Humains, et il trouvait cela ennuyant. Était-ce la magie qui nous rendait violents et barbares ? Si c’était le cas, pourrions-nous changer comme je l’espérais ? J’étais confuse, et énervée de ce constat. Jack repris en écoutant mon silence :
― Bon, il y a un autre moyen. La plupart du temps, il s’agit d’une émotion que l’on redoute, que l’on déteste mais qui persiste, encore et encore.
― Une émotion qui nous trahit ?
Jack hocha la tête.
― Oui. C’est pour ça qu’il est important de la cacher, elle révèle un part de notre identité importante. Mais ce n’est pas toujours celle que tu veux incarner.
― Il suffit de la ressentir ?
― Non. C’est plus complexe. Tu ressens des émotions constamment, ça serait idiot. Il faut l’accepter, et c’est une autre paire de manche.
Je me mis à ricaner, tout était subtil, rien de concret.
― Comment l’avez-vous trouvé ?
Jack tiqua avant de se poser sur le dos de sa chaise. Il me regarda d’un air songeur, il hésitait. Je vis la brèche dans ses yeux et je profitais pour insister. J’allais enfin savoir un épisode de son passé.
― S’il vous plaît, Jack. Cela pourra m’aider à la trouver.
― Je l’ai trouvé par accident. En réalité, c’est ce qui arrive pour la majorité des Psychics. Elle apparaît comme un ange gardien lorsque nous sommes sur le point de mourir.
Oui, Sibylle nous en avait parlé. Cette puissance était utile dans des moments critiques.
― Nous étions en Guerre Civile puérile, j’étais dans l’armée, j’étais jeune et inconscient. Bien sûr, cela peut être une qualité, rajoute-t-il en me lançant un regard équivoque. De toute évidence, ce ne l’était pas dans mon cas.
Je me mis à sourire tendrement en comprenant le sous-entendu de Jack. Il m’arrivait d’être jeune et inconsciente.
― Les Psychics ont toujours été considérés comme des Êtres puissants et inégalables, ce qui est faux. Mais j’aimais me conforter dans ces compliments. Je me fichais du danger, je ne pensais pas qu’il pouvait m’atteindre, jusqu’à ce qu’une Louve incroyable me bouffe la jambes en plein champ de bataille. Je ne l’avais pas vu venir, elle était rapide, forte et silencieuse. Une tueuse à gage comme je n’en avais jamais vu.
Jack ne semblait pas se morfondre dans ce souvenir, au contraire, il le chérissait.
― J’étais la cible à abattre, car le seul Psychic. Elle m’a rongé la jambe jusqu’à l’os. Jack remonta son pantalon ample pour présenter sa jambe de bois. J’ouvris grand les yeux, surprise de ne pas l’avoir remarqué.
― Oui, avec plus de cent cinquante ans d’expérience, on finit par s’habituer.
― Mais, vous auriez bien pu la mettre hors de nuire avec vos pouvoirs, non ?
Jack se mit à rire en replaçant sa jambe sous la table.
― La panique m’empêchait de faire quoi que ce soit. J’étais sur le sol en train de me débattre sans pouvoir concentrer ma magie sur un point. Puis elle était douée, esquivait tout en gardant sa proie dans sa gueule. Je me souviens encore de son pelage blanc teinté de sang. Mes larmes se mirent à couler et ce fut comme si j’étais contrôlé comme une marionnette. Une onde de choc envoya la Louve valser à plusieurs mètres. J’étais incapable de me lever mais un de mes camarades m’extirpa de la boue avant qu’elle ne revienne à la charge.
― Et vous me demandez de la révéler aujourd’hui ? Il vous a fallu qu’on vous mange une jambe entière avant de l’activer.
― Certes mais je porte beaucoup d’espoir en toi.
Ce fut mon tour de rire.
― En quel honneur ?
― Arrête de poser des questions idiotes.
Je fermai les paupières en cachant maladroitement mon sourire. J’ignorais en tout point comment m’y prendre. Jack me demandais un exercice que lui-même n’avait pas réussi. Je pensai alors à mon enfance, je cherchais un événement. Mes souvenirs, étaient flous, ce qui ne m’aidait pas. Je me remémorai l’anniversaire de Manon avec ma mère. Je me mis à ricaner, c’étaient des moments que je trouvais comique aujourd’hui. J’avais fait peur à des gamines de six ans.
― Ne commence pas à t’étaler, il faut te concentrer, Jack me remis en place en me voyant hilare.
― Je suis désolée, Jack. C’est inutile, je ne sais même pas par où commencer. Les souvenirs de mon enfance sont compliqués.
Jack ne me lâcha pas avant une bonne heure, essayant par tous les moyens de déterrer cette foutue émotion maîtresse. Je savais bien qu’il voulait satisfaire sa curiosité mais je ne pouvais lui donner ce qu’il voulait en un claquement de doigts. Je ne m’en sentais surtout pas capable sur le moment.
En sortant de la pièce, je me demandai quelle était l’émotion maîtresse de Basil.
Si c’etait moi ça serait la colère.
Donc Cédric a fait du mal à Oswin.
Tori veut la venger, mais ses désirs de violence ne s’accordent pas avec sa volonté d’aller en politique pour pacifier le monde. Elle est donc habitée par un conflit intérieur.
Sa rencontre avec Jack est possiblement un élément déclencheur. Tori cherche son émotion dominante. Gageons que ça a à voir avec son indignation face à l’agression de Cédric sur Oswin. Il faut que ce soit lié, n’est-ce pas ? Sinon… on a lu ça pour rien. Hé hé !
C’est globalement un assez bon début. Les enjeux sont là, on a de quoi mordre. Tori veut (Désir)devenir politicienne pour pacifier le monde, elle a une compréhension des peuples anormaux (vampire, etc.) et des facultés de psychic seraient un avantage. Elle a cependant peur de découvrir sa dominante. Alors, allons-y avec elle !
Coucou @O. DeJavel c’est super gentil d’avoir analysé ce chapitre et tu l’as bien compris ! mais j’ignore si tu sais qu’il s’agit du 23e chapitre de l’histoire, alors c’est loin d’être le début pour notre Tori ahah mais je suis heureuse que tu as partiellement compris en ayant lu ce chapitre :’) Merci beaucoup !