Une nuit calme, un ciel dégagé affichant le plein visage d’une lune écarlate au milieu du scintillement étoilé de la pénombre céleste. Un léger vent, faisant frémir les arbres d’une dense forêt et virevolter dans une valse nocturne leurs feuilles les moins accrochées. Au loin, retentissait le bruit sourd du clocher d’un petit village, alors que la forêt, elle, s’emplit d’une toute autre agitation…
Quelques mètres sous la terre d’un petit coin déboisé, où la végétation et le sol semblaient étrangement pauvres, s’ouvrait une grande cavité aménagée en tombeau, les torches, enduite d’un liquide noirâtre, fixées aux parois, s’enflammèrent une à une. Le centre du tombeau fut bientôt éclairé d’une lumière tamisée, laissant apparaître une stèle de granit surmontée d’un linceul poussiéreux semblant recouvrir un corps…
Combien de visages ai-je croisés ? Combien de vies ai-je à jamais changées ? L’existence n’est faite que de rencontres, certaines d’entre elles restent gravées dans nos mémoires dans ce que l’on nomme précieusement le souvenir, d’autres se dissipent dans le brouillard du passé, et pourtant, pourtant… Chaque visage, terrorisé ou offert, ayant croisé mon chemin éternel a laissé son empreinte indélébile en moi… Chacun d’entre eux, basculant en un instant de la vie au trépas ou mené sur un chemin bien plus distrayant que la mort, s’amoncelant dans mon esprit… Quelle ironie… Me souvenir du nom de chacun d’entre eux, du goût de leur sang respectif mais n’avoir aucun souvenir du nom que mes géniteurs m’ont donné… Mais je m’en contente… Le Divin m’a privé de nom, refusant par là même mon existence corrompue à ses yeux…. Le repos m’était nécessaire, me rapprocher le plus possible de cet état dont le Ciel m’a privé afin de ne pas sombrer dans la folie…
Allongé sur la stèle froide, j’ai laissé mes yeux se fermer… Résister à cette soif grandissante en moi, sentir chaque cellule de mon corps se nécroser lentement… Etat paradoxal que celui -ci, se laisser mourir tout en restant suffisamment concentré afin de réussir à garder simplement le peu de sang nécessaire dans mes veines afin que mes chairs ne se décomposent pas entièrement… et goûter finalement au repos, libérer mon corps de tout ces visages… laissant mes infants répandre mon sang.
Mais à présent, un sentiment tout autre a envahi mon esprit…Qu’est-ce…?
Douleur lancinante emplissant mes sens… hurlement sanglant déchirant mes tympans… Amer goût arrachant ma gorge…
Mon essence m’appelle…
Cela ne peut être confondu…
Mon sang est perturbé… Il s’égare… Se raréfie… Les anciens cultes sont oubliés… Me suis-je reposé trop longuement ?
Quelle sensation…. Eveiller ce corps aux chairs desséchées, suintant la malédiction du Divin à travers chaque pore de son épiderme fripé. Remettre en circulation le peu de sang noir stagnant depuis des éons dans mes veines. Je le sens parcourir chacune d’entre elles, se frayant un chemin à travers leur rigidité et celle de mon corps, abreuvant chaque muscle momifié…Et enfin, je peux apprécier ma première bouffée d’air, expérience semblable à celle du nouveau né braillant lorsque ses poumons se gonflent pour la première fois. Bien que la sensation soit identique, mes yeux sont depuis longtemps asséchés, vitreux… mais bientôt… bientôt oui, ils retrouveraient leur couleur crépuscule… Mes membres tétanisés se remettent lentement en mouvement. Chacun d’entre eux, encore mal coordonné, me faisant part de leur faiblesse d’une déchirure parcourant mon échine… L’air vicié de mon tombeau, empestant le renfermé et la putréfaction, réveille mes capacités olfactives, quelques insectes parcourant sa surface minérale, agacent mes oreilles comme le grondement d’un orage, ma vision floue se précise peu à peu, fixant ces torches aux flammes atypiques se nourrissant de mon sang éternel pour ne jamais s’éteindre….
Mon corps de vieillard affaibli, titube, traine les pieds sur la pierre froide, ma gorge est si sèche… Que ce dédale de couloirs peut être long… Je te sens Nuit, tu as déja étendu ton manteau, tu es toute proche…. Oui, voilà… Je sens ta légère brise caresser ma peau, tu me guides… Enfin j’aperçois tes filles, brillantes telles des pierres précieuses dans ton ciel noir…. Tu n’as pas changé… Que ta sombre clarté est douce après toutes ces années….
Ha… Que j’ai maintenant hâte de combler mon odorat des fines senteurs nocturnes, de l’odeur du sang frais projeté avec force par un coeur vigoureux, accélérant son rythme à mon approche, lui donnant ce subtil gout d’adrénaline… Mon ouïe se languit des clameurs de la nuit, des plaintes suppliantes de ces humains s’éteignant doucement d’un spasme incontrôlé dans mes bras, alors que je leur offre leur dernière étreinte… Qu’il me tarde de revoir cette lueur dans leurs yeux, apeurée et soumise, consciente de leur fin imminente… Et surtout, ô combien grande est mon impatience de pouvoir apaiser ma gorge de leur sang, sentir leur peau offerte à tous les supplices s’ouvrir sous mes dents, ressentir la chaleur de leur chair pénétrée et la sensation de leur vie jaillissante, innondant mon corps de cette étincelle dont leur Dieu m’a privé….
Douce Nuit… Ton amant s’est réveillé de son trop long sommeil… Préviens nos enfants perdus du retour de leur Père…
Effrayant et tellement bien écrit.
Mes respects à l’auteur.
Très bien écrit!