Ego

5 mins

Bénie soit ma beauté !

Elle m’a tant apportée… Je revois encore mon père me dire : ” Tu es belle ma fille, mais cette beauté ne te sera d’aucune utilité en cas de problème”.

Quel idiot ! 

Peut-on connaître plus grand problème que celui que nous traversons en ce moment ? Les morts reviennent à la vie, les gens disparaissent dans l’ombre, une créature plus étrange encore y rôde, mais même elle est séduite par ma beauté.

Je l’ai vue me sourire !

Et ces hommes… Imbéciles qui se sacrifient dans l’espoir d’avoir mes faveurs… Un simple regard amical rend leur fin plus douce… S’ils savaient que je suis bien heureuse qu’ils meurent pour moi, mais que je ne leur en suis même pas reconnaissante !

Il n’y a qu’une seule personne que j’aime : moi.

Je suis ma seule préoccupation. Si une autre femme essaye de me faire de l’ombre, il m’est très facile de trouver un homme éperdu de ma personne pour me remettre pleinement en lumière… Peu importe les moyens.

Si les gens savaient qui était réellement responsable de l’agression de ma soeur… Pourquoi son agresseur s’est appliqué à lui défigurer le visage… Bien sûr, je n’ai pas voulu qu’elle meure, c’est tout de même ma soeur. C’est tellement plus agréable de la voir me remercier de rester à ses cotés, de la voir se désoler d’enlaidir ma compagnie… Bref, elle connaît sa place.

Ainsi, je renforce également mon image auprès des gens, qui voient en moi une soeur d’une grandeur d’âme absolue, s’occupant de sa pauvre cadette mutilée et traumatisée… Parfois, il me semble qu’elle sait qu’elle me doit son état. Mais quand bien même, qui la croirait ? Se plaindre ne serait qu’ingratitude et jalousie.

Cette nuit encore, je m’en sors parfaitement : alors que le monde tente de fuir, un noble qui rêvait de m’épouser m’a ouvert les portes de sa demeure. Je l’ai vu se faire entrainer dans les ombres par deux cadavres puants. Il m’a tendu une main, j’ai évidemment fermé la porte sur ses doigts. J’entends encore ses cris mêlant horreur et colère… Que pensait-il ? Que j’allais me porter à son secours alors que j’étais en sécurité ?

Je suis à l’abri, il a rempli son rôle.

Un peu plus tôt, c’est ma soeur qui s’est interposée pour se sacrifier. Je n’oublierai jamais ce regard de gratitude qu’elle avait. Même si, pourtant, un instant, je crus y voir un sentiment de tristesse que je n’ai pas su traduire…

Peu importe. Je suis vivante, c’est tout ce qui compte.

Je suis tout ce qui compte.

C’est une belle maison… Quand les secours viendront, je pourrai toujours dire que le noble vivant ici avait enfin réussi à me courtiser. Son attirance et ses vaines tentatives à mon égard étaient de notoriété publique. Au pire, je pourrai jouer de séduction pour convaincre les plus sceptiques… Je devrais réussir à m’approprier cette demeure sans mal. En attendant, je suis en sécurité ici. Je n’ai plus qu’à attendre. 

Le temps devient long.

Depuis combien de temps suis-je ici ? Une heure ? Un jour ? Je n’arrive pas à savoir, et n’ai aucune envie de regarder dehors… C’est de toute façon trop long. Je suis dans une des plus importantes maisons de la ville. Les secours doivent commencer par ce genre de lieu, ils ne vont quand même pas se préoccuper avant tout des bas fonds de la cité…

Enfin… Ma compagnie me suffit.

J’ai tout le loisir de visiter ce lieu, de m’amuser des belles robes que j’y trouve, de m’admirer devant les grands miroirs, et de me moquer de ces portraits féminins tous plus laids les uns que les autres. Je me demande si le meilleur des artistes serait capable de restituer sur une toile ma beauté…

Impossible. Jamais je ne poserais. La toile finirait par s’abimer et mon image par se détériorer… Non, je préfère encore rester un souvenir dans l’esprit des gens, qui témoigneront de ma beauté. Ainsi, je resterai toujours la même dans leur mémoire. Mieux encore, chacun me visualisera et je serai la femme idéale de tous jusqu’à la fin du monde !

Ce bain m’a fait le plus grand bien. Ma peau était souillée de terre et de sueur. Voilà pourquoi je déteste courir.

Mon corps nu se reflète dans le miroir de la salle de bain. C’est le moment que je préfère : sa perfection est tellement criante, ses courbes parfaites, les contours fins, il n’y a rien à redire… Et l’odeur de ma peau légèrement parfumée par le savon… Tant d’hommes et de femmes me désirent ! C’est compréhensible, mais il n’y a qu’une seule personne à qui je désire m’unir : moi. Alors, comme toujours, mes mains s’égarent sur ma peau, mes lèvres se promènent sur mes épaules, mes bras… Je ferme les yeux et je m’imagine être double… Seule à connaitre les secrets de mon corps…

Soudain, une cavalcade devant la salle de bain me tire de cet instant. Un animal ? Non, je connaissais l’homme qui vivait ici, il avait une horreur absolue des animaux. Quelqu’un alors ? Peut-être ne l’ai-je pas entendu et en a-t-il profité pour m’observer ? Non plus, impossible, je suis certaine d’avoir vérifié et consolidé toutes les issues…

De nouveau, une course folle, semblant venir du toit, attire mes yeux vers la fenêtre, je regarde dans la rue et entrevoit l’horreur d’un homme en train de se faire dévorer…

Je comprends à cet instant que personne ne viendra.

Je recule jusqu’au mur moite de la vapeur du bain, m’agenouille… Est-ce cela qui m’attend ? Finir dévorée par ces créatures abjectes ? Mon magnifique corps servant de festin dans leurs bouches cadavériques ? Non, cela ne se peut pas, je ne le permettrai pas…

De nouvelles ruées se font entendre, des coups violents. Cette fois, aucun doute, ils sont entrés… Je vais… Je vais…

Non ! Je le refuse !

Je fouille dans la salle de bain, et trouve finalement une paire de ciseaux fins… Bien maigre comme arme… Les serrant fermement je m’accroupis dans un coin de la pièce, seule face à mon reflet, le parfum du savon m’enivrant…

Ce n’est pas le moment… Résiste-toi !

Mon attraction pour moi-même est décidemment trop forte, mon corps replié sur lui même, mon reflet nu dans le miroir…

Même apeurée, je reste décidemment si belle !

Personne n’a le droit de profiter de ce corps à part moi…

Je ne peux pas concevoir que ces êtres abjects, putrides et terriblement laids promènent leurs mains rugueuses et crasseuses, leurs bouches monstrueuses et puantes sur ma peau immaculée !

Mes yeux se perdent dans le miroir, je ferais un mets de choix pour ces choses, c’est certain. Je dois avoir un goût à la hauteur de ma beauté… Ils ne peuvent pas…

Je suis mienne…

Alors, lentement, ne lâchant pas mon reflet des yeux, je trace un sillon sanglant sur ma cuisse, souriant à l’idée que, même teintée de sang, ma peau reste la plus belle…

Personne, j’ai dit, n’a le droit de profiter de ce corps à part moi !

Je me suis toujours nourrie de moi même. Mes joies, les tristesses et les envies que je suscitais, le plaisir que je me donnais en me caressant, tout à toujours tourné autour de moi. Ce sublime corps de chair nourrissant mon esprit…

Petit à petit, lambeau après lambeau, aussi longtemps que je le pourrai, je pousserai cette doctrine à son paroxysme…

La première bouchée fut la plus difficile. Mais je suis heureuse de constater que ma beauté n’a effectivement d’égale que ma saveur…

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1 Commentaire
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DeJavel O.
2 années il y a

Oh ! La finale est sublime !

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