Vindicta : Chapitre V

4 mins

Une légère brise s’infiltrant par les fenêtres ouvertes, faisait onduler les rideaux, projetant des ombres dansantes sur les murs de la chambre par cette nuit claire de presque pleine Lune. 

Il ne savait pas ce qui l’avait réveillé, mais il se doutait que c’était encore un de ces cauchemars récurrents. Cette impression d’oppression dans sa poitrine… De peur. Il ne se souvenait que du premier de cette longue série. Il avait ressenti la même sensation en se réveillant en sursaut. Depuis, il n’avait aucun souvenir de ces mauvais rêves, mais la sensation elle, ne changeait pas. Durant des années, il n’avait pourtant pas rêvé une seule fois de cet enfant aux yeux étranges qu’il aimait tourmenter lorsque lui-même était jeune.

Enfin, “tourmenter” était un bien grand mot. Il ne savait pas si ses moqueries, bousculades, insultes avaient un réel effet, tant l’autre restait de marbre.

Pour tout dire, il n’avait rien de particulier contre lui, juste un statut parmi les enfants à tenir. Son père dirigeait une équipe de mineurs, la vingtaine d’hommes qu’il avait sous ses ordres le respectaient. Rien de plus normal donc que lui-même soit respecté par les autres enfants, dont certains étaient les fils de ces mineurs travaillant pour son père.

Ce père si fier et autoritaire, que son fils devait appeler Monsieur George, et vouvoyer. Ce père qui interdisait même que quiconque appelle son fils autrement que “Georgie” tant qu’il n’aurait pas prouver être digne de porter le nom de son père. Ce père donc, il l’avait vu, une seule fois, courber l’échine devant un autre homme. Dantes de Katre, le père de Vincent. Dès lors, il avait vu en cet autre enfant, un ennemi menaçant sa position. Sa famille était connue de tous en ville, il n’aurait aucun mal à prendre sa place, s’il le voulait.

Hors de question.

Il avait commencé à le taquiner pour le tester. Aucune réaction. Il allait donc toujours un peu plus loin. Tout en s’abstenant de le toucher directement. Il ne fallait pas qu’il aille tout raconter. Son père avait suffisamment de mauvaises excuses pour le frapper comme ça. Une petite routine quotidienne se mit en place, visant  à lui rappeler qui était le chef entre eux.

Jusqu’au jour où elle s’en était mêlée.

Véronica. Cette gamine était plus jeune que lui, et lui était inférieure de plus d’une tête aussi. Pourtant, alors qu’il venait de nouveau d’insulter Vincent quant à ses yeux, elle s’était plantée devant lui, et avait commencé à lui crier dessus. Il avait été tellement surpris, qu’il ne comprenait même pas ce qu’elle disait. Et surtout, il entendait les rires des autres gamins derrière lui. Ils se moquaient. De lui, de son air penaud. Comment osaient-ils ? Comment osait-elle ?

Il n’avait jamais frappé de fille. Il ne pensait pas le faire un jour. Mais, son père se privait-il de le faire quand sa mère lui manquait soi-disant de respect ? Il ne pouvait laisser cette gamine l’humilier davantage !

Il ferma le poing, prêt à frapper lorsqu’il les croisa. Les yeux de Vincent. 

C’était la première fois qu’il le regardait aussi directement. Il eut l’impression d’être transpercé. Que son âme était arrachée un instant de son corps. Les rires redoublèrent, et Véronica s’était tue. Elle affichait même un air gêné. Il ne comprenait pas, jusqu’à sentir la chaleur couler le long de ses cuisses… Il ne baissa pas les yeux, il ne voulait surtout pas voir cette auréole qu’il devinait, assombrissant son pantalon.

Déjà, les surnoms moqueurs jaillissaient parmi les spectateurs de sa déchéance. Car c’était terminé pour lui. Il ne dit jamais que Véronica n’était pas la cause de cet accident. Peu importe qu’on se moque de lui quant à sa prétendue peur d’une fille. Il voulait désormais tout oublier.

Se faire oublier.

Tous ces souvenirs le submergèrent à sa grande surprise. Cela faisait pourtant plusieurs années. Des histoires de gamins. Véronica n’était même plus…

Un bruit attira son attention et brisa sa pensée. Il était persuadé d’avoir entendu la porte de sa chambre se fermer à l’instant. Il la scruta longuement, mais rien.

Il décida tout de même de se lever. Il avait un pressentiment. Un mauvais pressentiment.

La demeure familiale était plongée dans la pénombre. Normalement, il y avait toujours des cierges allumés, même durant la nuit. Du haut des escaliers, il tenta de percer les ténèbres encore plus denses du rez-de-chaussée. Il avait l’impression de discerner des silhouettes, petites… Des enfants ? Se moquait-on encore de lui ?

— Qui est là ? demanda-t-il en maudissant son manque d’assurance, et espérant que ses domestiques l’entendent et viennent à sa rencontre. Aucune réponse.

Le mépris des enfants lui revint en mémoire. Aurait-il peur du noir en plus des filles ?

Il décida de descendre. Mais ce qu’il trouva lui fit regretter que ce ne soit pas la bande d’enfants moqueurs de ses cauchemars.

Ils étaient tous là. Les employés de maison, et même ses parents. Tous à genoux, regardant tous dans la même direction. Il eut une nausée et bénit la nuit d’atténuer la vision.

Des gargarismes abjects s’échappaient de leurs bouches ouvertes couvertes de sang. Ils avaient les mains plaquées sur le visage, les doigts écartés laissant voir leurs yeux écarquillés, apeurés, agonisants.

Une mise en scène macabre les figeait dans cette position, comme refusant d’assister à un spectacle obscène qu’une curiosité malsaine les pousserait toutefois à épier en secret, à l’abri de doigts légèrement écartés…

Il remonta rapidement à l’étage, réflexe stupide s’insulta-t-il intérieurement en songeant qu’il aurait mieux fait de se diriger vers l’entrée. Le souffle coupé par l’ombre se trouvant là, il redevint soudainement l’enfant qu’il était. Encore cette sensation sur ses cuisses… Il baissa la tête, tomba à genoux, et pleura alors que les pas se rapprochaient calmement de lui.

— Je n’y suis pour rien… S’il-te-plait… Pas moi…

Les pas continuèrent. A aucun moment, Georgie nenvisagea de se battre. Un étage plus bas, tous les témoins avaient le regard dirigé vers eux. Ils auraient préféré être aveugles, ou déjà morts.

Le jardinier les trouverait tous le lendemain matin, mais ce n’est pas l’étrange mise en scène des témoins qui alimenterait ses cauchemars pour les nuits à venir.

Ce qui avait poussé sous leurs yeux à l’étage était bien pire.

( à suivre.. )

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2 Commentaires
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Smits Annick
2 années il y a

Waw ! Je savais que ça allait vite devenir plus angoissant … la suite, vite 😛

DeJavel O.
2 années il y a

Georgie est dans la mélasse. Mais quelle mélasse ? C’est ce qu’on se demande… Faudrait lui montrer que faire dans son froc n’arrange rien!

Nous comprenons que ceux qui regardent à travers leurs doigts seront au cimetière demain. Pauvre Georgie !

(La maison avec la palissade, c’est bien celle de l’ermite ? Que de mystères…)

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