“Ta sœur ne reviendra pas.”
La phrase de sa mère sortit d’un coup, après un long silence maîtrisé. Elle avait tenté de la vider de la moindre émotion, mais les tressaillements dans sa voix ne trompaient pas.
Elle ne reviendrait pas, et il n’entendrait même plus jamais son nom au sein de la famille brisée.
Quelques mois plus tôt, sa grande sœur n’était pas venue le chercher à la sortie de son école, comme elle le faisait à chaque fois qu’elle terminait ses cours au collège voisin à temps. Elle venait d’y entrer, et son jeune frère qui avait jusque-là l’habitude de la voir tous les jours dans la cour, avait eu la sensation d’être abandonné.
Elle était grande désormais comme disait ses parents, il le savait, mais il appréciait qu’elle lui accorde encore un peu de temps.
Ce vendredi, il l’avait attendue en vain. Il avait vu les parents retrouver leurs enfants, ou les nounous se préparant à un babysitting de quelques heures. D’autres, ayant des parents plus confiants, rentraient même seuls.
Cela ne se produirait plus.
C’est finalement son instituteur, s’étant attardé pour discuter avec ses collègues, qui remarqua le garçonnet solitaire, et fit appeler ses parents.
L’enfant avait alors assisté à un ballet d’inconnus défilant chez lui. On lui accordait des sourires de façade. On parlait tout bas en sa présence ou on lui demandait d’aller jouer ailleurs.
Mais il ne jouait plus depuis ce jour-là.
On lui posa même des questions dont il n’avait pas les réponses, malgré les regards suppliants de ses parents, comme s’il pouvait détenir un secret qui soulagerait tout le monde. Mais…
Non, il n’avait remarqué personne et ils n’avaient pas parlé à des inconnus, même pour indiquer un chemin.
Non, sa sœur n’avait pas de problèmes avec leurs parents.
Non, il ne savait pas si elle avait un ami très proche.
Il ne comprenait pas tout, mais il connaissait les policiers, ce qu’il représentait. Il pouvait ressentir l’inquiétude de ses parents, et il les entendait même pleurer parfois.
Mais surtout, elle n’était toujours pas là.
Au début, il y avait aussi les gens avec les caméras. Eux, il ne les aimaient pas. Ils demandaient toujours à sa mère ou à son père, de dire ce qu’ils ressentaient, de s’adresser à sa sœur absente, ou à quelqu’un qui aurait pu savoir où elle était.
Qui était peut-être avec elle.
Ils arrêtèrent de venir assez vite. Il avait entendu son père dire ” le drame d’une autre famille nous soulage au moins de ces connards”
C’était la première fois qu’il entendait son père sortir un mot interdit, sans même se soucier de sa présence juste à côté.
L’agitation se calmant, il ne resta que la détresse. Ses parents ne savaient plus comment se parler, et finirent par lutter contre leur désespoir seuls de leurs cotés. Ils tentaient de ne rien montrer au jeune garçon, mais il n’était pas dupe.
Et puis un jour, une policière qu’il avait souvent vue, se représenta. Elle parla un peu, et ses parents se mirent à pleurer.
Une heure plus tard, sa mère était venu le voir et avait sorti ces quelques mots.
“Ta sœur ne reviendra pas”
Elle l’avait pris dans ses bras avant qu’il ne pose la moindre question, puis l’avait laissé.
Elle avait été retrouvée. Enfin. Trois mois après sa disparation. À moins de 10Km de chez eux.
Dans la forêt.
Le village entier s’était réuni pour les obsèques. L’adolescente fut enterrée sous des centaines de gerbes de fleurs et de mots de compassion.
On ne l’oublierait pas.
On penserait à elle.
La conclusion tragique rameuta les caméras, et leurs questions toujours aussi stupides. Cette fois, son père fut beaucoup moins patient avec eux. Cette fois, ça ne servirait à rien de montrer sa détresse à une eventuelle fugueuse, ou pour émouvoir un pervers. Il n’avait jamais vu son père se battre. La police dut l’amener à l’écart pour le calmer.
Cet accès de colère lui valut des soupçons.
D’autant plus que sa sœur n’avait “rien” subi. Il ne savait pas ce que cela voulait dire, mais cela semblait permettre de penser que ses parents devenaient suspects.
Cela n’arrangea pas la vie du couple qui finit par se séparer. Il suivit sa mère, quittant la région. Son père disparut à son tour de sa vie. Il se contenterait de quelques cartes pour son anniversaire, qui auraient de plus en plus de retard au fil des années.
Avant de partir, ils s’arrêtèrent au cimetière. Les fleurs sur la tombe de sa sœur étaient déjà moins nombreuses, mais toujours magnifiques.
Il ne les reverrait pas avant des années…
…
Il n’avait pas pensé à tout ça depuis longtemps. Dix ans.
Mais à cet instant précis, cela déboula dans son esprit comme un placard trop chargé que l’on ouvre sans précautions. Il avait arrêté sa course d’un coup et regardait, incrédule, ce que le sentier forestier qu’il avait l’habitude de parcourir au petit matin, venait de libérer de l’emprise de ses feuillages latéraux.
La jeune fille tomba à genoux, l’air hagard, se retournant aussitôt vers les bois dont elle venait de s’extirper, reculant sans se relever, jusqu’à ce que son dos heurte un tronc de l’autre côté.
Elle tourna subitement la tête vers lui, et se mit à hurler.
(à suivre)
Oula ça promet encore bien des angoisses cette histoire … j’aime beaucoup.
Oh ! (je ne sais pas quoi dire d’autre pour manifester ma surprise et mon interrogation)
C’est un très bon début de roman, vous avez su capter mon envie d’en savoir plus! Merci
oh… vite la suite…
J’adore, je vais vite lire la suite !!!