Le temps s’écoule inexorablement.
À l’approche de mon crépuscule, je ne peux plus que regarder derrière moi.
Au commencement du chemin que j’ai parcouru, il y a encore la lumière.
S’il m’était donné la possibilité de parler à cet être lointain encore baigné dans l’aube de sa vie, que pourrais-je lui dire ?
Que pourrais-je TE dire ?
On a l’habitude de dire que l’enfant que nous étions, juge l’adulte que nous devenons.
Toi, tu devrais me juger ? Je ne suis que la conséquence de tes actes.
Il est indéniable que nous sommes deux personnes différentes. Je suis la progéniture de tes choix. Des expériences que tu vivras, et de la manière dont tu y feras face.
Combien d’enfants du destin engendreras-tu ? Ils se sacrifieront tous jusqu’à moi. Somme fatale de toutes les erreurs que tu commettras.
Oui, c’est bien toi, qui es ma génèse. La vie que tu vivras me définit aujourd’hui.
Je ne te reproche rien.
Je ne regrette rien. J’existe grâce à toi.
D’autres décortiquent déjà suffisamment ta vie. L’image qu’ils ont de moi, est ce que tu en feras.
Des moments cruciaux se présenteront à toi. Choisiras-tu encore la même solution ?
Bien sûr, à cet instant, tu n’auras aucune idée qu’elle ne sera que la première.
Pour toi, elle sera la seule.
Si le temps peut s’arrêter, alors elle le sera. Sinon, la liste sera de nouveau longue, et je naîtrai inévitablement.
Auras-tu d’autres choix ? Suis-je l’inévitable conclusion de l’histoire que tu écriras ?
Peut-être, peut-être…
Comme je te l’ai dit, je ne t’en veux pas. Si tu ne fais pas ces choix… Alors, peut-être qu’aujourd’hui, ce corps ne serait habité que par un paisible grand-père aux mains couvertes de la terre de son potager.
Moi, je suis ici.
Faisant face à la colère, à la tristesse. Mes mains ne sont pas couvertes de terre, mais du sang de toutes les victimes que tu feras.
Dans quelques instants, l’assemblée se sentira soulagée, leurs proches vengés.
À travers ma mort, c’est ton existence qu’ils veulent conjurer.
Pour eux, nous sommes la même personne. Ils ne se posent même pas la question.
Te souviens-tu lorsque, plus tôt, j’ai parlé de ta première victime ? Permets-moi de revenir dessus.
Tu es ta propre première victime. Et en cela, tu feras de moi ta dernière.
Mais autour de moi, ils ne le réalisent pas. Pour eux, celui qui est assis sous le pommier de son grand-père, faisant rouler les fruits pas mûrs le long de la colline, est le même que celui qui a ôté plusieurs dizaines de vies.
Alors, à toi qui vivra avant moi, je te le demande. Si tu pouvais me connaître, suivras-tu cette pomme jusqu’à la rivière ?
Détourneras-tu le regard de cette merveille dorant sa peau les pieds dans l’eau claire ?
Cette pierre pèsera-t-elle aussi lourde ? Ton cœur s’emballera-t-il de crainte ou d’excitation ?
Je connais la réponse. Tu traceras ton chemin. Les ténèbres t’attendront, comme elles m’attendent, avides de refermer leurs griffes sur celui qu’elles guettent depuis si longtemps.
Elles me contemplent et n’ont rien d’accueillant. Mais, tu devras devenir moi pour t’en rendre compte.
Bien, j’ai assez parlé. Ils m’attendent.
Quant à vous, ne me regardez pas comme ça. Laissez donc cette fantaisie à celui qui ne sera bientôt plus.
Laissez-moi avertir cet innocent.
Après tout, vous êtes tous nés du meurtre de votre passé.
Au final, combien de fois nous tuons-nous nous-même jusqu’à ce que notre vie s’achève ?
Oh … joli mais ça fait un peu peur quand même …
Mais j’aime beaucoup ^^
Très juste, très fin, très cynique aussi ! J’aime particulièrement la phrase : « Suis-je l’inévitable conclusion de l’histoire que tu écriras ? » Et les deux dernières aussi…
Bravo Antho CLEST !