– Bonjour ! Erwann, je présume ? Ravie de te rencontrer enfin, commence-t-elle d’un ton enjoué.
– Enchanté Gwendoline, répondit-il essayant de masquer sa nervosité.
– Tu peux m’appeler Gwen, ajoute-elle avec un grand sourire.
Voyant qu’elle porte à bout de bras deux sacs volumineux, il propose :
– Donne-moi le plus gros, s’il te plaît, je vais m’en charger.
Surprise, elle acquiesce et le dépose à ses pieds. Il s’en empare comme s’il s’agissait d’une broutille et le jette sur son épaule d’un geste assuré.
Il est dix-neuf heures et s’ils veulent profiter de la belle lumière dorée, ils doivent y aller. Entreprenante, Gwendoline l’entraine déjà vers le pont, tout en entamant la conversation, pour le plus grand bonheur du photographe, qui l’écoute attentivement.
Elle lui explique pourquoi elle connait bien ce secteur :
– J’ai grandi dans ce quartier. Quand j’étais petite, mon grand frère venait jouer ici au foot avec les gars du FC Nantes.
Trop occupé à tenter de dominer son stress, le photographe ne relève pas le trouble qui s’empare d’elle à l’évocation de ce souvenir.
Côte à côte, ils arrivent aux pieds du grand escalier. Erwann commence à monter les marches le premier car on lui a toujours appris que c’est l’homme qui précède la femme afin d’éviter d’avoir les yeux sur son postérieur.
La superstructure est presque intégralement recouverte de tags et de graffitis, ce qui en fait l’endroit idéal pour un shooting « Urbex » avec vue sur la Loire au coucher du soleil. Le temps est très doux en ce début de printemps et les couleurs commencent déjà à se réchauffer de leur teintes orange et rose à mesure que le soleil descend sur la ville. L’atmosphère est sereine, propice au style de clichés qu’ils souhaitent réaliser.
Ils arrivent au sommet, essoufflés.
– Ok, ça c’est fait, plaisante le photographe qui commence à sentir ses poumons le brûler.
Erwann pose ses affaires sur le béton, enlève son blouson beige de type aviateur pour se mettre à l’aise et ne pas entraver ses mouvements. Tout en discutant des idées de photos qu’ils ont déjà évoquées, il sort de son sac en bandoulière un très bel appareil photo noir et gris.
Gwendoline l’observe attentivement et remarque ses beaux cheveux bruns, qu’elle imagine mi- longs. Ils sont attachés en chignon sur le sommet de sa tête, dévoilant toute la moitié basse de son crâne rasé de frais. Avec le vent, quelques mèches éparses se sont échappées. Ses yeux sont d’une jolie couleur noisette, en amande, avec des cils et des sourcils bruns plutôt fournis.
Comme sur les photos de son profil, Erwann est barbu, et de toute évidence, son passage chez le barbier est récent car la ligne de ses joues et de son cou est nette et bien dessinée. Il porte un jean bleu brut avec des boots camel en cuir vieilli, un tee-shirt blanc et un pull col V bleu ciel.
Le détail qui l’intrigue le plus est son cou tatoué, dont elle n’arrive pas à voir le dessin à cause de son foulard. Elle tourne alors son attention sur ses boucles d’oreilles qu’il porte de chaque côté et ses nombreuses bagues au doigts.
Gwendoline a toujours eu un faible pour les hommes qui portent des bijoux. Erwann est d’autant plus attirant qu’elle se souvient qu’il a indiqué sur son profil Facebook qu’il était célibataire. Une information qui ne lui a pas échappée.
Focalisé sur ses préparatifs, Erwann ne remarque pas l’intérêt qu’elle lui porte. Il commence à régler son outil en faisant quelques prises de vue.
La jeune femme s’oblige à plus de concentration. Habituée des shootings en extérieur, Gwendoline sait aussi ce qu’elle a à faire et sort les tenues dont ils ont parlé ensemble pour les pendre au grillage. Elle improvise ses propres coulisses, en accrochant les cintres pour ses vêtements et prépare une paire de chaussures à talons à brides et une paire d’escarpins vertigineux. Elle se donne un coup de brosse pour apporter de la brillance à ses cheveux, vérifie son maquillage dans un miroir de poche et se tient prête à commencer dès qu’Erwann aura fini de s’installer. La fenêtre horaire pour un shooting au coucher ou au lever du soleil est assez courte et il n’est pas question de perdre une minute.
Ils se mettent d’accord sur la première tenue, qu’elle enfile sans plus de manière pendant qu’il prépare son objectif. Elle remarque qu’il est si concentré qu’il ne la dévisage pas lorsqu’elle se change.
Erwann lui donne le feu vert :
– Je suis prêt, on peut y aller.
Gwendoline commence à s’échauffer avec une pose classique, debout, accouder sur le rebord du pont, le regard tourné vers le soleil couchant. Voyant qu’elle fait preuve d’initiative, Erwann se laisse guider et suit ses mouvements, ses poses et ses changements de directions.
De haute stature, avec son mètre quatre-vingt-huit, Erwann doit régulièrement se mettre à genou ou s’assoir directement par terre pour capturer ses images afin de ne pas la tasser. Son rôle est de la mettre bien en valeur.
Par moments, il lui suggère tel ou tel mouvement, lui donne des conseils pour se placer correctement face à la lumière déclinante et profiter ainsi de son effet sur le visage de la jeune femme.
Au bout d’une vingtaine de minutes, elle intervient :
– Attend, Erwann, je change de tenue et je me recoiffe. D’accord ?
– Parfait. J’en profite pour changer d’objectif. On va faire des plans plus serrés.
– Super. Je change de chaussures aussi. Ces horribles chaussures de pétasses me font mal aux pieds !
Arrivée en baskets, elle regrette déjà ses Stan Smith si confortables. Rapidement, elle fouille dans son sac et en tire deux patchs qu’elle se colle aux pieds.
Il sourit en l’entendant gémir de plaisir lorsqu’elle remet de nouveaux escarpins :
– Ah oui, c’est beaucoup mieux, s’exclame-t-elle en marchant. Je suis prête, c’est bon, tu peux mitrailler !
Très à l’aise, elle ressent à peine la morsure du froid qui arrive tandis que le soleil disparait à l’horizon. Cela se passe toujours ainsi lors d’un shooting : elle est si concentrée et investie dans son rôle de modèle qu’elle en oublie complètement ses sensations corporelles.
Erwann suit la cadence et continue ses suggestions pour perfectionner ce qu’il voit à travers la lunette de son objectif. L’œil collé au viseur, il la trouve pétillante et pleine de vie.
Soudain, elle s’interrompt :
– Ça te dit qu’on passe à une version plus déshabillée ?