Tentant de masquer son trouble, Erwann acquiesce et détourne le regard lorsqu’elle commence à se dévêtir. Une fois tous ses vêtements posés sur le parapet en béton, elle revient s’assoir au sommet des escaliers. Erwann, plus bas sur la plateforme installée entre deux étages, se repositionne et la guide, pour éviter qu’une partie de son anatomie ne soit trop exposée.
Tous les deux ont été très clairs à ce sujet : du nu artistique, seulement, mais aucune vulgarité. Complètement dénudée, uniquement chaussée de ses escarpins en cuir beige clair, elle parvient, malgré l’air qui s’est rafraîchit, à rester concentrée et légère.
– Tes tatouages sont superbes, déclare le photographe qui ose, pour la première fois, révéler le fond de sa pensée.
– Merci, c’est gentil. Les tiens n’ont pas l’air mal non plus…
Depuis qu’il a retiré son foulard pour passer la lanière de l’appareil photo autour de sa nuque, elle peut enfin admirer le superbe dessin qui était jusqu’alors caché.
– Mon meilleur ami est tatoueur. Je l’ai embauché.
– Il bosse bien. Celui de ton cou est magnifique…ajoute-t-elle dans la foulée, avant de reprendre la pose.
Flatté, le cœur du breton fait une embardée.
Après ce court échange, le photographe replonge rapidement dans sa bulle. Faire des photos le met toujours dans un état second, comme s’il était guidé par une inspiration. Grâce aux images qu’il crées, il a l’impression de remplir une sorte de mission. A partir d’une idée, il reflète une ambiance, transpose un univers. Il contribue à apporter de la beauté au monde, comme lui rappelle souvent sa fille.
Dans ce moment de création, il se sent vraiment lui-même, heureux.
Gwendoline commence à frissonner mais, appliquée et professionnelle, elle se fige face à l’objectif, le regard intensément posé vers l’homme qui la mitraille sous toutes les coutures. Malgré le froid et en attendant la fin de la session, Gwendoline prend sur elle pour ne rien laisser paraître. Il doit la sentir à l’aise et bien dans sa peau, ressentir de belles émotions à travers son attitude et se laisser entrainer dans un univers glamour et sensuel.
Puis, quittant son rôle, elle redevient joviale et pleine de peps et se détend entre chaque changement de positions.
– On fait la dernière. Tu commences à avoir l’air frigorifié, annonce Erwann en appuyant sur le détonateur.
Il immortalise les dernières expressions offertes par la jeune femme avant de taper dans ses mains, comme pour donner le clap de fin.
– Terminé pour aujourd’hui. Attends, je vais t’aider.
Constatant que la jeune femme commence à grelotter, il se précipite vers elle et lui tend les vêtements qu’elle avait en arrivant. Elle superpose plusieurs épaisseurs les unes après les autres, pour se réchauffer rapidement et éviter le coup de froid. Lorsqu’elle a fini de se rhabiller, il l’aide à enfiler son manteau et sors deux chaufferettes qu’il lui glisse entre les mains. Le contact de sa peau douce et délicate le fait à son tour frissonner.
Le soleil a complètement disparu quand ils ont fini de tout ranger. Erwann est en train de réfléchir à ce qu’il pourrait lui proposer pour prolonger cette rencontre. Il désire continuer à profiter de son agréable présence lumineuse. La nuit est là mais il aimerait qu’elle l’éclaire encore de sa lumière et de sa chaleur.
Il aimerait la retenir encore un peu… Mais Erwann se sent gauche. Depuis sa rupture, il n’a pas encore remis le pied à l’étrier. Le photographe n’est définitivement pas un dragueur et ce n’est pas à quarante ans qu’il va commencer. Il n’a jamais su et ne saura probablement jamais. Il a toujours été fidèle. C’est le compagnon d’une seule femme pour, il l’avait espéré à une époque, une seule vie.
Mais elle est là désormais. Avec ses longs cheveux argentés soufflés par le vent qui se lève en même temps que la nuit qui s’installe sous leurs yeux. La ville s’est habillée de lumières, les rues ont été désertées. Les derniers coureurs ont fini leur entrainement tardif.
Ils ne restent qu’eux sur ce pont traversant l’Erdre scintillante, comme deux fantômes errants en quête de quelque chose.
Alors que Gwendoline enfile un bonnet, il remarque son nez et ses joues rouges et vient lui mettre sa veste sur les épaules tout en lui frictionnant le dos. Tremblante, elle enfile une paire de gants, y glisse les deux chaufferettes et frotte vigoureusement ses mains l’une contre l’autre. Elle a l’air d’un lutin grippé qui aurait besoin d’une bonne bouillotte et d’un doliprane.
S’imaginant qu’elle n’aspire qu’à rentrer chez elle, il hésite à lui proposer de poursuivre la soirée.
Tandis qu’ils descendent les marches pour regagner le parking, il passe devant elle au cas où elle viendrait à tomber. Les escaliers sont étroits et raides et même délestée des sacs qu’il porte à nouveau, il a peur de la voir tituber.
Arrivés en bas des marches, comme prit d’une impulsion, Erwann tend le bras vers une devanture allumée, aux néons rouges et bleus.
C’est son dernier espoir…
FIN DU CHAPITRE QUATRE